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et de la gaîté au bon sens; sublime dans sa naïveté, et charmant dans sa négligence; sur un homme modeste qui a vécu sans éclat en produisant des chefs-d'œuvre, comme il vivoit avec sagesse, en se livrant dans ses écrits à toute la liberté de l'enjouement; qui n'a jamais rien prétendu, rien envié, rien affecté ; qui devoit être plus relu que célébré, et qui obtint plus de renommée que de récompense; homme d'une simplicité rare, qui, sans doute, ne pouvoit pas ignorer son génie, mais ne l'apprécioit pas, et qui même, s'il pouvoit être témoin des honneurs qu'on lui rend aujourd'hui, seroit étonné de sa gloire, et auroit besoin qu'on lui révélât le secret de son mérite.

Une illustre Académie a proclamé La Fontaine, et toutes les voix ont applaudi. Pour le louer, l'homme sensible a desiré d'avoir du talent, et le talent a souhaité de s'approcher du génie. Un étranger généreux semble s'être chargé d'offrir à sa mémoire les tributs de l'Europe lettrée, en enrichissant la couronne de l'orateur (1). Il s'est honoré, sans doute; mais pouvoit-il ajouter à l'émulation? Quiconque est digne de louer La Fontaine, peut-il le louer autrement que pour luimême? Ses Panégyristes sont récompensés d'avance en le lisant. Il est doux de parler de ses plaisirs. Mais ces

(1) Ce fut M. Necker qui demanda à l'Académie de Marseille la permission d'ajouter la somme de 2,000 liv. à la médaille académique. Le prix fut décerné à M. de Champfort, dont le discours est imprimé dans l'édition des trois Fabulistes, publiée par le savant et estimable professeur, M. Gail. En rendant justice au talent qui éclate dans l'ouvrage de M. Champfort, nous rappellerons que d'Alembert trouvoit dans celui-ci plus de littérature, et assurément, pouvons-nous ajouter, autant d'esprit et d'éloquence.

plaisirs

plaisirs sont ceux de l'ame et du goût. Est-il si facile de s'en rendre compte? Définit-on ce qui nous plaît ? Peut-on discuter ce qui nous charme ? Quand nous croirons avoir tout dit, le lecteur ouvrira La Fontaine, et se dira qu'il en a senti cent fois davantage; et peutêtre, si ce génie heureux et facile pouvoit lire ce que nous écrivons à sa louange, peut-être nous diroit-il, avec son ingénuité naturelle: Vous vous donnez bien de la peine pour expliquer comment j'ai su plaire; il m'en coûtoit bien peu pour y parvenir.

Tome I

b

PREMIÈRE PARTIE,

L'ENFANCE et l'éducation de La Fontaine n'ont rien de remarquable (1). Il est du nombre des Génies qui n'ont point eu d'aurore, et qui du moment où ils ont été avertis de leur force, se sont élevés à la hauteur où ils devoient atteindre, pour n'en plus descendre jamais. Nous observerons seulement que sa naissance fut placée près de celle de Molière, comme si la Nature eût pris plaisir à produire presque en même temps les deux esprits les plus originaux du siècle le plus fécond en grands hommes. Il avoit atteint l'âge de vingt-deux ans (2), et

(1) Jean de La Fontaine étoit né à Château-Thierry, le 8 juillet 1621. Son père, qui se nommoit aussi Jean de La Fontaine, issu d'une ancienne famille bourgeoise, y exerçoit la charge de maître particulier des eaux et forêts. Sa mère, Françoise Pidoux, étoit fille du bailli de Coulomiers, petite ville à treize lieues de Paris. Les premières annnées de la vie du célèbre poète n'eurent rien de remarquable, rien qui parût annoncer ce qu'il devoit être un jour. Elevé par des maîtres de campagne, bien éloignés d'avoir, comme Socrate, l'art de faire enfanter les esprits, et d'en deviner, par une finesse de tact et d'instinct très-difficile à acquérir, le caractère propre et particulier, il dut à leurs instructions quelques connoissances du latin : ce fut là tout l'emploi de sa première jeunesse, qui ne fut guères qu'un long sommeil.

