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intéresser lui-même de si bonne foi, art inconnu à tous les autres Fabulistes; art qui chez lui n'en étoit pas un, qui n'étoit qu'une suite naturelle de cette aimable simplicité, de cette bonhommie, devenue dans la postérité un de ses attributs distinctifs; mot vulgaire, ennobli en faveur de deux hommes rares, Henri IV et La Fontaine. Le Bon-Homme (1): voilà le nom que lui a donné la postérité, et lorsqu'on pense que ce nom ne rappelle pas seulement le caractère de ses écrits, mais celui de son ame, sa bonté loyale, sa candeur naïve alors on est tenté d'interrompre toutes ces louanges, qui sont si loin de valoir la lecture d'une de ses fables, de s'adresser à lui, comme s'il pouvoit nous entendre, de lui dire « O bon La Fontaine ! homme unique et » excellent! parois dans cette assemblée; viens t'asseoir un moment parmi nous; nous te couvrirons des fleurs » que nous répandons autour de ton image. Peut-être

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(1) Racine et Despréaux, avec qui La Fontaine étoit extrêmement lié, s'amusoient quelquefois à ses dépens. Ils l'appeloient le bonhomme, et n'en connoissoient pas moins ce qu'il valoit. Un soir entre autres qu'ils soupoient chez Molière avec Descoteaux, fameux joueur de flûte, La Fontaine y paroissant plus rêveur et plus concentré en lui-même qu'à l'ordinaire, Despréaux et Racine, pour le tirer de sa distraction, se mirent à l'agacer par différens traits plus vifs et plus piquans les uns que les autres; mais La Fontaine ne s'en déconcerta point. Ils avoient cependant poussé si loin la raillerie, que Molière, touché de la patience et de la douceur de La Fontaine, ne put s'empêcher d'en être piqué pour lui, et de dire à Descoteaux, le tirant à part au sortir de table: Nos beaux esprits ont beau se trémousser, ils n'effaceront pas le bonhomme. (Euv. de Boileau, T. IV. éd. de Paris, 1726', p. 26. note. Mém. sur la vie de J. Racine, p. 120. ) Et le nom lui

est resté.

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» les honneurs flattent-ils peu ton ame modeste et tran» quille, et la vaine éloquence du panégyrique est trop >> au-dessous de toi: mais tu es sensible au plaisir d'être » aimé, et c'est-là l'hommage unanime que nous t'of>>frons pour récompense du plaisir que tu nous as donné » tant de fois. »

Je m'écarte, je le sens; j'oublie un moment les ouvrages pour m'occuper de l'auteur. Il est bien difficile de mettre de l'art dans un Eloge dicté tout entier par le cœur. Je suis bien plus sûr d'aimer La Fontaine, que je ne suis sûr de le bien louer. Je me livre à ce que je sens, et je perds de vue ce que je dois écrire. Revenons à ce charme singulier qui naît de l'illusion complette où il est lui-même, et que vous partagez. Il a fondé parmi les animaux des Monarchies et des Républiques. Il en a composé un monde nouveau beaucoup plus moral que celui de Platon. Il y habite sans cesse ; et qui n'aimeroit à y habiter avec lui? Il en a réglé les rangs, pour lesquels il a un respect profond dont il ne s'écarte jamais. Il a transporté chez eux tous les titres et tout l'appareil de nos dignités. Il donne au Roi Lion un Louvre, une Cour des Pairs, un sceau royal, des officiers, des médecins; et quand il nous représente le Loup qui daube au coucher du Roi son camarade le Renard, il est clair qu'il a assisté au coucher, et qu'il en revient pour nous conter ce qui s'est passé. Cette bonne foi si plaisante ne l'abandonne jamais. Jamais il ne manque à ce qu'il doit aux Puissances qu'il a établies. C'est toujours Nosseigneurs les Ours, Nosseigneurs les Chevaux, Sultan Léopard, Dom Coursier; et les parens du Loup, gros Messieurs qui l'ont fait apprendre à lire. Ne voit-on pas qu'il vit avec eux, qu'il s'est fait leur concitoyen, leur ami, leur confident?

Oui;

Oui, sans doute, leur ami. Il les aime véritablement; il entre dans tous leurs intérêts; il met la plus grande importance à leurs débats. Ecoutez la Belette et le Lapin plaidant pour un terrier. Est-il possible de mieux discuter une cause? Tout y est mis en usage, coutume, autorité, droit naturel, généalogie. On y invoque les dieux hospitaliers. Ce sérieux, qui est si plaisant, excite en nous ce rire de l'ame que feroit naître la vue d'un enfant heureux de peu de chose. Ce sentiment doux, l'un de ceux qui nous font le plus chérir l'enfance, nous fait aussi aimer La Fontaine.

