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occupé. Cette négligence, qui détruisit par degrés sa médiocre fortune, étoit la suite d'un grand désintéressement; qualité qui marque toujours une ame noble. Une fois tous les ans, il quittoit la capitale pour aller voir sa femme, retirée à Château-Thierry, et là il vendoit une petite partie de son patrimoine, qu'il partageoit avec elle. C'est ainsi qu'il s'en alloit comme il le dit lui-même, mangeant son fonds avec

son revenu.

Il eut donc une femme avec laquelle il ne put pas vivre, cet homme d'une humeur si égale et si facile ! Cette femme avoit de la beauté et de l'esprit. Celle de Molière avoit aussi de l'un et de l'autre, et le rendit malheureux. Mais le philosophe la Fontaine, plus prudent que le philosophe Molière, qui fut toute sa vie amoureux et jaloux d'une femme qui le désoloit; La Fontaine, regardant le repos comme le premier des biens, se sépara d'une compagne qui lui ôtoit cette paix domestique sans laquelle la vie est insupportable. On peut repousser la force par la force, et combattre un ennemi. Mais comment combattre ce qu'on aime, et repousser la foiblesse qui vous tyrannise, en mettant la pitié entre elle et vous?

Le chagrin que cette séparation dut lui causer fut adouci par les consolations de l'amitié. Il méritoit d'avoir des amis il en eut parmi les Gens de Lettres, et c'étoient les plus célèbres (1). Il eut à la Cour des protecteurs et même des bienfaiteurs (ce qui n'est pas tou

(1) Entre autres Molière, Racine, Despréaux, Chapelle, La Fare, Chaulieu, sur-tout Maucroix, qu'il appelle son bon, son ancien, son véritable ami. ( Lettre du 30 mars 1704, au Père ***, Jésuite.)

jours la même chose (1), et c'étoit ce qu'elle avoit de plus brillant, les Conti, les Vendôme, sur-tout cet

(1) Ce furent ces illustres Mécènes, dont les secours généreux le sauvèrent de l'indigence, et réparèrent l'oubli qu'il étoit accoutumé de faire de ses premiers intérêts. Il résidoit encore à ChâteauThierry, lorsque la Duchesse de Bouillon, nièce du cardinal Mazarin, fut exilée dans cette ville. Cette femme célèbre joignoit à l'assemblage heureux des graces de son sexe un esprit badin, délicat, enjoué et cultivé. Curieuse des talens, sur-tout éprise de goût pour le genre d'écrire qu'avoit embrassé La Fontaine, elle s'empressa de le connoître et de l'accueillir. Le poète ne fut pas insen. sible à ses avances; il lui fit assiduement sa cour, et le desir de lui plaire, échauffé par les charmes de la Duchesse, lui inspira cette gaîté libre et badine à laquelle on prétend qu'il a dû les plus aimables de ses contes.

Lorsque Madame la duchesse de Bouillon fut rappelée de son exil, elle emmena La Fontaine à Paris. Cette ville immense qui rassemble tant de beaux esprits, où les talens se développent et se communiquent une chaleur réciproque, où le vrai mérite peut briller de tout son éclat; cette capitale, dis-je, avoit de puissans attraits pour La Fontaine. Aussi ne laissoit-il échapper aucune des occasions qui pouvoient l'y conduire : c'étoit ordinairement lorqu'il étoit excédé des humeurs de sa femme. Alors sans aigreur, sans reproches, il partoit, et restoit à Paris autant que ses facultés pouvoient le lui permettre.

A son arrivée à Paris, La Fontaine fit la rencontre d'un de ses parens, nommé M. Jannart, favori de M. Fouquet, sur-intendant des finances, et pour lors dans la plus grande faveur. La Fontaine profita de cette circonstance, et de l'accès que sa réputation, déjà répandue, pouvoit lui donner auprès de ce ministre. Il lui fut présenté, il lui plut; et pour rendre sa position plus aisée, M. Fouquet lui fit une pension. La reconnoissance que La Fontaine conserva de ce bienfait est consacrée par différentes pièces de vers insérées dans l'édition de ses oeuvres posthumes de 1727.

M. Fouquet ne fut pas son seul protecteur. Au retour d'un voyage à Limoges, où il accompagna son parent Jannart, exilé dans

illustre duc de Bourgogne, l'élève de Fénelon, qui à laissé une mémoire adorée et digne de son maître (1). Ce fut ce prince dont les bienfaits contribuèrent à le retenir en France, lorsque, perdant par la mort de madame de la Sablière l'asyle qu'il avoit chéri pendant vingt ans, il étoit près d'accepter celui que la Duchesse de Mazarin, la fameuse Hortence, lui offroit auprès d'elle en Angleterre, où elle étoit retirée avec S. Evremond. Mais comment nommer madame de la Sablière, sans bénir la mémoire de l'excellente amie de La Fontaine, de sa digne bienfaitrice, qui s'étoit fait un devoir et un plaisir d'écarter loin de lui tous les soins, tous les embarras, tous les besoins? Femme respectable, ornement d'un sexe qui peut-être doit avoir plus de bienfaisance que le nôtre, puisqu'il est plus porté à la pitié,

cette ville, La Fontaine fut gratifié d'une charge de gentilhomme chez la célèbre Henriette d'Angleterre, première femme de Monsieur. Mais il ne jouit pas long-temps de cette position brillante, ni des espérances de fortune qu'elle pouvoit lui promettre la mort précipitée de cette princesse les fit presque aussitôt évanouir.

