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évita les défauts. Aussi est-ce après lui que parut un homme qui joignit au génie dramatique qu'avaient possédé Corneille et Molière une pureté, une élégance, une harmonie, une sûreté de goût que ni l'un ni l'autre n'avaient connues; et il est permis de croire que, lié avec Despréaux à l'époque de son Alexandre, dont la versification laisse encore tant à désirer, il apprit à être bien plus précis, plus élégant, plus châtié, plus sévère dans Andromaque, et bientôt après à s'élever jusqu'à la perfection de Britannicus et d'Athalie, au-delà desquels il n'y a rien.

Je crois avoir positivement spécifié la première obligation que nous avons à Boileau et à ses satires, et les raisons du grand éclat qu'elles eurent en paraissant. Si j'avais besoin d'ajouter des autorités à l'évidence, j'en citerais une qui ne peut pas être suspecte, et qui prouve combien les meilleurs esprits du temps avaient senti le mérite particulier que je fais observer dans ces satires, aujourd'hui trop rabaissées. Molière devait lire une traduction en vers de quelques chants de Lucrèce dans une société où se trouva Despréaux. On pria celui-ci de lire d'abord la satire adressée à Molière sur la Rime, pièce qui n'était pas encore imprimée, non plus qu'aucune des autres du même auteur. Mais quand Molière l'eut entendue, il ne voulut plus lire sa traduction, disant qu'on ne devait pas s'attendre à des vers aussi parfaits et aussi achevés que ceux de M. Despréaux, et

qu'il lui faudrait un temps infini s'il voulait travailler ses ouvrages comme lui. Ce propos est à la fois l'excuse de Molière, à qui le temps manquait, et l'éloge de Boileau, qui employait le sien. L'un était obligé de faire des pièces de théâtre qui devaient être prêtes au jour marqué; l'autre, qui n'avait que des vers à faire, pouvait les travailler à loisir, et le caractère de son esprit le portait à les travailler jusqu'à ce qu'ils fussent aussi bons qu'il était possible. Ainsi la nature et les circonstances se réunissaient pour faire de lui le meilleur versificateur qui eût encore existé parmi nous. L'un de ses amis, Chapelle, qui, dans la familiarité d'un commerce intime, se moquait de sa patience laborieuse, plaisantait sur sa cruche à l'huile, et lui disait si gaiement, tu es un bœuf qui fait bien son sillon; Chapelle, si éloigné en tout de la moindre conformité avec lui, reconnaissait la supériorité de ses vers.

Tout bon paresseux du Marais

Fait des vers qui ne coûtent guère.
Pour moi, c'est ainsi que j'en fais;
Et si je les voulais mieux faire,
Je les ferais bien plus mauvais.
Mais quant à monsieur Despréaux,
Il en compose de fort beaux.

Pourquoi cette même satire sur la rime, qui fit tant de peur à Molière, nous paraît-elle assez peu de chose? C'est que la difficulté de rimer est

un mince sujet, dont le style ne peut plus racheter à nos yeux la petitesse; c'est que, notre versification s'étant perfectionnée dans le dernier siècle, nous voulons dans celui-ci que ce mérite ne soit jamais seul, que l'on dise d'excellentes choses en bons vers. Mais avant d'en venir là, il a fallu apprendre à en faire, et celui qui nous l'apprit le premier, c'est Boileau. Graces à lui et à ceux qui l'ont suivi, ce n'est pas assez que le boeuf fasse bien son sillon, il faut encore qu'il laboure une terre fertile.

Maintenant, si j'osais énoncer un jugement sur la valeur réelle de ses satires, j'avouerais d'abord, quoi qu'il pût m'en arriver, que je les lis toutes avec plaisir, excepté les trois dernières. Celle sur l'Équivoque, qui est la douzième, est généralement condamnée, c'est un fruit dégénéré, une faible production d'un sol épuisé. On ne reconnaît point le bon esprit de l'auteur dans cette longue et vague déclamation qui roule tout entière sur un abus de mots, et où l'on attribue à l'équivoque tous les malheurs et les crimes de l'univers, à dater du péché originel et de la chute d'Adam, jusqu'à la morale d'Escobar et de Sanchez. Le satirique, vieilli, redit en assez mauvais vers ce qu'avait dit Pascal en très-bonne prose, et ce n'est plus, à quelques endroits près, le style de Boileau. On le retrouve un peu plus dans la satire sur le faux Honneur, dont les soixante premiers vers sont encore dignes de lui; mais le

reste est un sermon froid et languissant, chargé de redites. L'auteur est presque toujours hors du sujet, et les tournures monotones et le prosaïsme avertissent de la faiblesse de l'âge. La satire contre les Femmes, quoique plus travaillée, quoiqu'elle offre des portraits bien frappés, entre autres celui du directeur, quoique les transitions y soient ménagées avec un art dont le poëte avait raison de s'applaudir, n'est pourtant qu'un lieu commun, qui rebute par la longueur, et révolte par l'injustice. Tout y est appuyé sur l'hyperbole; et Boileau, qui en a reproché l'excès à Juvénal, n'aurait pas dû l'imiter dans ce défaut. Je ne dissimule point ses fautes, ce me semble; elles sont en partie celles de la vieillesse, et l'on peut aussi les attribuer à cette mode, assez générale de son temps, de faire entrer la religion dans des sujets où elle était étrangère. C'est là ce qui lui fait conclure, dans la satire sur l'Honneur,

que

Qu'en Dieu seul est l'honneur véritable,

quoique ces deux idées n'eussent pas dû se rencontrer ensemble. C'est là ce qui lui dicta celle de ses épîtres que les connaisseurs goûtent moins les autres, l'épître sur l'amour de Dieu, sorte de controverse trop peu faite pour la poésie, quoique la prosopopée qui termine la pièce soit heureuse et vive. Ces sujets occupaient alors tout Paris échauffé sur la controverse, comme il l'a été de nos jours sur la musique. L'on oubliait

qu'il fallait laisser ces questions à la Sorbonne, et que les Muses ne veulent point que l'on dogmatise en vers.

Quant aux neuf autres satires, quoique ce soit le moindre des bons ouvrages de Boileau, je hasarderai encore d'avouer que j'aime à les lire, parce que j'aime la bonne poésie, la bonne plaisanterie et le bon sens. Elles sont moins philosophiques, moins variées que celles d'Horace : il y a moins d'esprit, la marche en est moins rapide; il emploie moins souvent la forme dramatique du dialogue, et quand il s'en sert, c'est avec moins de vivacité; mais on peut être au-dessous d'Horace, et n'être pas à mépriser. Il a même, autant que je puis m'y connaître, deux avantages sur le satirique latin : il a plus de poésie, et raille plus finement. Horace a fait, comme lui, la description d'un repas ridicule : c'est, si l'on veut, un bien petit sujet ; mais si le mérite du poëte peut consister quelquefois à relever les petites choses, comme à soutenir les grandes, je saurai gré à Boileau d'avoir été en cette partie bien plus poëte qu'Horace dans le récit du festin. Personne ne lui avait donné le modèle de vers tels que ceux-ci :

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Sur un lièvre flanqué de six poulets étiques
S'élevaient trois lapins, animaux domestiques,
Qui, dès leur tendre enfance élevés dans Paris,
Sentaient encor le chou dont ils furent nourris.
Autour de cet amas de viandes entassées,
Régnait un long cordon d'alouettes pressées,

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