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Peut-être ne seroit-ce pas pour le Sur-intendant un grand honneur dans la postérité que le nom de La Fontaine se trouvât parmi les protégés illustres qui peuvent flatter l'amour-propre d'un homme en place, si l'on ne savoit d'ailleurs que Fouquet pensoit noblement, et méritoit d'être aimé. Mais ce qui sans doute est une espèce de mérite plus rare que les bienfaits du ministre, c'est la reconnoissance éclatante du poète. Qu'il nous soit permis de remarquer en faveur des Gens de Lettres, dont on n'est que trop porté à exagérer les fautes, non qu'ils en commettent plus que d'autres, mais parce qu'elles sont plus connues; qu'il nous soit permis de remarquer qu'il n'y a point de classe d'hommes où l'on trouve plus d'exemples de ce genre de courage, l'un des plus rares peut-être, qui consiste à mettre l'amitié et la reconnoissance hors de la portée des coups de la fortune. On connoît, on cite beaucoup d'Hommes de Lettres, et dans le siècle passé, et dans le nôtre, dont l'attachement pour leurs amis et leurs protecteurs a toujours été à l'épreuve de la disgrâce; soit qu'en effet la culture des arts, qui ne garantit pas des erreurs et dès passions, préserve au moins de l'avilissement; soit que, principalement occupés de la gloire des Lettres, ceux qui en sont bien épris s'élèvent plus aisément au-dessus des bassesses de l'ambition et de l'intérêt. Dans le moment où le malheureux Sur-intendant voyoit fuir la foule de ses

ne l'empêcha point de publier la belle Elégie sur la disgrace de son bienfaiteur, commençant par ces vers:

Remplissez l'air de cris en vos grottes profondes,

Pleurez, Nymphes de Vaux, faites croître vos ondes,

qui se trouvent dans ses œuvres divers, dans tous les recueils, et dans le souvenir de toutes les ames sensibles.

créatures, où l'on ne craignoit rien tant que de paroître l'avoir connu, deux Hommes de Lettres employerent leurs talens à sa défense. Pelisson écrivit ses éloquens plaidoyers; La Fontaine composa cette Elégie attendrissante où il demande grace pour Fouquet, et ose dire au Roi qu'il doit la faire. Il y avoit du courage sans doute à contredire publiquement l'opinion et même la colère de Louis XIV; mais je suis bien sûr que La Fontaine, quand il fit son Elégie, ne croyoit pas avoir besoin de courage.

C'est après la disgrace de Fouquet, qu'il entra en qualité de gentilhomme chez cette princesse que l'éloquence et la poésie ont tant célébrée, Henriette d'Angleterre, dont la mort consterna la France, et nous épouvante encore dans Bossuet. Si La Fontaine a pu, comme un autre, être bercé par les songes de l'ambition, cette mort les fit bientôt évanouir, et je doute qu'il les ait beaucoup regrettés. C'est à cette époque qu'il appartint tout entier à l'amitié bienfaisante. Pour un homme de son caractère, elle valoit mieux que la fortune.

Autant qu'il nous est possible de juger du bonheur, qui trompe nos idées comme il échappe à nos projets, la vie de La Fontaine fut assez heureuse. C'est une persuasion bien douce que je remporte de l'examen où cet éloge m'a engagé. Il fut heureux. Tant de grands hommes ne l'ont pas été ! Il le fut par son caractère et par ses ouvrages. Plein d'une modestie vraie, de celle qui n'est pas et ne peut pas être l'ignorance de nos avantages, mais l'attention à n'en affecter aucun sur autrui; on ne voit pas qu'il ait jamais eu d'ennemis. Et comment en auroit-il eu? Sa simplicité extérieure devoit calmer jusqu'à l'envie. Comme il ne prétendoit rien, on

lui pardonnoit de mériter beaucoup. On sait que dans un moment d'effusion, Molière disoit : Nos beauxesprits n'effaceront pas le bon - homme. L'un de ces beaux-esprits étoit Despréaux. On a peut-être autant de peine à lui pardonner son silence sur La Fontaine que son injustice envers Quinault. Etoit-il de la destinée de Boileau d'offenser les Graces, ou par ses satyres, ou par son silence? On voit du moins par sa Lettre sur Joconde qu'il a senti le merveilleux talent de La Fontaine pour la narration (1). Mais pourquoi la fable et le modèle des fabulistes n'occupent-ils pas une place dans l'Art Poétique ? L'auteur se seroit ménagé un beau morceau de plus, et, ce qui est plus précieux, le plaisir de rendre justice.

La Fontaine étoit du petit nombre des écrivains plus véritablement heureux par leurs talens que par leurs succès. Sans être insensible à la gloire, il ne paroît pas l'avoir trop recherchée. Il obtint les suffrages de l'Académie avant Despréaux, qui obtint avant lui l'aveu de LOUIS XIV (2). La postérité, dans la distribution des rangs, a paru suivre plutôt l'avis de l'Académie, que celui du Monarque (3). Vivant dans le sein de l'amitié,

(1) Ce n'est pas toutefois le seul hommage qu'il ait rena génie supérieur du bonhomme. Pour trouver l'air naïf en Fran dit-il, dans une de ses réflexious sur Longin, on a encore quelquefois recours au style de Marot et de Saint-Gelais; et c'est ce qui a si bien réussi au célèbre M. de La Fontaine. ( Réflex. VII.)

