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rions dire combien de milliers d'ouvrages imprimés ou manuscrits de toute date et de tout genre, nous n'avons pas rencontré, ou nous n'avons pas remarqué un seul exemple de l'adjectif amatrique, sans mesure, désordonné, probablement du grec auerpos, employé dans cette phrase de la Lettre apologétique: « Il suffit qu'ayez fait une folie amatrique, sans que j'en fasse une à vous répondre, comme vous m'y conviez. » Néanmoins nous jurerions que ce terme n'a pas été fabriqué par Corneille; s'il eût voulu créer des mots, il en eût fait de plus harmonieux, de plus poétiques, et surtout de plus intelligibles.

La langue de Corneille est sortie du même courant et de la même source que celle de tous ses contemporains; mais il la manie avec autant de fécondité que d'originalité. Il possède à un très-haut degré cette faculté des écrivains de génie de présenter sous une expression nouvelle les objets dont ils s'occupent, parce qu'ils savent toujours y découvrir de nouveaux aspects. Dans ses moments d'inspiration, il rend les mots tout neufs par l'usage qu'il en fait, et par son habileté à les enrichir de sens plus étendus. Il ne se sert que des expressions de tout le monde, et souvent il les choisit peu, mais quand il a de grandes pensées ou de beaux sentiments à rendre, il se les approprie, il les change, il les varie, il les place, nous ne dirons pas avec un tel art, mais avec tant de bonheur, qu'il paraît les inventer. Et ces incomparables beautés de diction ne brillent pas uniquement dans les six ou sept pièces sur trente-trois jugées par Voltaire seules dignes de la représentation, mais encore, au moins par éclairs, dans les productions les plus dédaignées de notre Eschyle.

Cependant on ne peut pas dire que Corneille ait excellé dans la science du style autant que son glorieux successeur. L'inégal auteur du Cid et d'Attila n'est grand ou n'est original par l'expression que lorsque le sujet inspire sa veine, et que la force de la pensée lui fait créer, tout d'une pièce, un style qu'on ne peut appeler que le style cornélien. A l'exception de ces moments où il est sous la puissance du dieu, il demeure inférieur, comme artiste, à l'auteur de Phèdre et d'Athalie. Celui-ci captive ou charme toujours par la beauté ou par la grâce d'un style dont les Sophocle, les Platon, les Virgile offrent seuls l'analogue. C'est lui qui possède éminemment le secret de ces expressions tournées qui relèvent et embellissent les moindres détails, de ces rapprochements nouveaux, de ces alliances de mots qui révèlent des

rapports inattendus, de ces locutions de génie qui peignent une masse d'idées, de ces figures naturelles et frappantes, de ces transpositions qui aident à l'élégance sans nuire à la clarté, de ces ellipses qui transforment les locutions et donnent des ailes au

vers.

Racine a pris à Corneille des expressions en grand nombre, comme il lui a pris des situations, des mouvements, des traits; mais, incontestablement, il a beaucoup plus inventé qu'il n'a emprunté, et il est peut-être de tous les écrivains du dix-septième siècle celui qui, en produisant ces pensées immortelles et consacrées à l'admiration de tous les siècles, fit faire le plus de progrès à la langue proprement dite. Aussi, à la lecture, Racine plaît-il plus généralement aux esprits délicats et cultivés. Mais, à la représentation, Corneille reprend ses avantages. Ce génie hardi, et quelquefois inculte et inégal, est fait pour être entendu bien plus que pour être lu. On ne peut pas le bien juger en dehors de l'audition. Un poëte si éminemment théâtral a besoin d'être mis dans sa perspective, qui est le théâtre.

Nous avons, dans quantité d'articles particuliers et dans quelques-uns des articles généraux, comme aux articles inversion, article supprimé, emploi du subjonctif, participe, latinisme, etc., etc., indiqué les caractères principaux du style de Corneille. Nous devons ajouter ici quelques développements et quelques détails nouveaux, glissant sur les points rebattus et usés par les maîtres de la critique. Nous parlerons d'abord des latinismes que présentent à chaque instant la prose comme les vers de notre grand tragique.

