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On connoît son épitaphe. C'est à coup sûr celle d'un homme heureux. Mais qui croiroit que ce fût celle d'un poète? Ce pourroit être celle de Des Yveteaux. Il partage sa vie en deux parts, dormir et ne rien faire. Ainsi ses ouvrages n'avoient été pour lui que des rêves agréables. O l'homme heureux, que celui qui, en fai— sant de si belles choses, croyoit passer sa faire!

vie à ne rien

Quoique depuis sa mort le temps l'ait agrandi dans. l'opinion des hommes, sa réputation s'étendit de son vivant chez les étrangers. Des particuliers Anglois offrirent de lui assurer une subsistance aisée, lorsque madame de Mazarin l'appela en Angleterre. Il dut être flatté de leurs offres ;, mais rendons grâce au duc de Bourgogne, de ce que, sous le règne de Louis XIV l'Angleterre n'a pas été chargée de nourrir La Fontaine.

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Il aimoit les femmes, c'est-à-dire qu'il étoit naturellement porté aux égards, à la complaisance et au respect pour ce sexe, qui, toujours ambitieux de plaire, est flatté sur-tout d'en avoir à tout moment l'assurance. On a remarqué que cet auteur qui, dans ses écrits avoit si souvent plaisanté sur les femmes, étoit à leur égard d'une extrême réserve dans la conversation. Il est reconnu que ses mœurs étoient pures. On voit par plus d'un endroit de ses ouvrages, que son cœur avoit goûté les plaisirs et même les peines de l'amour (1); mais il y porta la douceur et la modération de son

(1) Il en parle.comme d'un mal qui peut-être est un bien. Pour lui

Il n'est rien

Qui ne (lui) soit souverain bien :

Jusqu'au sombre plaisir d'un cœur mélancolique.

ame: aucun excès n'entroit dans le caractère de La Fontaine.

Il n'y avoit qu'une conjoncture où cette tranquillité toujours inaltérable sembloit l'abandonner; et cette exception lui fait honneur. C'est lorsqu'on venoit lui demander des conseils dans des circonstances épineuses, ou des secours contre l'infortune. Alors il écoutoit avec l'intérêt le plus tendre, et consoloit en pleurant. Alors cet homme si étranger à ses propres affaires, trouvoit des lumières et des ressources quand il s'agissoit d'autrui. Ainsi donc ce n'étoit qu'aux malheureux qu'il accordoit le droit de troubler son repos, et il n'avoit de la prudence que pour les intérêts des autres.

Quoique porté à la paresse, il ne négligea pas les connoissances éloignées de ses talens. Il étudia avec son ami Bernier les principes de Descartes et de Gassendi. La question long-temps fameuse du mécanisme des bêtes est très-ingénieusement discutée dans la fable que j'ai déjà citée, adressée à madame de la Sablière. Ainsi La Fontaine avoit fait tout ce qu'on peut demander à un homme occupé d'ouvrages d'imagination. Il n'étoit pas resté au-dessous de la philosophie de son siècle.

La maladie dont il fut attaqué deux ans avant sa mort, produisit dans son ame cette entière révolution qui livra aux austérités expiatoires un homme qui pendant tout le cours de sa vie s'étoit cru si loin du crime et du remords (1), et qui, pour me servir d'un vers de Despréaux, beaucoup moins applicable à lui qu'à La Fontaine.

Fit, sans être malin, les plus grandes malices.

(1) Lorsque le temps viendra d'aller trouver les morts,
J'aurai vécu sans soins, et mourrai sans remords.

Sa vie ne fut depuis ce moment qu'une langueur continuelle. Il mourut (1) en offrant à Dieu un cœur docile, ingénu et repentant (2). Il fut porté dans le même

(1) Le 13 mars 1695, à l'âge de 74 ans

" 22 après Molière.

(2) Rien de ce qui intéresse La Fontaine ne peut paroître minutieux ou indifférent. Dans cette confiance, rappelons les particularités qui précédèrent et suivirent sa conversion, transcrites d'après la vie du célèbre poète, par M. de Montenault.

Vers la fin de 1692, La Fontaine tomba dangereusement malade. Jusques-là il n'avoit guères porté sa vue sur le culte ni sur les objets de la religion; et les affaires de son salut avoient été enveloppées dans l'oubli et dans la profonde indifférence qui régnoient sur sa vie. La loi naturelle dirigeoit son cœur, et guidoit l'innocence de ses moeurs. Son esprit, ennemi du travail, incapable d'effort ou de contention, de quelque nature qu'elle pût, être, ne se donna jamais la peine de suivre long-temps le même objet, et moins encore de se porter à la contemplation des choses qui sont hors de la sphère naturelle de l'homme. Le curé de S. Roch, informé de la maladie sérieuse de La Fontaine, lui envoya le P. Poujet, un membre de l'Oratoire, auteur du Cathéchisme de Montpellier, alors vicaire de sa paroisse. Cet ecclésiastique, pour donner à sa visite un air moins sérieux et moins suspect, se fit annoncer de la part de son père, chez qui La Fontaine alloit quelquefois. Afin de lui ôter toute méfiance, il se fit accompagner d'un ami commun, qui l'étoit particulièrement du malade. Après les politesses d'usage, le P. Poujet amena la conversation sur la religion et sur ses preuves. Sans se douter du but de ses discours : Je me suis mis, dit La Fontaine avec sa naïveté ordinaire, depuis quelque temps à lire le Nouveau Testament; oui, je vous assure, ajouta-t-il, que c'est un fort bon livre: oui, par ma foi, c'est un bon livre. Mais il y a un article sur lequel je ne me suis pas rendu; c'est l'éternité des peines je ne comprends pas, ajouta-t'il, comment cette éternité peut s'accorder avec la bonté de Dieu. Le P. Poujet satisfit à cette objection par les meilleures raisons qu'il put trouver dans ce moment; et La Fontaine, après plusieurs répliques, fut si content de l'entendre, qu'il le pria de

