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berté avec laquelle il lui avait dit son avis sur le Corneille, le rusé Bertrand conseillait à Raton de faire plus de révérences en donnant des croquignoles, et de multiplier les croquignoles et les révérences1.

C'était dire poliment au patriarche qu'il était un peu grossier. Mais si on l'accuse d'insolence, celui-ci prétend qu'il use de toute la réserve compatible avec la vérité :

<< On me trouve un peu insolent, dit-il, et je pense que vous me trouvez bien discret; car, entre nous, je n'ai pas relevé la cinquième partie des fautes il ne faut pas découvrir la turpitude de son père. Je crois en avoir dit assez pour être utile; si j'en avais dit davantage, j'aurais passé pour un méchant homme2. >>

Cependant il ne tarda pas, en publiant de nouvelles éditions, d'en dire bien davantage. Et il y fut excité par celui même qui, au commencement, l'avait le plus engagé à la modération et aux ménagements. D'Alembert était un homme sans consistance dans ses jugements, surtout quand ils étaient opposés à ceux de Voltaire. Après avoir d'abord taxé son maître d'un excès de sévérité contre Corneille, il finit, en habile flatteur qu'il était, par lui reprocher son trop d'indulgence. Il voulait que la nouvelle édition du Commentaire que Voltaire préparait fût beaucoup moins douce que les précédentes :

<< On dit, lui écrivait-il, que vous réimprimez le Commentaire de Corneille fort augmenté. Vous ferez bien. Je ne trouve de tort que de n'en avoir pas assez dit. Les pièces de Corneille me paraissent de belles églises gothiques3. »>

Grandeur de l'art chrétien, sublimité de la poésie cornélienne, le sec géomètre ne savait pas mieux comprendre l'une que l'autre. Voltaire, au moins, n'était pas incapable de goûter la belle et grande poésie. Cependant il aurait fini par le faire croire, si l'on n'avait su que le dépit et mille petites passions étaient en partie cause de ses violences et de ses injustices à l'encontre du premier restaurateur de la tragédie parmi les modernes.

Dans le Commentaire même, Voltaire laisse percer, aussi bien que dans sa correspondance, combien les critiques qu'on lui avait adressées sur les premières pièces l'aigrissaient et augmentaient sa disposition à la sévérité : il tenait à montrer « qu'aucune cabale ne l'avait jamais intimidé1. » Dans les Remarques sur Serto

'Lett. du 9 juill. 1764.

2 Lett. ȧ d'Alembert, 8 mai 1764.

3 Lett. de d'Alembert à Voltaire, 1er fév. 1773.

4 Rem. sur Sertorius, 11, 5.

rius, il avoue que s'il est entré dans presque tous les détails des deux premiers actes de cette pièce, c'est non-seulement « pour éviter le reproche qu'on lui a fait de n'en avoir pas assez dit,» mais encore << pour répondre au reproche ridicule que quelques gens de parti, très-mal instruits, lui avaient fait d'en avoir trop dit. » Il se fit donc un point d'honneur, dans les dernières éditions, de redoubler de sévérité et de dureté; il y « reprend quatre fois plus de fautes, nous dit-il lui-même, parce que des gens qui ne savent pas le français ont eu le ridicule d'imprimer qu'il ne fallait pas s'apercevoir de ces fautes. » L'humeur que lui causait la contradiction rejaillissait ainsi sur Corneille même.

Quelques lignes plus loin, à propos de certains vers un peu familiers ou négligés, il s'écrie avec colère et ironie:

« Quels vers! quelles expressions! et de petits écoliers oseront me reprocher d'être trop sévère ! » Lui, trop sévère ! Il se « repentira toute sa vie d'avoir été trop indulgent 2. »

Mais où il laisse surtout éclater la rancune et la bile qui l'animent, c'est dans la préface des Remarques sur Suréna. Après avoir parlé du « style ridicule dans lequel Corneille fait l'amour dans ses vingt dernières tragédies, et dans quelques-unes des premières, » et avoir déclaré que quiconque ne sent pas ce défaut est sans aucun goût, que quiconque veut le justifier se ment à luimême, il ajoute :

« Ceux qui m'ont fait un crime d'être trop sévère m'ont forcé à l'être véritablement, et à n'adoucir aucune vérité. Je ne dois rien à ceux qui sont de mauvaise foi. Je ne dois compte à personne de ce que j'ai fait pour une descendante de Corneille, et de ce que j'ai fait pour satisfaire mon goût. Je connais mieux les beaux morceaux de ce grand génie que ceux qui feignent de respecter les mauvais. Je sais par cœur tout ce qu'il a fait d'excellent. Mais on ne m'imposera silence en aucun genre sur ce qui me paraît défectueux.