MM. de Vendôme et le prince de Conti lui envoyoient de temps en temps quelque gratification; mais tout cela venoit de loin en loin, et il auroit eu besoin de bien d'autres fonds plus sûrs et plus abondans, s'il avoit long-temps continué à être son économe.

(1) Je ne dois pas oublier, dit l'historien de l'Académie française, , que M. le duc de Bourgogne, le jour même qu'il apprit que La Fontaine avoit reçu le S. Viatique, lui envoya une bourse de cinquante louis. Il lui faisoit souvent de semblables gratifications. Sans ces ressources, ce grand homme auroit été forcé d'abandonner ses amis, tous les objets chers à son coeur, de chercher sa subsistance de contrée en contrée, et, par une suite involontaire, de couvrir de honte aux yeux des étrangers son ingrate patrie.

ou qui du moins doit rendre ses bienfaits plus aimables, puisqu'il a plus de délicatesse; c'est auprès de toi que La Fontaine composa ses chefs-d'œuvre; et ton nom dans la postérité sera toujours placé à côté du sien. Tu t'es chargée de son bonheur, il s'est chargé de ta gloire, si pourtant la gloire est quelque chose près du plaisir de faire le bien.

Qu'un Ami véritable est une douce chose!

Il cherche vos besoins au fond de votre cœur.

Je me plais à croire que La Fontaine, quand il fit ces vers songeoit à madame de la Sablière (1). Ces

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(1) La Fontaine demeura chez cette dame près de vingt ans, pendant lesquels il fut délivré de tout soin domestique : ce qui convenoit également à sa paresse et à son incapacité absolue pour les affaires. C'est sans doute cette indifférence pour les biens de la fortune, cet amour du repos et de la liberté, cette disposition habituelle à vivre d'une vie incertaine et précaire, sans s'occuper de l'avenir, sans prévoir même les besoins du lendemain, que Madame de la Sablière vouloit exprimer, lorsqu'un jour, après avoir congédié tous ses domestiques à-la-fois, elle disoit avee autant de grace que de finesse: Je n'ai gardé auprès de moi mes trois animaux, mon chien, mon chat, et La Fontaine. C'est elle dont La Fontaine, après avoir loué

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que

déclare ne pouvoir peindre qu'imparfaitement la beauté de sou

ame:

Car ce cœur vif et tendre infiniment

Pour ses amis, et non point autrement;
Car cet esprit qui, né du firmament,
A beauté d'homme avec grace de femme,

Ne se peut pas comme on veut exprimer.

(Liv. XII. fab. 15.)

Après sa mort, il se retira chez M. d'Hervart, son ami; et ce

vers et ceux qui les suivent suffiroient seuls pour nous prouver que cet homme si indifférent et si apathique sur la plupart des choses qui tourmentent les hommes, avoit senti l'amitié (1). Je sais qu'on prétend que les vers ne prouvent jamais rien que de l'imagination. Mais je persiste à croire qu'il y en a que l'ame seule a pu dicter. C'est une vérité qui m'est démontrée, ne fût-ce que par les écrits de La Fontaine; et si cette preuve ne suffisoit pas, on citeroit ce mot si connu, le plus grand éloge que deux amis aient jamais fait l'un de l'autre, cette réponse à M. d'Hervart lorsqu'il le rencontra après la mort de madame de la Sablière : J'allois vous prier de venir loger chez moi, lui dit M. d'Hervart: J'y allois, dit La Fontaine.

Oublierons-nous, parmi ses bienfaiteurs, celui qui le fut avant tous, le généreux et infortuné Fouquet (2)?

fut à cette occasion qu'il dit ce mot si touchant, si naïf, et qu'on peut appeler un mot de caractère, dont voici l'occasion. Quelques jours après avoir perdu Madame de la Sablière, il rencontre M. d'Hervart. Mon cher La Fontaine, lui dit cet homme estimable, j'ai su le malheur qui vous est arrivé vous étiez logé chez Madame de la Sablière; elle n'est plus: j'allois vous proposer de venir loger chez moi. J'y allois, répondit La Fontaine.

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(1) Aussi Madame de la Sablière lui rendoit-elle la justice de dire qu'il ne savoit pas mentir en prose.

(2) Tout le monde sait l'histoire de la disgrace de Fouquet'; mais on ne sait point assez que La Fontaine, sensible à ses malheurs, et sans craindre d'offenser les ennemis puissans de ce ministre, eut le courage de se montrer publiquement un de ses plus zélés défenseurs. Colbert, que la chûte éclatante et terrible du rival auquel il succédoit auroit dû fléchir, puisqu'elle satisfaisoit en même-temps sa haine et son ambition, eut la foiblesse et l'injustice de persécuter tous ceux que la reconnoissance ou l'amitié attachoit à Fouquet. La Fontaine ne l'ignoroit pas ; ce qui

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