Suivant le compilateur du Bolæana, Despréaux disoit que la belle nature et tous ses agrémens ne se font sentir que depuis que Molière et La Fontaine ont écrit.

(2) Les deux panégyristes de La Fontaine, MM. Champfort et La Harpe, n'ont pas été exacts dans le récit de cette particularité de la vie du poète. Voyez les faits.

(3) « La mort de M. Colbert, arrivée en 1683, laissa une place

assez bien né pour ne sentir que la douceur des bienfails, sans en porter jamais le poids, débarrassé de

vacante à l'Académie française. M. de La Fontaine, qui aspiroit au fauteuil académique, appréhendant l'exclusion, s'il avoit M. Despréaux pour concurrent, le pria de se désister en sa faveur. M. Despréaux lui dit que si l'Académie le nommoit, il ne pouvoit refuser; mais il lui promit de ne faire aucune démarche pour l'obtenir. L'Académie se partagea entre ces deux grands hommes; mais quelques Académiciens, sensibles au chagrin de voir leurs noms dans les satyres de M. Despréaux, craignirent de l'avoir pour leur confrère : ainsi la pluralité des suffrages fut pour M. de La Fontaine. Le Roi, à qui les poésies libres de La Fontaine avoient donné quelques préventions contre sa personne, ne fut pas content de cette élection ; non pas que M. de La Fontaine ne fût trèsdigne d'être choisi, mais parce qu'on l'avoit préféré à M. Despréaux. Quand les députés de cette compagnie allèrent, selon l'usage (*), demander au Roi son agrément pour la nomination de M. de La Fontaine, S. M. les renvoya sans leur expliquer son intention, et les laissa très-long-temps dans cette incertitude. Le Roi fit même la campagne de Luxembourg sans se déclarer là-dessus. Pendant cet intervalle, M. de Bezons, conseiller-d'état, et l'un des membres de cette académie, vint à mourir. Cet illustre corps ne balança point à nommer M. Despréaux pour son successeur; et le Roi, en approuvant ce choix, confirma celui qui avoit été fait de La Fontaine ». (Euvres de Boileau, édit. de Paris, 1726, T. IV. p. 26. note ).

Quelques écrivains mettent, selon moi, une importance bien ridicule à rechercher les causes de la conduite particulière de Louis XIV envers La Fontaine. L'auteur d'une vie nouvelle du fabuliste évoque le génie de Voltaire et l'autorité de Robertson pour pénétrer cette énigme si curieuse et si peu connue. (Notice en tête de l'édition stéréotype, pag. 47. ) Cette inquiète curiosité

(*) « J'ignore si l'Académie étoit alors dans l'usage, comme le disoit son Directeur, de choisir et de chercher elle-même ses sujets; je sais seulement que tous les Académiciens ne songeoient pas à chercher Boileau, et il y en avoir plusieurs qu'il ne songeoit pas non plus à solliciter. [ Mémoir, sur la Vie de J. Racine, pag. 155. ]

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toute

toute inquiétude, ne connoissant ni l'ambition, ni l'ennui, incapable d'éprouver le tourment de l'envie, et trop modéré, trop bon pour être en butte à ses attaques; il jouissoit de la Nature et du plaisir de la peindre, du travail et du loisir, de la facilité de se livrer à tous ses goûts; il jouissoit de ses sentimens, de ses idées. et du plaisir de les répandre; enfin il étoit bien avec lui-même, et avoit peu besoin des autres; et tandis que ses années s'écouloient sans qu'il les comptât, il voyoit arriver la vieillessé sans la craindre, comme on voit le soir d'un beau jour (*).

Vous voyez par-tout dans ses ouvrages un esprit serein et une ame satisfaite. Lui-même dit quelque part :

A beaucoup de plaisir je mêle un peu de gloire.

n'auroit-elle pas aussi son motif secret dans le desir plutôt de donner un tort à Louis XIV, que d'intéresser en faveur de La Fontaine. Car enfin, l'auteur du Lutrin, de l'art poétique et des satyres, le chantre du passage du Rhin, n'avoit-il pas aussi des droits à la faveur du monarque, dont il étoit d'ailleurs personnellement connu? Quand il n'y a qu'une couronne à décerner entre deux concurrens d'un mérite égal, la préférence, nécessairement donnée à l'un des deux, est-elle une exclusion pour l'autre ? Le même écrivain ne manque pas d'observer que la réputation de notre poète, du moins celle qu'il méritoit, ne s'étendoit guères au-delà dù cercle étroit de ses amis ». ( Ibid. p. 53.) Louis XIV auroit-il été plus coupable que le reste de la France, d'ignorer les débats du Lapin et de la Belette? Il est pourtant vrai de dire qu'il n'accordoit aucune estime au talent de La Fontaine; mais ses poésies libres avoient donné au religieux monarque des préventions contre sa personne: et le chef d'un grand empire pouvoit bien se permettre de juger cés sortes d'ouvrages avec autant de sévérité que leur auteur.

(*) Rien ne trouble sa fin; c'est le soir d'un beau jour.

Tome I.

LA FONTAINE, dans Philemon et Baucis,

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