«Ma devise a toujours été, fari que sentiam3. »

Si, malgré son habitude de parler conformément à cette devise, il retint encore quelque chose sur le cœur, même dans les dernières éditions du Commentaire, il s'en dédommage amplement dans sa Correspondance. Dans ses lettres intimes, il traite souvent l'auteur d'Horace, de Polyeucte et de Rodogune, à peu près comme il ferait Alexandre Hardy ou Pradon. Il y ridiculise sans vergogne

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<<< les détestables pièces et les détestables sujets du raisonneur ampoulé, qui ne fut jamais tragique que dans trois ou quatre pièces, quand il fit un petit voyage en Espagne1. »-« Plus je lis če Corneille, écrit-il encore à un de ses particuliers amis, plus je le trouve le père du galimatias, aussi bien que le père du théâtre. » Voltaire acheva donc et refit ainsi plusieurs fois son Commentaire, tantôt retenu, tantôt aiguillonné par ses confrères et ses amis, s'abandonnant par moments à sa fougue de critique et à ses impressions d'homme de goût un peu timide, et dans d'autres moments se laissant emporter à son admiration pour les beautés si neuves et si originales du grand poëte qu'il interprétait.

Après avoir donné son édition de Corneille, il fit imprimer séparément les notes, à l'usage de ceux qui avaient le théâtre de ce poëte. Suivant Bachaumont, cette nouvelle répandue à l'avance jeta beaucoup de discrédit sur l'ouvrage, qui avait «< peu de considération dans le monde littéraire 3. » Peu importait à Voltaire. La critique était assurément le premier objet qu'il avait eu en vue, et il voulait la répandre le plus possible.

Ceux qui s'attendaient à voir Corneille maltraité par son commentateur furent néanmoins stupéfaits quand ils virent de combien de fautes, et de quelles fautes énormes, le grand écrivain était accusé, et surtout avec quel mépris il était insulté.

Voltaire disait, en 1778, dans la Lettre à l'Académie française, placée en tête d'Irène:

"

Lorsque je commentai le grand Corneille, j'envoyai toutes mes remarques à M. Duclos, qui vous les communiqua. Vous les examinâtes; et cette édition de Corneille semble être aujourd'hui regardée comme un livre classique pour les remarques que je n'ai données que sur votre décision. »

Cependant l'Académie n'avait pas approuvé tout dans le Commentaire, et elle fut la première à le trouver trop sévère à l'égard de Corneille. D'Alembert écrivait à Voltaire, le 8 septembre 1761:

« Il nous a semblé que vous n'insistiez pas toujours assez sur les beautés de l'auteur, et quelquefois trop sur des fautes qui peuvent n'en pas paraître à tout le monde. Dans les endroits où vous critiquez Corneille, il faut que vous ayez si évidemment raison que personne ne puisse être d'un avis contraire; dans les au

'Lett. ȧ La Harpe, 27 juill. 1770.
2 Lett. à d'Argental, sept. 1751.
3 Mém. secrets, 1er mai 1764.

tres, il faut, ou ne rien dire, ou ne parler qu'en doutant. Excusez ma franchise, ajoutait le géomètre littérateur, vous me l'avez permise, vous l'avez exigée; et il est de la plus grande importance pour vous, pour Corneille, pour l'Académie et pour l'honneur de la littérature française, que vos remarques soient à l'abri même des mauvaises critiques. »

Beaucoup d'hommes du monde partagèrent le sentiment des académiciens qui avaient trouvé que Voltaire dépassait les bornes de la justice et de la convenance. Bachaumont, excellent juge, et nullement ennemi du fameux philosophe, témoigne qu'on était indigné, et se montre lui-même très-mécontent « de la critique amère et dure que M. de Voltaire fait de Pierre Corneille 1. » Il se plaint à plusieurs reprises de « son acharnement à rabaisser le grand homme 2. » Suivant le rédacteur des Mémoires secrets, le célèbre commentateur « a moins prétendu faire voir le grand que le vieux Corneille. » Il a positivement voulu le dégrader, et il emploie souvent à cette fin les moyens les plus perfides 3. Bachaumont, dans son mécontentement, va jusqu'à se ranger avec Fréron, et à trouver ses critiques justes; il souhaiterait seulement que la défense de Corneille fût entre les mains d'un plus honnête homme‘. »

