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si vous me laissez la vie. Conservez-la pour moi, même en me mettant en croix. (Sénèque, ép. 101, trad. de M. Lagrange, T. II. p. 321). Mais le philosophe rappelle ce voeu de Mécene dans un sens bien différent de celui du poète. « Que souhaiter, dit-il à un pareil homme, sinon que les Dieux l'exaucent? O honte ineffaçable de ces vers efféminés! Monument odieux de la crainte la plus folle! Etoit-ce ainsi que Virgile mendioit la vie, lorsqu'il s'écrioit est-ce donc un si grand malheur que de mourir? Usque adeòne mori miserum est? (Eneid. L. XII. v. 646.) Qu'est-ce que vivre de cette manière? C'est mourir long-temps. » A qui appartient-il de prononcer entre Sénèque et La Fontaine ? A la nature et à l'expérience.

M. de Champfort ne dit pas un mot de cette fable non plus que de la suivante. Pourquoi?

(Note de la Fontaine à la suite de cette fable). Ce sujet a été traité d'une autre façon par Esope, comme la fable suivante le fera voir. Je composai celle-ci pour une raison qui me contraignoit de rendre ainsi la chose générale; mais quelqu'un me fit connoître que j'eusse beaucoup mieux fait de suivre mon original, et que je laissois passer un des plus beaux traits qui fût dans Esope. Cela m'obligea d'y avoir recours. Nous ne saurions aller plus loin que les anciens; ils ne nous ont laissé pour notre part que la gloire de les bien suivre. Je joins toutefois ma fable à celle d'Esope; non que la mienne le mérite, mais à cause du mot de Mécénas que j'y fais entrer, et qui est si beau et si à propos, que je n'ai pas cru le devoir omettre.

FABLE XVI.

La Mort et le Bûcheron.

(Avant La Fontaine). GRECS. Esope, f. 20. LATINS. Faerne, fab. 20. Tanaquill. faber ex Lockmanno (Tannegui-Lefebvre, père de la célèbre madame Dacier, fable trad. de l'arabe de Lockman), fab. 14.

UN pauvre Bûcheron, tout couvert de ramée (1),

des ans

Sous le faix du fagot, aussi bien que
Gémissant et courbé, marchoit à pas pesans,
Et tâchoit de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'efforts et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde (2)?
En est il un plus pauvre en la machine ronde?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos (3):
Sa femme, ses enfans, les soldats, les impôts,
Le créancier et la corvée,

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder;
Lui demande ce qu'il faut faire,
C'est, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois; tu ne tarderas guère.

Le trépas vient tout guérir (4);
Mais ne bougeons d'où nous sommes.
Plutôt souffrir que mourir,

C'est la devise des hommes.

(Depuis La Fontaine ). LATINS. Jaius (le P. Le Jeai ), Bibliothec. Rhetor. T. II. pag. 740. Desbillons, L. II. fab. 10. FRANC. Boileau (dans ses Mélanges dePoésie). Rousseau (J. B.), Mélanges de Poésie. Voyez aussi fables de M. l'abbé Aubert, le Laboureur et la Terre (*), L. V. fab. 15. Dans une nouvelle fable du même, sous le titre le Roi et le Bûcheron, l'amitié est le charme qui rappelle le vieillard à la vie. Fables en chansons, L. IV. fab. 35. ITAL. Grillo, fav. 8.

:

OBSERVATIONS DIVERSES.

(1) Un pauvre bûcheron tout couvert de ramée,.

Sous le faix, etc. Quel tableau! pas un mot qui ne soit une image; pas un trait qui n'ajoute à la beauté de l'ensemble. Quelle force dans les couleurs! et sur-tout quelle savante progression dans la peinture de ces charges diverses sous lesquelles gémit le pauvre vieillard c'est le bois, c'est l'âge, c'est la misère, c'est tout à la fois. On est ému, attendri, à l'aspect de tant d'infortune! Ramée, vieux mot. Clém. Marot:

L'autre à sa dame estandoit la ramée.

(Temple de Cupido).

Sous le faix du fagot. C'est bien assez, c'est déjà trop de ce seul fagot pour l'écraser, tant les ans et ses longs malheurs l'ont rendu foible! Gémissant et courbé, marchoit à pas pesans. La marche de ce vers est lente et pénible comme celle du Bûcheron. Enfin, n'en pouvant plus d'efforts et de douleur. Ge dernier trait achève le tableau et le rend admirable. C'est la nature qui succombe; elle a épuisé jusqu'à ses derniers efforts. Que David ait à représenter cette scène, il ne lui reste plus rien à imaginer : seulement qu'il copie La Fontaine, et l'art comptera un chefd'œuvre de plus. Pour faire son Jupiter, Phidias n'eut qu'à imiter Homère.

