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champêtres prodiguées dans d'Urfé, devoient plaire à cette ame douce dont tous les goûts étoient toujours si près de la nature. L'imagination du conteur Bocace avoit des rapports avec celle d'un homme singulièrement né pour raconter (1). Telles étoient alors les richesses de la littérature moderne, et tels étoient aussi

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présidial de Château-Thierry, homme de bon sens, qui n'étoit pas sans goût, qui s'étoit lui-même occupé de littérature, et dont nous avons une traduction des épîtres de Sénèque, imprimée à Paris en 1681, après la mort de l'auteur, par les soins de notre poète. Pintrel loua ses essais, l'interrogea sur les écrivains dont il faisoit sa lecture, joignit les conseils aux louanges, et voulut, en lui inspirant des goûts plus solides, le guider dans la carrière où il alloit se livrer. Il lui mit dans les mains Térence, Horace, Virgile, Quintilien, comme les vraies sources du bon goût et de l'art d'écrire.

(1) Boileau a dit que pour trouver l'air naïf en français, on a quelquefois encore recours au style de Marot et de Saint-Gelais ; et c'est, ajoute-t-il, ce qui a si bien réussi au célèbre M. de La Fontaine. (Réfl. 7. sur Longin. ) Le Père Du Cerccau et l'avocat Patru ajoutoient à la liste de ses maîtres un nom célèbre dans l'histoire de notre poésie, ce Villon, dont le meilleur ouvrage a été Clément Marot. L'ingénieux Jésuite va jusqu'à prétendre que, pour la gentillesse et la naïveté, La Fontaine en avoit plus appris de Villon que de Marot même (Lett, à la suite des Œuvr. de Villon, p. 56.). Quoi qu'il en soit, notre poète s'est plu souvent à imiter ces écrivains, et à le reconnoître :

J'ai profité dans Voiture,

Et Marot par sa lecture.
M'a fort aidé, j'en conviens.
Je ne sais qui fut mon maître;
Que ce soit qui ce peut être

Vous êtes tous trois les miens;

a-t-il dit dans une lettre écrite à S. Evremont. Il ajoute : J'oubliois maître François, dont je me dis encore le disciple, aussi

les auteurs les plus familiers à La Fontaine. Ils furent ses favoris, mais non pas ses maîtres. Et quelle différence, quelle distance d'eux tous à lui! Apperçoit-on

bien que celui de maître Vincent, et celui de maître Clément : << Voilà bien des maîtres pour un écolier de mon âge ». (Œuvr. de S. Evrem. T. IV. p. 452.) Il avoit aussi beaucoup profité de la lecture de nos anciens fabliaux; ce qui a fait dire au célèbre comte de Caylus: Je ne crains point d'avancer que la Fontaine n'eût point été ce qu'il sera éternellement, c'est-à-dire, un auteur d'un goût exquis, s'il n'avoit puisé des exemples et des modèles dans ces sources (Mém. de l'Ac. des Belles-Lettres, T. XX.). Mais de tous ceux qui ont ranimé en France l'amour des lettres, Rabelais étoit celui qu'il préféroit. Cet écrivain ingénieux, que Boileau appeloit la Raison habillée en masque, faisoit ses délices: on dit même qu'il l'admiroit follement. Quoi qu'il en soit, il est aisé de voir qu'un homme du caractère de La Fontaine devoit se plaire beaucoup à la lecture d'un ouvrage où l'on trouve des connoissances très-variées, une érudition vaste, un style original, des principes de politique et de morale très-sensés, quelquefois même très-sévères, une critique très - fine, vive et enjouée des ridicules et des vices du temps, une infinité de contes, d'anecdotes et de plaisanteries de très-bon goût et du meilleur ton qu'on aime toujours à se rappeler, et qu'on n'entend jamais citer sans plaisir.

Quant aux autres auteurs Français, il en lisoit peu, se divertissant mieux, disoit-il, avec les Italiens. « Mais ce qu'on ne » s'imagineroit pas, dit l'historien de l'Académie, il faisoit ses » délices de Platon et de Plutarque. J'ai tenu les exemplaires qu'il >> en avoit ; ils sont notés à chaque page». Ces philosophes, dont le premier étoit pour lui le plus grand des amuseurs, contribuèrent à former son jugement, à régler ses opinions. Cette raison saine et pure qui brille dans la plupart de ses fables; cet amour de l'ordre ou du beau en général, qui, selon l'expression d'un ancien, n'est que l'éclat du beau, decor, splendor boni, il les puisa, ou plutôt il les perfectionna dans leurs mâles écrits. C'est le précepte d'Horace mis en action: on sait qu'il recommande expressément aux poètes la lecture des philosophes, comme d'excellens guides

dans ses ouvrages un trait qui ait l'air d'être emprunté? Tout n'est-il pas empreint d'un caractère particulier ? Oui, sans doute, et c'est la première qualité qui se présente d'abord dans son Eloge, son originalité (1).

en morale, et les seuls dont les leçons, jointes à celles de l'expérience que rien ne peut suppléer, puissent les avancer vers la connoissance de l'homme et de ses rapports, et élever leur esprit à des vérités générales non moins utiles, et sans lesquelles leurs vers, vides d'idées, ne sont que des bagatelles harmonieuses;

Versus inopes rerum, nugæque canora.