Galiani était un des amis et des admirateurs de Voltaire. Cependant il fut, lui aussi, vivement choqué du Commentaire. Il avait été longtemps sans le lire, bien qu'il le vit sur toutes les cheminées de Paris; mais enfin, écrit-il, « il m'a fallu ouvrir le livre deux ou trois fois, au moins par distraction; et toutes les fois, je l'ai jeté avec indignation, parce que je suis tombé sur des notes grammaticales qui m'apprenaient qu'un mot ou une phrase de Corneille n'étaient pas en bon français ceci m'a paru aussi absurde que si l'on m'apprenait que Cicéron et Virgile, quoique Italiens, n'écrivirent pas en aussi bon italien que Boccace et l'Arioste. Quelle impertinence! Tous les siècles et tous les pays ont leur langue vivante, et toutes sont également bonnes. Chacun écrit la sienne". >>>

Parmi les bons esprits qui osèrent, dans l'intimité, protester

'Mém. secr., 6 mai 1764, t. II, p. 51.

2 Ibid., 16 mai 1764, t. II, p. 57.

1 Ibid. Bachaumont a particulièrement en vue la protestation empreinte d'une fausse modestie que Voltaire fait à la fin de Sertorius.

* Mém. secr., 1er mai 1764, t. II, p. 51.

Corresp. inéd. de Ferd. Galiani avec Mme d'Épinay, etc., Lett. du 23 avril 1774.

contre les injustices du Commentaire sur Corneille, on distingue encore madame du Deffand. Dans sa correspondance avec le célèbre philosophe, elle prend plusieurs fois contre lui la défense du grand tragique.

L'immodéré vieillard avait donné trop beau champ à ses ennemis. Ils profitèrent avidement de cet avantage. Le plus ardent, et non pas le moins spirituel de tous, Fréron, ne pouvait manquer une si favorable occasion de tomber sur l'homme contre lequel il aimait tant à guerroyer. Il se fit écrire une Lettre à M. de Voltaire sur son édition de Corneille. C'est un des meilleurs articles du rédacteur de l'Année littéraire, et Bachaumont en a parlé dans les termes les plus élogieux :

« C'est, dit-il, une plaisanterie facile et légère sur l'affectation avec laquelle M. de Voltaire oppose sans cesse Racine à Corneille, pour le déprimer, le dégrader, le mettre au-dessous de rien. Quant au style, cette fiction ingénieuse vaut toutes les dissertations qu'on pourrait faire sur cette matière. On y donne, en passant, différents coups de patte aux écrits les plus répréhensibles de l'auteur. Celui d'une pareille facétie paraît avoir du talent pour ce genre d'ouvrages'. »

Fréron, sous le nom de son correspondant anonyme, reprochait à l'éditeur de Corneille de « réimprimer ce grand homme pour rabaisser sa gloire, pour relever ses défauts, pour faire de ses écrits une critique injuste, ou plutôt une satire amère. »

L'apostrophant sur le haut ton, il lui disait :

<< Vous nous prenez apparemment pour des Visigoths avec vos remarques. Est-ce que nous ne savons pas aussi bien que vous que le style de Corneille a vieilli; que des tours, des expressions, des constructions qu'il a employés sont proscrits par l'usage, et seraient aujourd'hui des solécismes? Vous avez beau répéter fastidieusement que c'est pour les étrangers et pour les jeunes gens que vous écrivez. Est-ce que les étrangers et les jeunes gens ignorent qu'on n'écrit pas aujourd'hui en français comme on écrivait il y a plus de cent ans? Votre intention perce à travers le masque dont vous vous couvrez. Vous avez voulu, par vos remarques, écarter de la scène les chefs-d'œuvre de notre théâtre, persuader aux comédiens et au public que ce sont des écrits informes et barbares...

« Votre dessein se découvre surtout par l'affectation que vous avez d'accabler de notes critiques les plus belles pièces, les plus belles scènes, les plus beaux endroits de Corneille, et de laisser sans observations ce qui ne vous cause point d'ombrage, c'est-à-dire les pièces qu'on ne joue plus, et dont souvent une scène vaut mieux que tout ce qui s'est fait depuis, en exceptant Racine 2. »

1 Mém. secr., 29 avril 1764, t. II, p. 48.

2 L'Année littéraire, 1764, Lett. iv, t. III, p. 97-100.

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