(2) Son caractère ne s'étoit pas plus déclaré que son génie. A l'âge de dix-neuf ans, il avoit paru s'occuper du dessein d'entrer dans l'Oratoire, mais bientôt il y avoit renoncé. Jeté dans le monde sans choix d'occupation et sans aucune vue particulière, décoré plutôt que revêtu de la charge que son père exerçoit, il se laissa marier à Marie Héricart, fille d'un lieutenant au bailliage royal de la Ferté-Milon. De ce mariage est né un fils dont la postérité

:

son talent pour la poésie, celui de tous qui est le plus prompt à se manifester, parce qu'il appartient plus immédiatement à la nature, et qu'il dépend moins de la réflexion, n'étoit pas même encore soupçonné. C'est une tradition reçue, qu'une Ode de Malherbe qu'on lut devant lui, fit jaillir les premières étincelles de ce feu qui dormoit. Le jeune homme parut frappé d'un sentiment nouveau; il sembloit qu'il eût attendu le moment de dire je suis poète. Il le fut dès-lors en effet. C'étoit le temps où tout naissoit en France. Nourri de la lecture des Auteurs anciens, il trouvoit peu de modèles dans ceux de Mais en avoit il besoin ? Doué de facultés si heureuses, mais peu porté à les interroger, par une suite de cette indolence, l'un de ses caractères particuliers, il falloit seulement qu'on l'instruisît de ce qu'il pouvoit. Quelques stances de Malherbe lui apprirent, en flattant son oreílle, combien il étoit sensible au plaisir de l'harmonie (1). L'harmonie

son pays.

subsiste. Il s'étoit soumis à cet arrangement plutôt par indolence que par goût. Aussi ne remplissoit-il qu'avec indifférence les fonctions de sa charge, dont il resta titulaire pendant plus de vingt ans. Pour son mariage, il s'en fallut beaucoup qu'il y trouvât une source de délices. Sa femme joignoit à la beauté beaucoup d'esprit ; mais son humeur chagrine et sa vertu farouche faisoient avec les agrémens de sa figure un contraste frappant, qui la fait reconnoître dans ces vers de la Nouvelle de Belphegor :

Belle et bien faite.

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Mais d'un orgueil extrême,

Et d'autant plus que de quelque vertu
Un tel orgueil paroissoit revêtu.

(1) Le père de la Fontaine aimoit la poésie, quoiqu'il ne fit point de vers; mais il aimoit à en lire à son fils, pour l'exciter à l'étude, Ses instances n'avoient pu rien gagner encore sur le jeune

est la langue du poète; il sentit que c'étoit la sienne. La gaîté qu'il trouva dans Rabelais éveilla dans lui cet' enjouement si vrai qui anime tous ses écrits. Il aimoit à trouver dans Marot des traces de cette naïveté dont luimême devoit être le modèle. Les images pastorales et

homme, déjà parvenu à l'âge de vingt-deux ans, lorsqu'une harmonie nouvelle, dont le charme lui étoit inconnu, vint frapper son oreille étonnée, et lui révéler le secret de son génie. Un officier alors en garnison à Château-Thierry, lut devant lui, par occasion, l'ode de Malherbe, qui commence par ce vers :

Que direz-vous, races futures, etc.

La Fontaine écouta avec des transports mécaniques de joie, d'admiration et d'étonnement, cette lecture faite d'ailleurs d'une manière emphatique. Ces sortes de hasards ne sont que pour les hommes de génie ; ils n'agissent point sur les esprits vulgaires : c'est l'étincelle qui embrâse la poudre, et qui s'éteint sur la pierre.

Ses premiers essais dans un art où il devoit bientôt surpasser ses modèles, furent autant d'imitations fidelles des beautés, des défauts mêmes de celui qu'il avoit pris pour maître, et sur les traces duquel il fut près de s'égarer. C'est lui-même qui nous l'apprend dans son Epitre à M. Huet, en lui envoyant un Quintilien de Toscanella :

Je pris certain Auteur autrefois pour mon maître;
Il pensa me gâter: à la fin, grace aux Dieux,

Horace par bonheur me dessilla les yeux.

L'Auteur avoit du bon, du meilleur ; et la France

Estimoit dans ses vers le tour et la cadence.

Qui ne les eût prisés ? J'en demeurai ravi.

Mais ces traits ont perdu quiconque l'a suivi.

Glorieux de ses premières productions, La Fontaine voulut en accroître la jouissance, en se donnant des témoins. Son père fut le premier qui les vit, et le bonhomme en pleura de joie. Dans l'ivresse de ce premier succès, il fut chercher encore l'approbation d'un de ses parens, nommé Pintrel, procureur du roi au

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