(1) Quoique les pièces fugitives par lesquelles il se fit connoître offrent des détails agréables et des vers heureux, elles ne peuvent servir qu'à mesurer la distance qui les sépare de ses fables, auxquelles il doit presque toute sa réputation, ou du moins la partie la plus brillante et la mieux assurée de cette réputation. C'est là que, donnant un libre essor à son génie, on le vit tout-àcoup, s'éveillant comme d'un profond sommeil, ouvrir aux yeux de son siècle une source féconde de plaisir et d'instruction, se frayer de nouvelles routes dans une cartière où les Anciens l'avoient devancé, annoncer un talent plus rare encore, celui d'être naturel et original même en imitant, et porter son art à un degré de perfection que personne encore n'a pu atteindre. Voici comme il en parle dans son épître à M. Huet:

Quelques imitateurs, sot bétail, j'en conviens,
Suivent en vrais moutons le Pasteur de Mantoue,

J'en use d'autre sorte, et me laissant guider,
Souvent à marcher seul j'ose me hasarder.
On me verra toujours pratiquer cet usage.
Mon imitation n'est point un esclavage :
Je ne prends que l'idée, et les tours et les lois
Que nos maîtres suivoient eux-mêmes autrefois.
Si d'ailleurs quelque endroit plein chez eux d'excellence
Peut entrer dans mes vers sans nulle violence,
Je l'y transporte et veux qu'il n'ait rien d'affecté,
Tâchant de rendre mien cet air d'antiquité.

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Tous les esprits agissent nécessairement les uns sur les autres, se prennent et se rendent plus ou moins, se fortifient ou s'altèrent par le choc mutuel, s'éclairent ou s'obscurcissent par la communication des vérités ou des erreurs se perfectionnent ou se corrompent par l'attrait du bon goût, ou par la contagion du mauvais ; et de là ces rapports inévitables entre les productions du talent " quand le temps les a multipliées. Il seroit même possible qu'il se formât un esprit, qui seroit la perfection de tous les esprits, qui, empruntant quelque chose de chacun, vaudroit mieux que tous; et cette espèce de génie, ce beau présent du ciel, ne pourroit être réservé qu'au siècle qui suivroit celui de la renaissance des arts, et dans lequel la dernière opération de l'esprit humain seroit de se replier sur ses créations premières, de calculer et de juger ses richesses, et de se rendre compte de ses efforts. Il est un autre genre de gloire, rare dans tous les temps, même dans celui où les arts commençant à refleurir, chaque homme se fait son partage et se saisit de sa place; un attribut inestimable, fait pour plaire à tous les hommes, par l'impression qu'ils desirent le plus, celle de la nouveauté : c'est ce tour d'esprit particulier qui exclut toute ressemblance avec les autres; qui imprime sa marque à tout ce qu'il produit; qui semble tirer tout de lui-même, en donnant une forme nouvelle à tout ce qu'il emprunte; toujours piquant, même dans ses irrégularités, parce que rien ne seroit irrégulier comme lui; qui peut tout hasarder, parce que tout lui sied; qu'on ne peut imiter, parce qu'on n'imite point la grâce; qu'on ne peut tra— duire en aucune langue, parce qu'il en a une qui lui est propre. Esope, Phèdre, Pilpay avoient fait des fables. Un homme vient qui les prend toutes, et ces fables ne

sont plus celles d'Esope, de Phèdre, de Pilpay; ce sont celles de La Fontaine. On nous crie: il n'a presque rien inventé. Il a inventé sa manière d'écrire, et cette invention n'est pas devenue commune (1). Elle lui est

(1) Il est bien démontré aujourd'hui que La Fontaine n'a rien inventé, c'est-à-dire, qu'aucun des sujets de ses fables ne lui appartient. Nous en offrons la preuve à chaque page de ce recueil. Mais, sans prétendre diminuer en rien le mérite des premiers inventeurs, dont la gloire est assurée par l'admiration constante de tant de siècles, j'ose dire qu'il faut peut-être autant d'imagination, et même de génie, pour imiter comme La Fontaine, que pour inventer comme les anciens fabulistes. Il a invente sa manière d'écrire, et cette invention n'est pas devenue commune. Ceux qui méprisent la grace du style ne connoissent pas assez les hommes, et ne sont pas assez jaloux de lenr être utiles; ils entendent aussi mal l'intérêt de leur réputation que celui de la vérité: ils pensent; mais n'ayant pas le talent, peut-être plus rare encore, d'écrire avec cette élégance toujours soutenue, ce nombre et cette harmonic dont le charme est irrésistible, ils rendent mal leurs pensées, et sont bientôt oubliés. Fontenelle, en s'emparant du travail de VanDale, lui en a ravi pour jamais la gloire : un jour viendra que le nom de ce savant médecin, déjà presque ignoré parmi nous, sera aussi inconnu que ses ouvrages, tandis que la voix de l'écrivain enchanteur qui a fait naître des fleurs dans un terrain riche, à la vérité, mais hérissé de ronces et d'épines qu'il a arrachées, scra entendue dans l'avenir.

Mais ce n'est pas le seul avantage qu'il ait sur ses modèles; il les surpasse encore dans l'art de pallier l'invraisemblance de ses contes, et de donner à ses mensonges ingénieux tout l'intérêt dont la vérité est susceptible. J'ajoute que sous un titre frivole, et sans négliger aucune des grâces et des beautés de détail que ce genre exige, et qui lui sont propres, cet ouvrage est peut-être un de ceux où l'intervalle immense qui sépare l'homme d'esprit de l'homme de génie est le plus souvent et le plus fortement marqué. Il y a peu de

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