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de ses mémoires considérablement modifiés par les travaux de MM. Wilkins, Colebrooke, Wilson, etc. Aussi ce qu'il a écrit sur les religions de l'Inde peut-il être regardé maintenant comme très en arrière de l'état actuel des connaissances. Il faut faire cette remarque, non pour affaiblir en rien l'estime qui lui est due, mais pour avertir ceux qu'une si grande autorité pourrait subjuguer, et aussi pour s'excuser de revenir sur des sujets qu'il a traités, de remettre en discussion des problèmes qu'il avait crus éclaircis, et de tirer quelquefois des mêmes faits des conséquences toutes contraires à celles qu'il en avait déduites.

Le bouddhisme est, parmi les sectes originaires de l'Inde, celle sur laquelle, depuis cinquante années, on a rassemblé le plus de renseignements nouveaux, puisés à des sources diverses. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner si les dissertations de M. Deguignes qui s'y rapportent sont justement celles qui doivent être lues avec le plus de défiance. Il ne connaissait ni la langue dans laquelle les livres de cette religion ont été primitivement écrits, ni les traditions des Indiens qui y sont relatives, ni les fragments que Pallas et d'autres écrivains du Nord ont tirés des traductions tartares. Réduit, pour la Chine, aux seuls secours des compilateurs chinois, et, pour l'Inde et la Tartarie, aux ressources plus bornées encore que lui présentaient Abraham Roger, Lacroze, l'Alphabetum tibetanum; n'ayant aucun terme de comparaison ni pour les mots,

ni pour les doctrines, il était impossible qu'il évitât les méprises auxquelles on est toujours exposé dans des matières obscures et difficiles. Aussi les mémoires qu'il y a consacrés doivent-ils être corrigés en beaucoup d'endroits et réformés d'après les découvertes récentes. Ceux qui les prendraient actuellement pour guides s'égareraient infailliblement, et ne parviendraient pas à saisir l'esprit d'une doctrine qui a souvent été défigurée, même par ses premiers interprètes. Comme le samanéisme a depuis quelques années fixé l'attention de beaucoup de personnes, j'ai pensé qu'on me pardonnerait de présenter quelques remarques détachées sur trois mémoires1 où M. Deguignes a consigné le fruit de ses recherches sur la religion indienne, et d'en soumettre plusieurs points à une discussion nouvelle. Je m'attacherai préférablement à ceux qui ont de l'importance dans l'ensemble des doctrines bouddhiques, et qui, encore enveloppés d'obscurité il y a cinquante-cinq ans, peuvent maintenant être complétement éclaircis.

M. Deguignes avait conçu l'idée de ses Recherches dans la vue de combattre un système qui, vers 1776, commençait à se répandre, et qui consistait à placer dans l'Inde le principe et la source de toutes les religions et de toutes les connaissances de l'ancien continent. Il voulut, contre ce système, faire voir que les

1 Ils sont insérés dans le t. XL des Mém. de l'Acad. roy. des inscr. et belles-lettres.

Chinois n'avaient pas été policés par les Indiens, auxquels on attribuait une grande antiquité; que ce sentiment n'était fondé que sur de pures conjectures, et que les Indiens n'ont pu ni civiliser ni instruire les Chinois, les Égyptiens, les Chaldéens, etc. qu'ainsi il ne faut pas placer chez eux le berceau des sciences. C'était sans doute un grand et beau sujet qu'il entreprenait de traiter; mais les moyens qu'il avait à sa disposition n'étaient point en rapport avec le but qu'il avait en vue. Tant de découvertes faites depuis lui dans le champ des antiquités indiennes laissent indécises la plupart des difficultés qu'il aurait fallu résoudre. Et d'ailleurs, quand il aurait prouvé que les anciens Chinois n'avaient rien dû aux Hindous, la grande question, celle de la haute antiquité de ces derniers, ne pouvait être éclaircie par le témoignage des auteurs chinois, qui n'ont connu l'Inde qu'environ deux siècles avant Jésus-Christ, et qui, pour les temps antérieurs, n'ont recueilli que des traditions relatives à l'une des deux religions indiennes, et à celle des deux qui doit être regardée comme la plus récente.

y

Mais le titre même de ces mémoires, et plusieurs passages qu'ils contiennent, nous révèlent une méprise dont M. Deguignes n'avait pu se garantir. Il traite de la religion indienne et des livres fondamentaux de cette religion, comme s'il n'y avait eu qu'une religion dans l'Inde. « La religion indienne, dit-il, celle des << Samanéens et celle des Brahmes, est établie dans la

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« Tartarie, le Tibet et la Chine 1; » et la distinction qui semble indiquée dans la première partie de cette phrase est comme effacée dans la dernière; car la religion des Brahmes n'a jamais été établie à la Chine. La confusion entre le brahmanisme et le bouddhisme, que l'auteur avait su éviter dans un travail antérieur2, se montre perpétuellement dans le cours de ces trois mémoires, et elle s'étend aux fondateurs supposés des deux cultes: «Che-kia, dit l'auteur, est le même per<< sonnage qui est appelé par M. Dow Beass mouni, que « les Indiens regardent comme un prophète et un philosophe, qui composa ou plutôt recueillit les Vèdes3. » On voit que M. Deguignes prend ici Shâkya mouni pour Vyasa, le rédacteur des Védas. Et plus loin : « Cet état, le plus parfait enseigné par les Vèdes, est « le même que celui qui est prescrit dans les livres << des Samanéens; ce qui me porte à croire que ces « livres sont les mêmes que les Vèdes : il est constant, <«< comme on le verra dans la suite, que la doctrine est «< la même *. » En parlant d'un des livres les plus célèbres de la doctrine bouddhique, il demande si ce livre n'était pas un des Vèdes. Plus loin il transcrit le titre du Puon jo po lo mi king, et le traduit par Livre de Brahma appelé Kin kang puon jo; puis il ajoute : « Le

1 Mém. de l'Acad. roy. des inscript. et belles-lettres, t. XL, p. 187. 2 Ibid. tom. XXVI, pag. 773.

3 lbid. tom. XL,

Ibid. pag. 199.

5 Ibid.

pag. 261.

pag. 196.

«P. Pons parle d'un Vède qu'il nomme Adharvana« vedam ou Brahma-vedam, dont la doctrine était sui << vie dans le nord de l'Inde. Puisque le livre chinois <«< dont il s'agit ici est appelé le livre de Brahma, qu'il << est un des principaux livres de cette religion, et qu'il « était adopté dans le nord, il pourrait être ce Brahma« vedam ou Vedam de Brahma dont parle ce mission<< naire 1. >>

Cette supposition, comme on va voir, repose sur une conjecture erronée. Po lo mi ou po lo mi to n'est nullement la transcription de Brahma: c'est le mot sanscrit páramita, qui signifie l'action de parvenir à l'autre côté, de traverser un fleuve et de débarquer sur la rive. Cette expression mystique s'applique aux effets de la contemplation, qui délivre l'âme de la nécessité de mourir et de renaître, en la faisant parvenir à la condition d'un éternel repos; comme nous dirions, en la conduisant au port. Les Chinois rendent ce terme très-littéralement par les trois mots tao pi'an (pervenire ad aliam ripam), ce que M. Deguignes, par suite de sa première méprise, a encore regardé comme une traduction de Brahma 2, dont le nom signifierait, suivant lui, celui qui a su connaître les choses et parvenir à la sainteté. Or, il faut savoir que les bouddhistes distinguent dix pâramitâ, c'est-à-dire autant de manières d'arriver à l'autre bord. On y parvient par l'au

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