Le latinisme est le fond même de la langue française. Nous sommes moins que personne disposé à méconnaître l'influence du grec sur le français. La langue des Hellènes, nous le savons, fut usitée dans la Gaule narbonnaise longtemps avant l'ère chrétienne, et continua d'y être cultivée dans les siècles suivants. C'est en grec que les premiers ministres de l'Évangile y vinrent annoncer la foi à des populations dont le plus grand nombre les comprenait. La langue grecque s'entretint par l'enseignement des écoles publiques, et par les relations des premiers rois de France avec les empereurs d'Orient, tantôt leurs alliés, tantôt leurs ennemis. Familière pendant des siècles dans le Midi, surtout dans le royaume d'Arles, elle pénétra moins avant dans les provinces du Nord, cependant elle y marqua la langue géné

rale de son empreinte; elle l'enrichit de locutions comme de mots.
Le grec eut donc, dès l'origine, une puissante influence sur le
français; mais, en dépit de l'assertion de Henri Estienne et de
ses échos, elle ne fut pas comparable à celle du latin. C'est la ci-
vilisation latine qui d'abord transforma la Gaule, et la fit rapide-
ment briller d'un éclat dont le tableau nous étonne quand nous
le voyons dans Quintilien, dans Suétone, dans Cassiodore, dans
Symmaque, dans Ausone, dans Sidoine Apollinaire. C'est la langue
latine qui a servi de racine à la plupart des mots dont notre voca-
bulaire est aujourd'hui composé; c'est la grammaire latine qui
a été le fondement de la grammaire française; entre les deux
idiomes, même génie en tout, même caractère, sauf la différence
notable que constituent les verbes auxiliaires et l'emploi de l'ar-
ticle. En pouvait-il être autrement, le latin ayant été si long-
temps la seule langue usuelle pour tout ce qui était d'un ordre
élevé, alors que le français, non plus que les autres langues na-
tionales de l'Europe, n'était capable de rendre ni la loi, ni le
droit, ni les sciences, ni la philosophie, ni la religion?

Les maîtres de la langue française se sont tous pénétrés pro-
fondément de l'élément latin, et en ont coloré leur discours, pour
nous servir de la belle expression de Cicéron : Sentio orationem
meam illorum tactu quasi colorari '. Mais aucun peut-être n'en a
gardé une aussi forte empreinte que Pierre Corneille, ce génie
éminemment romain. On a pu douter si les Romains ont plus fait
pour Corneille que Corneille n'a fait pour les Romains; car, comme
l'a dit La Bruyère: « Les Romains sont plus grands et plus Ro-
mains dans ses vers que dans leur histoire 2. » Les sujets romains
eurent toujours sa prédilection. Il a fait voyager sa tragédie
chez toutes les nations du monde, les Espagnols, les Grecs, les
peuples de l'Arménie et de la Syrie, les Bithyniens, les Lom-
bards, les Carthaginois et les Huns; il avait même pensé à finir
sa carrière en traitant un sujet puisé dans les annales chinoises.
Malgré toutes ses explorations en sens divers, Rome était tou-
jours le point central auquel il revenait et se fixait avec amour.
Dans sa longue carrière dramatique, il a parcouru toutes les vi-
cissitudes de l'empire romain. Il a montré Rome républicaine
dans les Horaces, impériale dans Cinna, chrétienne dans Polyeucte,

De Oratore, 11, 14, 60.