:

sépulcre qui avoit reçu Molière, comme si la même destinée qui avoit rapproché leur naissance, eût dû réunis leur tombeau.

revenir. Le P. Poujet ne demandoit pas mieux; il partit, et lui laissa l'ami qu'il avoit amené. Le but de cette séparation préméditée étoit d'amener La Fontaine à la confidence de ses sentimens et de ses dispositions présentes. En effet, satisfait de cette visite, il dit à son ami, que s'il avoit à se confesser, il ne prendroit point d'autre directeur que cet ecclésiastique. Le P. Poujet, instruit du succès de sa visite, fut exact depuis ce temps à lui en rendre deux par jour, dans lesquelles il ne cessoit, en le familiarisant avec ses discours, d'éclai cir ses doutes, et de répondre à ses questions avec l'adresse d'un habile homme (*). Ce n'étoit au fond, ni l'impiété, ni l'incrédulité qu'il avoit à combattre. La Fontaine, toujours vrai, toujours sincère et rempli de bonne-foi, ne cherchoit qu'à s'instruire et à se convaincre.... Le plus difficile fut de l'amener à une satisfaction publique sur ses contes, ainsi qu'au sacrifice d'une pièce de théâtre qu'il venoit de composer.

Quoique La Fontaine ne regardât point ses contes comme un ouvrage irrépréhensible, il ne pouvoit cependant imaginer qu'ils fussent capables de produire des effets aussi pernicieux qu'on le prétendoit. Il protestoit qu'en les écrivant, ils n'avoient jamais fait de mauvaises impressions sur lui. Et comme sa manière ordinaire étoit de juger des autres par lui-même, il attribuoit tout ce qu'on lui disoit là-dessus à une trop grande délicatesse. C'est ainsi qu'il se défendoit contre l'espèce d'amende honorable qu'on exigeoit de lui; mais l'éloquence du P. Poujet l'emporta sur ses répugnances: La Fontaine convaincu, se résigna.... Parmi tous ces débats et toutes ces exhortations où se trouvoient employées, tantôt une douce persuasion, et tantôt la crainte des peines de l'autre vie, je ne dois pas oublier les réflexions de la garde de La Fontaine, qui désignant d'une manière aussi naturelle qu'originale

(*) Le P. Poujet n'eut pas seul l'honneur de cette conversion. « Les sages instructions de Boileau et de Racine avoient beaucoup contribué à faire peu-àpeu naître dans La Fontaine les sentimens de piété dont il fut pénétré le reste de sa vie,» [ Mém, sur la Vie de J, Racine, pag. 225.]

Sa mémoire a été honorée dans sa postérité. Sa fa

les sentimens et l'opinion qu'il inspiroit de lui. Eh! ne le tourmentez pas tant, dit-elle un jour avec impatience au P. Poujet, il est plus béte que méchant. Une autre fois, avec un air de compassion Dieu n'aura jamais, disoit-elle, le courage de le damner.

Enfin, après plus de six semaines de conférences assidues et redoublées, La Fontaine fit une confession générale, et reçut le saint viatique le 12 février 1693, avec des sentimens dignes de la candeur de son ame, et des vertus du meilleur chrétien. C'est dans ce moment qu'avec une présence d'esprit admirable, et dans les meilleurs termes, il détesta ses contes en présence de Messieurs de l'Académie. Il les avoit fait prier de se rendre chez lui par députés, pour être les témoins publics de son repentir, de ses dispositions, et de la protestation authentique qu'il fit de n'employer ses talens à l'avenir, s'il recouvroit la santé, qu'à des sujets de piété. Cette protestation fut renouvelée après sa convalescence, devant l'Académie entière. Il renonça en même temps au profit d'une nouvelle édition des mêmes ouvrages, imprimée en Hollande. Les dernières années de sa vie furent consacrées à la piété et à la pénitence la plus rigoureuse. Il mit en vers les hymnes de l'église, qu'il n'eut pas le temps d'achever. La veille de sa mort, il répétoit à diverses reprises, que s'il demandoit au Seigneur une prolongation de quelques jours, c'étoit pour se faire traîner dans un tombereau par les rues de Paris, afin que personne n'ignorât combien il détestoit les poésies licencieuses qu'il avoit eu le malheur de composer. (Lettre XII de Boileau à Maucroix.) Sa ferveur redoubla avec les approches du dernier moment. Lorsqu'on le déshabilla pour le mettre au lit de mort, il se trouva couvert d'un cilice. Ce que M. Racine le fils n'a point laissé échapper, lorsqu'il le dépeint ainsi :

Vrai dans tous ses écrits, vrai dans tous ses discours,
Vrai dans sa pénitence à la fin de ses jours,

Du maître qu'il approche il prévient la justice;

Et l'auteur de Joconde est armé d'un cilice.

L'abbé d'Olivet assure avoir vu ce cilice entre les mains de Mancroix, qui le gardoit comme un monument précieux de la mémoire de cet illustre ami.

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