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tions de quelque importance, nous avons pu multiplier et choisir les exemples, et en présenter de toutes les dates, depuis l'époque des premiers monuments de notre idiome jusqu'à nos jours, quand il y avait lieu. Nous avons naturellement donné la préférence aux grands écrivains en possession de faire autorité. Nous avons cependant cité quelquefois, comme témoins de l'usage, des auteurs qui furent plus ou moins médiocrement partagés du don poétique ou du talent de prosateur. Ils nous ont servi à montrer comment nos écrivains de génie, tout en parlant la langue de tout le monde, ont su se créer un style d'une si admirable originalité.

Indépendamment d'une quantité de monographies toutes neuves sur des points difficiles de lexicographie, notre livre présentera un assez grand nombre d'études grammaticales qu'on chercherait vainement ailleurs. Quelques-unes, outre l'intérêt qu'elles offrent au point de vue de la grammaire historique, pourront être d'une haute utilité pour tous ceux qui attachent du prix à suivre les meilleures traditions de la langue : tels sont nos longs mémoires sur l'ellipse du pronom personnel (tome n, pag. 185-206), sur la pluralisation des termes abstraits (t. 1, p. 351-367), etc., etc.

Une introduction étendue résume l'esprit du livre, constate tout ce qui en ressort, et complète souvent, par rapport à la langue du dix-septième siècle en général, ce que nous n'avons pu développer suffisamment dans le Lexique. Non content de signaler les caractères principaux de la langue de Corneille, nous établissons, sans trop sortir de notre cadre, les caractères généraux de la langue de cette grande époque, relativement à la signification des mots, à l'usage des diverses parties du discours, à la syntaxe et à la construction des phrases.

La seconde partie de cette introduction a pour objet de faire

connaître à quelle occasion, dans quelles dispositions d'esprit, et dans quelles intentions secrètes ou avouées, Voltaire entreprit, écrivit et refit à plusieurs fois son fameux Commentaire, enfin, d'apprendre comment cette censure du grand poëte fut jugée à l'époque, comment elle l'a été depuis, et comment elle doit l'être par un esprit impartial et éclairé.

Cet ouvrage, auquel nous ne pensions pas d'abord donner une si grande extension, est terminé par un Supplément important, qui demande à être rapproché des diverses études auxquelles il se rapporte. Du reste, il offre plusieurs articles essentiels dont il n'avait pas été question dans le livre.

Je voudrais bien n'avoir pas à recommander de consulter avec un égal soin l'errata placé à la fin de chaque volume. Malgré l'extrême application que j'ai apportée à relire les épreuves d'un travail si délicat, je me suis aperçu trop tard de quelques fautes plus ou moins graves; et un plus grand nombre encore aurait échappé à mon attention fatiguée, sans le secours que j'ai reçu, pour la révision de cet ouvrage, de la part de mon frère EUGÈNE, qui, depuis plusieurs années, m'aide dans mes longs et pénibles travaux avec un zèle intelligent, amical et dévoué, dont je parlerais plus à l'aise s'il ne s'agissait pas d'une personne qui me touche de si près.

INTRODUCTION

I

Les caractères particuliers de la langue de Corneille, et de la langue du dix-septième siècle en général.

C'est une vérité triviale que chaque écrivain de marque a son style, expression particulière de sa manière de penser et de sentir; mais le plus grand génie n'a pas une langue à lui. Toute l'originalité du poëte et du prosateur consiste à mettre diversement en œuvre, suivant la trempe de son talent, le fonds commun de la langue de son temps.

De tant de comparaisons et de rapprochements qu'offre notre Lexique, il résulte que Corneille n'a pas eu une langue à part non plus que Molière, non plus que Bossuet, ou tout autre de nos grands écrivains; il n'y a pour ainsi dire pas chez lui trace de langage néologique, à peine a-t-il créé quelques mots et quelques expressions. La locution dont l'honneur lui revient le plus sûrement est peut-être celle de donner la main, pour épouser, que, suivant Ménage, il a empruntée des Espagnols et osée le premier en français.

Nombre des plus frappantes expressions de Corneille se trouvent également chez les auteurs secondaires ou inférieurs qui balancèrent la réputation naissante du fondateur de notre théâ

a.

tre, chez les Mairet, les Tristan l'Hermite, les Scudéri, les Rotrou. Peu d'écrivains ont eu une individualité de génie comparable à celle de Corneille; un grand nombre ont eu, si l'on nous permet cette expression, plus d'individualités de langage.