2 Les Caractères.

triomphante dans Pompée, humiliée, quoique menaçante encore, dans Nicomède, enfin dans Attila, vaincue et prête à céder la place à un empire nouveau :

< Un grand destin commence, un grand destin s'achève,
L'empire est prêt à choir, et la France s'élève. >>

Certes, le peintre de ces grands tableaux expliquant, dans une Épître à Mazarin, l'idéal qu'il poursuivait, a eu le droit de dire:

J'en porterai si haut les brillantes peintures,

Que ta Rome elle même, admirant mes travaux,
N'en reconnoîtra plus les vrais originaux. »

Dans les patientes études auxquelles se soumit le génie de Corneille pour se préparer à ces fortes créations, il se pénétra intimement de la langue comme des idées des grands écrivains latins, poëtes et prosateurs. De là dans son style ces latinismes si fréquents, qui le caractérisent plus encore que l'hellénisme ne caractérise le style de Racine.

Nous grouperons quelques exemples de ces latinismes de Corneille, latinismes de significations et latinismes de constructions. Il met aconit comme l'aconitum latin, pour dire poison en général.

Il prend assiduité, dans le sens de continuité, de durée non interrompue « Ce qui n'étoit point une règle autrefois l'est devenu par l'assiduité de la pratique.» (Trois. disc.) Un auteur de la première moitié du dix-septième siècle, Gomberville, dit de même, l'assiduité de nos sacrifices.

Il emploie également assidu, dans le sens de continuel, comme assiduus: «Les répétitions assidues qui se trouvent dans l'original. » (Préf. de l'Imit., édit. 1670.)

Il donne à louange le sens de laus, gloire:

Couvert ou de louange ou d'opprobre éternel. »

(Hor., iv, 4.)

Ce latinisme, que Voltaire n'a pas compris, se rencontre, nous l'avons montré, depuis Gerson, dans l'Internelle Consolation, jusqu'à M. Villemain, dans le Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle. Le siècle dernier en avait abandonné l'usage.

Comme nos anciens écrivains, depuis Bouteiller, les rédacteurs des Chroniques de France, et l'auteur du roman de Perceforest, jusqu'à Pasquier, Corneille donne à neveu l'acception de nepos, petit-fils.

Il offre autant de latinismes d'adjectifs que de latinismes de substantifs.

Il prend célèbre dans le sens de public, solennel, éclatant :

<< Je n'ajouterai rien aux célèbres témoignages que la voix publique vous rend. > (Pomp., Au cardinal Mazarin.)

Nous rapportons des exemples analogues, comme ceux-ci :

<< Le roi ne songeoit qu'à rendre ces noces célèbres par des divertissements où il pût faire paroître l'adresse et la magnificence de sa cour.» (Me DE LA FAYETTE.) «Et l'auroit percé de mille coups s'il ne l'eût réservé à une vengeance plus célèbre. > (REGNARD.)

Honnête, chez notre poëte, signifie honorable, glorieux, comme le latin honestus. Il dit : « Un trépas plus honnête » (Othon), pour, un trépas plus honorable.

Il emploie content dans la sévérité de son étymologie latine, contentus, qui se contient, qui se renferme dans ce qu'il a, qui se résigne sans peine, comme l'explique Forcellini:

<< Périssant glorieux, je périrai content. »

(Pol., iv, 6.)

Il donne à funeste l'acception première de funestus, dérivé de funus, funèbre, lamentable: « Funeste spectacle, funeste état, péril funeste.»

Il emploie imbécile, imbécillité, dans le sens d'imbecillus, imbecillitas, faible, faiblesse.

Il donne à sublime la signification primitive et toute latine d'élevé :

<< Si votre hymen m'élève à la grandeur sublime. »

(Sert., 1, 3.)

Il dit être récent de son latin, pour signifier sortir de l'étudier, et en avoir encore la mémoire toute fraîche, comme Fronton a 'dit: «Tu, qui a græcis litteris recentior es.»

Que de verbes aussi sont employés par Corneille d'une manière toute latine! Il dit céder, pour le céder, comine le cedere latin :

Et si le sang des dieux cède à celui des rois. »>

On ne peut plus rien faire

Dont la gloire ne cède à celle de Sévere, »

(Androm., 111, 3.)

dit de même Thomas Corneille, dans Maximian, 1, 1.

Ce latinisme a, du reste, été conservé, même en prose, après

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