(2) Quel plaisir a-t-il eu, etc. Combien ce monologue est touchant! L'homme qui souffre seroit moins malheureux, sans

(*) Dans cette imitation, le Laboureur invoque un tombeau; la terre ouvre son sein pour l'y recevoir; il recule d'horreur, et retourne bien vite à sa charrue. - Qu'est-ce que le sein de la terre peut avoir d'effrayant pour un Laboureur?

doute, s'il pouvoit se dérober au sentiment de son malheur. Mais non, ce n'est pas encore assez que le présent l'accable; il faut que sa mémoire elle-même s'arme contre lui. Si du moins ses souvenirs lui offroient quelque aspect moins lugubre! Non : pas un plaisir dont l'image riante mêle une distraction légère au spectacle de ses maux, dont la longue énumération embrasse tous les momens de sa vie.

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(3) Point de pain quelquefois, et jamais de repos. Ce vers est parfait. Que d'idées exprimées dans aussi peu de mots! Sans cesse mourir de faim ou mourir de fatigue ! A-t-il eu tort de croire qu'il n'en est pas, pas un, plus pauvre ici bas?

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(4) Le trépas vient tout guérir, etc. Cette fable, un des chefsd'oeuvre de l'apologue français, est terminée par une réflexion fine et profonde, dont la vérité, fondée sur l'expérience, peut être contestée par quelques individus, trop peu nombreux pour faire exception à la règle générale, mais dont tout homme qui voudra être sincère avec lui-même, sentira la justesse. Invoquer la mort, dit Sénèque, c'est mentir. (Voy. Trad. des Lettres de Sénèque, par feu M. Lagrange, T. II. p. 322). Pourquoi ? parce que c'est la nature elle-même, et non l'opinion, qui repousse l'idée de la mort. Mortem horret natura, non opinio.

Comparons le même sujet traité par un homme également fameux, qui le composa dans sa plus grande force, comme nous l'apprend le fils de son illustre ami. ( Mémoires sur la vie de J. Racine, p. 123).

Fable de Boileau:

Le dos chargé de bois et le corps tout en eau,
Un pauvre Bûcheron, dans l'extrême vieillesse,
Marchoit en haletant de peine et de détresse.
Enfin, las de souffrir, jettant là son fardeau,
Plutôt que de s'en vo'r accablé de nouveau,.
Il souhaite la mort, et cent fois il l'appelle,
La Mort vient à la fin. Que veux-tu? cria-t-elle.
Qui? moi! dit-il, alors prompt å se corriger;

Que tu m'aides à me charger.

Le dos chargé de bois et le corps tout en eau,

Un pauvre Bucheron. Dans La Fontaine, c'est le corps tout

entier qui est couvert du bois qui le courbe et l'écrase. Le corps tout en eau, expression triviale.

Dans l'extrême vieillesse: hémistiche foible et languissant. On le croiroit placé là pour la rime.

Marchoit. S'il marchoit, il avoit donc encore des forces. La Fontaine prévient l'objection en ajoutant à pas pesans.

En haletant de peine et de détresse. On ne dit point haleter de peine et de détresse : on diroit haleter de fatigue; ces mots ne sont point synonymes; les premiers désignent des afflictions morales, intérieures, qui ne font point haleter.

Enfin, las de souffrir, jettant là son fardeau. La répétion du mot là, quoiqu'elle ne se fasse sentir qu'à l'oreille, est le moindre défaut de ce vers. Nous ne poursuivrons pas plus loin la comparaison ; ce qui suit est encore plus médiocre. Molière n'avoit done fait que pressentir le jugement de la postérité, quand il disoit à ses célèbres amis: Nos beaux esprits ont beau se trémousser, ils n'effaceront pas le bon - homme. (Vie de La Fontaine, en tête de l'édit. de Montenaut).

FABLE XVII.

L'Homme entre deux áges, et ses deux Maitresses.

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(Avant la Fontaine). ORIENTAUX. Pilpay, fables et contes indiens, T. III. p. 212.- -GRECS. Esope, fab. 165. Gabrias, fab. 24. — LATINS. Phèdre, Lib. II. fab. 2. Camérar. ( dans le Phèdre de Laurent) p. 100.

UN Homme de moyen âge,

Et tirant sur le grison (1),

Jugea qu'il étoit saison

De songer au mariage.

Il avoit du comptant,
Et partant (2)

De quoi choisir. Toutes vouloient lui plaire :

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