Le grand tragique ne cherchait pas à faire des mots, ni même des locutions, et n'affectait pas non plus la nouveauté des images; il embellit les figures d'usage qui appartiennent à la langue; il recherche très-peu ces figures d'invention qui appartiennent à l'écrivain.

Cependant sa langue est d'une incomparable variété, et d'une richesse que les lexicographes sont le mieux à même d'apprécier aucun écrivain ne leur fournit autant d'exemples des manières de dire les plus diverses. Personne ne se sert avec une plus admirable aisance de tous les mots de notre idiome: termes nobles, expressions familières, vocables scientifiques et techniques, le dictionnaire entier entre dans ses vers. S'il emploie tant de termes spéciaux, ce n'est pas qu'il ait étudié les arts, les métiers, la chasse, ni l'escrime. Il parlait de toutes ces choses en homme du monde qui a beaucoup écouté, beaucoup observé, et qui, à l'occasion, est en mesure de s'exprimer en termes appropriés sur les sujets les plus divers.

Telle expression vous paraît-elle tout à fait singulière chez Corneille, soyez sûr qu'elle se trouve dans les écrivains de son temps et dans ceux qui l'ont précédé. Par exemple, lisez-vous:

<< Ce rare et cher objet qui fait seul mon destin
Du soldat insolent est l'indigne butin, »

(Théod., v. 1.)

cet emploi du mot butin pour proie vous étonne, vous êtes disposé à croire, surtout le rencontrant dans Théodore, que c'est une de ces impropriétés et de ces négligences si reprochées à ses dernières pièces. Cette acception ne serait assurément pas recevable aujourd'hui, mais elle a été employée avant Corneille, témoin cet exemple d'une date antérieure à la représentation de Théodore:

<< Et si quelqu'un de nous se trouve criminel,
S'il a fait à son sang cet opprobre eternel,
Que, sans misericorde, il soit, comme un infame,
L'exemplaire butin d'une honteuse lame,

Qu'il perisse à nos yeux... »

(ST-AMANT, Fragment d'un poëme de Joseph et de ses frères.)

Elle l'a été aussi après lui, puisqu'on lit dans une pièce de Molière, représentée en 1661:

<< Au moins est-il en moi de promettre à ses vœux

Qu'on ne me verra point le butin de vos feux. » (Don Garcie, 11, 3.) Manière de parler que l'auteur du Lexique de Molière aurait moins reprochée à notre grand comique, s'il avait su qu'il n'était pas le premier qui l'eût hasardée. Assurément, dans une métaphore consacrée, on n'a pas le droit, comme le dit M. Génin, de substituer un synonyme au mot qui fait la figure; mais il est probable qu'alors être le butin de était reçu, au moins en vers, comme ètre la proie de.

Corneille dit commander quelqu'un, pour commander à quelqu'un :

<< Un roi que je commande ose se dire roi!»

Alexandre Hardy avait dit avant lui, dans Alceste:

<< Puisqu'un entrepreneur te commande, te brave. »

(Att., 1, 1.)

Si vous rencontrez deux gens, pour dire deux personnes, ne croyez pas que cette expression soit particulière à Corneille; elle a été employée dès le quinzième siècle : « Et certes ce furent deux gens qui firent grande chère ensemble » (OLIV. DE LA MARCHE, Mém., 1, 22); et elle se retrouve assez souvent depuis, surtout dans les auteurs de Coutumes.

Il en est de même pour certaines constructions qui sembleraient être des singularités chez Corneille. On lit dans la Suite du Menteur :

Et je me viens de voir arbitre de son sort. >>

Eh bien, un auteur du seizième siècle avait dit :

« Courage, sire Lazare, réjouissez-vous, je me vien de souvenir qu'il y a moyen... (LARIVEY, Le Morfondu, 111, 5.)

Du reste, si une expression, employée plus ou moins fréquemment avant Corneille, lui est attribuée à tort, il ne faut pas trop blâmer ceux qui commettent cette méprise. Les œuvres de ce poëte fécond présentent des acceptions rares qui peuvent paraître nouvelles et inusitées, même aux philologues les plus accoutumés à tout retrouver dans nos anciens auteurs.

Ainsi nous, qui avons lu et relu avec la plus minutieuse attention, et toujours la plume ou le crayon à la main, nous ne sau

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