La plupart de ses fables sont des scènes parfaites pour les caractères et le dialogue. Tartufe parleroit-il mieux que le Chat pris dans les filets, qui conjure le Rat de le délivrer, l'assurant qu'il l'a toujours aimé comme ses yeux, et qu'il étoit sorti pour aller faire sa prière, comme tout dévot Chat en use les matins ? Dans cette fable sublime des Animaux malades de la peste, quoi de plus parfait que la confession de l'Ane? Comme toutes les circonstances sont faites pour atténuer sa faute !

La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,

Quelque Diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.

Comment tenir à ces traits-là? On en citeroit cent de de cette force. Mais il faut s'en rapporter à la mémoire et au goût de ceux qui aiment La Fontaine; et qui ne ne l'aime pas ?

Cet intérêt qu'il prend à ses personnages et qui nous divertit, paroît quelquefois sous une autre forme, et devient attendrissant; comme dans cette belle fable, où le Serpent accusé d'ingratitude, invoque le témoignage de Tome I

la Vache. Les plaintes de celles-ci peuvent-elles être plus touchantes? Elle rappelle tous ses services :

Enfin me voilà vieille; il me laisse en un coin,

Sans herbe s'il vouloit encor me laisser paître !

:

Mais je suis attachée, et si j'eusse eu pour maître
Un Serpent, eût-il su jamais pousser si loin
L'ingratitude?

Quel langage! Peut-on n'en être pas ému? Le cœur ne vous parle-t-il pas en faveur de l'animal qui se plaint? Le fabuliste fait de ses Animaux ce qu'un dramatique habile fait de ses Acteurs. Il observe les mêmes convenances dans le ton et dans les mœurs; et l'intérêt, et l'illusion ne sauroient aller plus loin.

A tant de qualités qui dérivent d'un genre d'esprit qui lui étoit particulier, de sa manière de concevoir et de sentir, de son imagination facile et flexible, se joint le charme inexprimable de son style, don qui couronne tous les autres; don précieux de la Nature, qui l'avoit créé grand Poète. C'est ici peut-être que l'on pourroit attendre des idées générales sur la manière d'écrire la fable. Mais les préceptes ennuient et les modèles instruisent. 11 ne sied bien qu'aux maîtres de donner des leçons de l'art qu'ils exercent. Je trouve très-bon que Cicéron parle d'éloquence en orateur, et qu'Horace parle en poète de poésie et de goût. Mais quand le génie a trouvé les beautés, que m'importe le rhéteur qui vient leur donner des noms? Quand on aura fait la poétique de la fable, le fabuliste paroît qui vous dit à peu près comme le Lacédémonien cité plus d'une fois ce qu'on a bien dit, je le fais cent fois mieux ; et cet homme, c'est La Fontaine.

Patru, dit-on, vouloit le détourner de faire des

fables (1). Il ne croyoit pas que l'on pût égaler dans notre langue l'élégante briéveté de Phédre. Je conviendrai que notre langue est essentiellement plus lente dans sa marche que celle des Romains. Aussi La Fontaine ne se propose-t-il pas d'être aussi court dans ses récits que le fabuliste Latin. Mais sans parler de tant d'avantages qu'il a sur lui (2), il me semble que si La Fontaine

(1) C'est La Fontaine qui nous apprend cette particularité au commencement de la Préface de ses Fables. On peut voir à-propos de ce conseil de Patru, les sages réflexions de l'abbé d'Olivet. (Dans son Hist. de l'Acad. franç. p. 188, éd. de Paris, 1730.)

(2) Un écrivain moderne a rendu ainsi la différence entre le génie de Phèdre et celui de La Fontaine. Accoutumé dès l'enfance à regarder les Anciens comme ses maîtres, à croire que le terme où ils s'étoient arrêtés dans tous les genres étoit le dernier, et qu'il n'y avoit rien au-delà, il a pu, par une suite de cette prévention habituelle, mal juger de la distance à laquelle il voyoit ces objets si imposans; et c'est ce qui a fait dire à Fontenelle ce mot plaisant, et qui exprime si finement l'extrême simplicité de La Fontaine, que cet auteur ne le cédoit ainsi à Phèdre que par bêtise. En effet, il suffit pour s'en convaincre, de comparer un moment entre eux ces deux poètes. - Phèdre n'a ni la vérité, ni l'enjouement, ni la naïveté de La Fontaine trois qualités essentielles, dont la dernière sur-tout convient particulièrement à la fable. Il est moins rapide et moins vif que lui dans ses récits. Son style pur et concis, mais uniforme, froid et sans couleur, a je ne sais quoi de grave et de sévère qui convient mieux au genre didactique qu'à l'apologue, où il faut de la facilité, et même une sorte de négli gence et de familiarité qui a sa limite invariable, comme tout ce qui est bien dans quelque genre que ce soit. Il ne connoît ni l'art d'intéresser ses lecteurs par des images qui leur rappellent des sensations douces, ou par la peinture des phénomènes de la nature, aussi difficiles à observer qu'à décrire, ni celui d'indiquer d'un mot des rapports secrets entre les objets les plus éloignés, et de faire sortir de ces rapprochemens ingénieux une moralité

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