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restée toute entière. Il en a trouvé le secret, et l'a gardé. Il n'a jamais été ni imitateur, ni imité. A ce double titre, quel homme peut se vanter d'être plus original?

Cette qualité, quand elle se rencontre dans les ouvrages, tient nécessairement au caractère de l'auteur. Un homme très-recueilli en lui-même, se répandant peu au dehors, rempli et préoccupé de ses idées, presque toujours étranger à celles qui circulent autour de lui, doit demeurer tel que la nature l'a fait. S'il en a reçu un goût dominant, ce goût ne sera jamais ni affoibli, ni partagé. Tout ce qui sortira de ses mains aura un trait particulier et ineffaçable. Ceux qui le chercheront hors de son talent ne le retrouveront plus. Molière si gai, si plaisant dans ses écrits, étoit triste dans la société. La Fontaine, ce conteur si aimable la plume à la main, n'étoit plus rien dans la conversation. Ainsi tout est compensé en tout genre, et toute perfection tient à des sacrifices. Pour être un peintre si vrai, il falloit que Molière fût porté à observer, et l'observation rend triste. Pour s'intéresser si bonnement à Jeannot Lapin et à Robin Mouton, il falloit avoir le caractère d'un enfant, qui, préoccupé de ses jeux, ne regarde

ses bonnes fables, et elles sont en grand nombre, où l'on ne trouve quelques-uns de ces mots de sentiment, quelques-unes de ces idées générales qui semblent jetées au hasard, et dont la délicatesse ou la profondeur porte l'esprit à la méditation, ou dispose l'ame à une mélancolie qui n'est pas sans un grand plaisir. Ce sont toutes ces qualités réunies qui rendent La Fontaine inimitable; c'est par elles qu'il captive, qu'il entraîne ses lecteurs; et l'on n'est jamais tenté de demander s'il a puisé dans son propre fonds ou dans une autre source les sujets qu'il a traités.

pas autour de lui, et La Fontaine étoit distrait (1). C'est en s'amusant de son talent, en conversant avec ses bons amis les animaux, qu'il parvenoit à charmer ses lecteurs auxquels peut-être il ne songeoit guères. C'est par cette disposition qu'il devint un conteur si parfait. Il prétend quelque part que Dieu mit au monde Adam le

(1) Champfort a aussi analisé, mais avec plus de développement, les rapports qui existent entre Molière et La Fontaine.

Sans méconnoître l'intervalle immense qui sépare l'art si simple de l'Apologue et l'art si compliqué de la Comédie, j'observerai, pour être juste envers La Fontaine, que la gloire d'avoir été avec Molière le peintre le plus fidèle de la nature et de la société, doit rapprocher ici ces deux grands hommes. Molière, dans chacune de ses pièces, ramenant la peinture des mœurs à un objet philosophique, donne à la comédie la moralité de l'apologue. La Fontaine, transportant dans ses fables la peinture des mœurs, donne à l'apologue une des grandes beautés de la comédie, les caractères. Doués tous les deux au plus baut degré du génie d'observation, génie dirigé dans l'un par une raison supérieure, guidé dans l'autre par un instinct non moins précieux, ils descendent dans le plus profond secret de nos travers et de nos foiblesses; mais chacun, selon la double différence de son genre et de son caractère, les exprime différemment. Le pinceau de Molière doit être plus énergique et plus ferme ; celui de La Fontaine plus délicat et plus fin. L'un rend les grands traits avec une force qui le montre comme supérieur aux nuances; l'autre saisit les nuances avec une sagacité qui suppose la science des grands traits. Le poète comique semble s'être plus attaché aux ridicules, et a peint quelquefois les formes passagères de la société; le fabuliste semble s'adresser davantage aux vices, et a peint une nature encore plus générale. Le premier me fait plus rire de mon voisin; le second me ramène plus à moimême. Celui-ci me venge davantage des sottises d'autrui; celui-là me fait mieux songer aux miennes. L'un semble avoir vu les ridicules comme un défaut de bienséance choquant pour la société ; l'autre avoir vu les vices comme un défaut de raison choquant pour nousmêmes. Après la lecture du premier, je crains l'opinion publique;

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nomenclateur, lui disant: te voilà; nomme. On pourroit dire que Dieu mit au monde La Fontaine le conteur, lui disant : te̱ voilà ; conte.

Ce don de narrer, il l'appliqua tour-à-tour à deux genres différens, à l'apologue moral, qui a l'instruction pour but, et au conte plaisant, qui n'a pour objet que d'amuser. Il réussit au plus haut dégré dans tous les deux. Parlons d'abord du premier. C'est celui sur lequel il convient de s'étendre davantage; c'est le plus important, le plus parfait; c'est la principale gloire de La Fontaine, et cette gloire n'est mêlée d'aucun reproche.

