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temples les statues des dieux tutélaires, que l'on portait en pompe par la ville, à la vue des citoyens qu'elles rassuraient. S'il est permis, suivant l'expression d'un ancien, de comparer de moindres choses à de plus grandes, les lettres ont aussi leurs jours de calamité; et quand l'image révérée de Despréaux vient de paraître dans ce Lycée, où nous appelons avec lui tous les dieux

des arts pour les opposer à la barbarie, n'est-ce

pas le moment de repousser les outrages et les blasphèmes que des barbares osent opposer au culte que nous lui rendons?

CHAPITRE XI.

De la Fable et du Conte.

SECTION PREMIÈRE.

De La Fontaine.

DANS ANS tous les genres de poésie et d'éloquence, la supériorité, plus ou moins disputée, a partagé l'admiration. S'agit-il de l'épopée, Homère, Virgile, le Tasse, se présentent à la pensée, et nul n'ayant réuni au même degré toutes les parties de l'art, chacun d'eux balance le mérite des autres, au moins sous plusieurs rapports. Il en est de même de la tragédie, de l'ode, de la satire. Athènes, Rome, Paris, nous offrent des talents rivaux. Les anciens et les modernes se disputent la palme de l'éloquence, et nous opposons aux Cicéron et aux Démosthènes nos Bossuet et nos Massillon. La comédie même, où Molière a une prééminence qui n'est pas contestée, permet encore que le nom de Regnard soit attendu après le sien. Il n'existe qu'un genre de poésie, dans lequel un seul homme a si particulièrement excellé, que ce genre lui est resté en propre, et ne rappelle plus d'autre nom que le sien, tant il a éclipsé tous les autres. « Nommer la Fable, c'est

nommer La Fontaine. Le genre et l'auteur ne font plus qu'un. Ésope, Phèdre, Pilpay, Aviénus, avaient fait des fables. Il vient et les prend toutes, et ces fables ne sont plus celles d'Ésope, de Phèdre, de Pilpay, d'Aviénus: ce sont les fables de La Fontaine.

<< Cet avantage est unique : il en a un autre presque aussi rare. Il a tellement imprimé son caractère à ses écrits, et ce caractère est si aimable, qu'il s'est fait des amis de tous ses lecteurs. On adore en lui cette bonhomie, devenue dans la postérité un de ses attributs distinctifs, mot vulgaire, mais ennobli en faveur de deux hommes rares, Henri IV et La Fontaine. Le bonhomme, voilà le nom qui lui est resté, comme on dit en parlant de Henri, le bon roi. Ces sortes de dénominations, consacrées par le temps, sont les titres les plus sûrs et les plus authentiques. Ils expriment l'opinion générale, comme les proverbes attestent l'expérience des siècles.

« On a dit que La Fontaine n'avait rien inventé. Il a inventé sa manière d'écrire, et cette invention n'est pas devenue commune; elle lui est demeurée tout entière: il en a trouvé le secret, et l'a gardé. Il n'a été, dans son style, ni imitateur, ni imité : c'est là son mérite. Comment s'en rendre compte? Il échappe à l'analyse, qui peut faire valoir tant d'autres talents, et qui ne peut pas approcher du sien. Définit - on bien ce qui nous plaît ? Peut-on discuter ce qui nous charme?

Quand nous croirons avoir tout dit, le lecteur ouvrira La Fontaine, et se dira qu'il en a senti cent fois davantage; et peut-être, si ce génie heureux et facile pouvait lire tout ce que nous écrivons à sa louange, peut-être nous dirait-il avec son ingénuité accoutumée : Vous vous donnez bien de la peine pour expliquer comment j'ai su plaire: il m'en coûtait bien peu pour y parvenir.

<< Son épitaphe, faite par lui-même, suffirait pour nous en convaincre. C'est à coup sûr celle d'un homme heureux. Mais qui croirait que ce fût celle d'un poëte? Ce pourrait être celle de Desyvetaux. Il partage sa vie en deux parts, dormir et ne rien faire. Ainsi ses ouvrages n'avaient été pour lui que des rêves agréables. O l'homme heureux que celui qui, en faisant de si belles choses, croyait passer sa vie à ne rien faire!

« Ce serait donc une entreprise mal entendue que celle d'analyser ses écrits; mais heureusement c'est toujours un plaisir de s'entretenir de lui. Ne cherchons point autre chose, en nous occupant de cet écrivain enchanteur, plus fait pour être goûté avec délices que pour être admiré avec transport; à qui nul n'a ressemblé dans sa manière de raconter, de donner de l'attrait à la morale, et de faire aimer le bon sens; sublime dans sa naïveté, et charmant dans sa négligence ; homme modeste, qui a vécu sans éclat en produisant des chefs-d'œuvre, comme il vivait avec retenue en se livrant, dans ses contes, à toute la

liberté de l'enjouement: homme d'une simplicité extraordinaire, qui sans doute ne pouvait pas ignorer son talent, mais ne l'appréciait pas; qui n'a jamais rien prétendu, rien envié, rien affecté; qui devait être plus relu que célébré, et obtint plus de renommée que de récompenses; et qui peut-être, s'il était aujourd'hui témoin des honneurs qu'on lui rend tous les jours, serait étonné de sa gloire, et aurait besoin qu'on lui révélât le secret de son mérite.

<< Sa naissance fut placée près de celle de Molière, comme si la nature avait pris plaisir à produire en même temps les deux esprits les plus originaux du siècle le plus fécond en grands hommes. Il avait atteint l'âge de vingt-deux ans, et son talent pour la poésie, celui de tous qui est le plus prompt à se manifester, parce qu'il appartient plus à la nature, et dépend moins de la réflexion, n'était pas encore soupçonné. C'est une tradition reçue, qu'une ode de Malherbe, qu'on lut devant lui, fit jaillir les premières étincelles de ce feu qui dormait. Le jeune homme parut frappé d'un sentiment nouveau : il semblait qu'il eût attendu ce moment pour dire : Je suis poëte. Il le fut dès-lors en effet. C'était le temps où tout naissait en France. Nourri de la lecture des auteurs anciens, il trouvait peu de modèles dans ceux de son pays. Mais en avait-il besoin? Doué de facultés si heureuses, mais peu porté à les interroger par une suite de cette indolence qu'il

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