L'homme a un penchant naturel a entendre raconter. La Fable pique sa curiosité et amuse son imagination. Elle est de la plus haute antiquité. On trouve des paraboles dans les plus anciens monumens de tous les peuples. Il semble que de tous temps la vérité ait eu peur des hommes, et que les hommes aient eu peur de la vérité. Quel que soit l'inventeur de l'apologue, soit

après la lecture du second, je crains ma conscience. Enfin, l'homme
corrigé par Molière, cessant d'être ridicule, pourroit demeurer
vicieux; corrigé par La Fontaine, il ne seroit plus vicieux ni ridi-
cule il seroit raisonnable et bon; et nous nous trouverions ver-
tueux,
comme La Fontaine étoit philosophe, sans nous en douter.
Tels sont les principaux traits qui caractérisent chacun de ces grands
hommes; et si l'intérêt qu'inspirent de tels noms me permet de
joindre à ce parallèle quelques circonstances étrangères à leur mé-
rite, j'observerai que nés l'un et l'autre précisément à la même
époque, tous deux sans modèles parmi nous, sans rivaux, sans
successeurs, liés pendant leur vie d'une amitié constante
même tombe les réunit après leur mort, et que la même poussière
ensevelit les deux écrivains les plus originaux que la France ait
jamais produits.

la

que la raison, timide dans la bouche d'un esclave, ait emprunté ce langage détourné pour se faire entendre d'un maître, soit qu'un Sage, voulant la réconcilier avec l'amour-propre, le plus superbe de tous les maîtres, ait imaginé de lui prêter cette forme agréable et riante; quoi qu'il en soit, cette invention est du nombre de celles qui font le plus d'honneur à l'esprit humain (1), Par cet heureux artifice, la vérité, avant de se présenter aux hommes, compose avec leur orgueil, et s'empare de leur imagination. Elle leur offre le plaisir d'une découverte, leur sauve l'affront d'un reproche et l'ennui d'une leçon. Occupé à démêler le sens de la fable, l'esprit n'a pas le temps de se révolter contre le précepte. Quand la raison se montre à la fin, elle nous trouve désarmés. Nous avons en secret prononcé contre nousmêmes l'arrêt que nous ne voudrions pas entendre d'un aulre: car nous voulons bien quelquefois nous corriger; mais nous ne voulons jamais qu'on nous condamne.

A la moralité simple et nue des récits d'Esope, Phèdre joignit l'agrément de la poésie. On connoît la pureté de son style, sa précision, son élégance. Le livre de l'Indien Pilpay n'est qu'un tissu fort embrouillé de paraboles mêlées les unes dans les autres, et surchargées d'une morale prolixe, qui manque souvent de justesse et de clarté. Les peuples qui ont une littérature perfectionnée, sont les seuls chez qui l'on sache faire un livre. Si jamais on est obligé d'avoir rigoureusement

(1) Ce point de critique, qui n'a point encore été éclairci, est discuté dans notre Histoire universelle de l'Apologue, et dans nos Lettres sur la Fable, adressées à M. le chevalier de Florian, qui n'ont pas encore été publiés.

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raison, c'est surtout lorsqu'on se propose d'instruire. Vous voulez que je cherche une leçon sous l'enveloppe allégorique dont vous la couvrez. J'y consens mais si l'application n'est pas très-juste, si vous n'allez pas directement à votre but, je me ris de la peine gratuite que vous avez prise, et je laisse là votre énigme qui n'a point de mot. Quand La Fontaine puise dans Pilpay, dans Aviénus et dans d'autres fabulistes moins connus les récits qu'il emprunte, rectifiés pour le fond et la morale, et embellis de son style, forment le plus souvent des résultats nouveaux qui supléent chez lui le mérite de l'invention. On y remarque partout une raison supérieure. Cet esprit si simple et si naïf dans le récit, est très-juste et même très- fin dans la morale et les réflexions. Car la simplicité du ton n'exclut point la finesse de la pensée; elle n'exclut que l'affectation de la finesse. Veut-on un exemple d'un Eloge singulièrement délicat et de l'allégorie la plus heureuse? Lisez cette fable adressée à l'Auteur du Livre des Maximes, au célèbre La Rochefoucault. Je la choisis de préférence, parce qu'elle appartient à La Fontaine. Quoi de plus ingénieusement imaginé pour louer un Livre d'une morale piquante, qui plaît à ceux même qu'il censure, que de le comparer au cristal d'une eau transparente, où l'homme vain qui craint tous les miroirs, parce qu'il n'en a jamais trouvé d'assez flatteurs, apperçoit malgré lui ses traits, dont il veut en vain s'éloigner, et vers laquelle il revient toujours? Peut-on louer avec plus d'esprit ? Mais à quoi pensé-je? Me pardonnera-t-on de louer l'esprit dans La Fontaine? Quel homme fut jamais plus au-dessus de ce qu'on appelle esprit? Oh! qu'il possédoit un don plus éminent et plus précieux! Cet art d'intéresser pour tout ce qu'il raconte, en paroissant s'y

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