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expressif, dont le son l'a frappé dans les régions lointaines, nul n'ira s'aviser d'en contester la légitimité; on accueillera volontiers cette preuve de plus de la vivacité de ses impressions et de la fidélité de ses souvenirs. Ce qu'il ne faut pas, c'est qu'un modeste traducteur, ou un romancier obscur s'arrogent, au fond de leur cabinet, les priviléges qu'on acquiert en explorant les cimes du Chimborazo, ou en méditant dans les solitudes de l'Ohio. Le droit d'enrichir les langues n'appartient pas aux prolétaires de la littérature. Quand les grands écrivains en usent, ils ne font que disposer de leur bien, et c'est plus souvent à leur détriment qu'à leur avantage.

Quant aux idées nouvelles, qui sont le grand argument des partisans du néologisme, on peut se rassurer sur leur nombre et s'en rapporter d'ailleurs aux suggestions de la nécessité. Il y a des hommes qui s'agitent beaucoup à ce sujet; il semble qu'ils aient des milliers d'utiles nouveautés à nous apprendre, et qu'il ne leur faudrait que des mots pour les exprimer; et quand on leur permet d'en fabriquer, il se trouve qu'ils n'ont plus rien à dire, et que ce sont les idées qui leur manquent. Rien, sans doute, n'est plus ordinaire que de voir des vérités inconnues s'introduire dans la physique, dans les arts, dans les diverses branches du commerce et de l'industrie, par un effet des travaux répétés, de l'observation journalière et de l'expérience acquise. Mais la même chose ne se montre

pas, à beaucoup près, en morale ni même en politique; dans ces sciences, l'affluence des vérités n'a encore rien d'inquiétant. Pour tout ce qui concerne les besoins généraux des hommes et les accroissements effectifs de leur domaine intellectuel, il est permis d'adresser aux enthousiastes des lumières du siècle ces vers d'un poëte ennemi de la néologie :

La langue que parlaient Racine et Fénélon
Nous suffirait encor, si vous le trouviez bon.

C'est qu'en conscience il faut rabattre un peu de tout ce qu'on a cru découvrir depuis cinquante ans; c'est qu'on peut répéter, en présence de tant d'inventions sublimes, ce que disait je ne sais quel ouvrage philosophique : « Il «Il y a, sans contredit, beaucoup de « choses nouvelles et de choses vraies; seulement celles

<< qui sont vraies ne sont pas nouvelles, et celles qui << sont nouvelles ne sont pas vraies. »

LETTRES

SUR LE RÉGIME DES LETTRES DE LA CHINE, ET SUR

L'INFLUENCE QU'ILS ONT DANS LE GOUVERNEMENT DE

L'ÉTAT.

PREMIÈRE LETTRE.

Monsieur,

part

des idées que

Vous désirez que je vous fasse je me suis formées des lettrés de la Chine, du caractère de cette grande corporation, et de leur influence sur la constitution politique de leur pays. Vous ne trouvez, dites-vous, dans les relations ordinaires que des notions insuffisantes ou contradictoires. De grands noms vous font hésiter sur les opinions les plus opposées, et de graves autorités vous tiennent en suspens: Voltaire fait du gouvernement patriarcal de la Chine un magnifique tableau; Montesquieu peint des couleurs les plus noires le despotisme qui opprime ce malheureux empire. Vous osez croire qu'il pourrait y avoir de part et d'autre un peu d'exagération, et que la vérité pourrait, en cette circonstance comme en plusieurs autres, se trouver dans une sorte de moyen terme, à une égale distance des opinions philosophiques.

Une chose m'enhardit à vous proposer mes idées sur cette matière quand deux hommes supérieurs

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émettent sur le même sujet des avis entièrement contraires, il est permis d'examiner de nouveau ce qu'ils ont laissé indécis; peut-être même aurions-nous ici, pour suppléer à leurs lumières, quelques avantages qui ont manqué aux auteurs de l'Esprit des lois et de l'Essai sur les mœurs.

La lecture des annales de la Chine, en original, est un de ces avantages: ni Voltaire ni Montesquieu ne connaissaient l'histoire du peuple qu'ils ont jugé. C'est trop souvent un des priviléges du génie de se créer à lui-même le sujet de ses méditations, et de s'exercer ensuite à plaisir sur des faits de son invention. C'est là ce qu'on peut appeler les préjugés de la philosophie, et les deux grands hommes dont nous parlons n'en ont pas été entièrement exempts. L'un cherchant partout une antiquité qui contrariât les traditions chrétiennes, et un peuple sans religion qui pût nous être offert pour modèle, avait cru rencontrer l'un et l'autre à la Chine; et c'était là, nous n'en doutons pas, le principal motif de son admiration: l'autre voulant à tout prix confirmer par des exemples ses idées sur le principe du gouvernement despotique, n'avait vu que le bâton qui pût être le mobile de la législation chinoise. Au fond, ces idées opposées ne sont pas inconcevables; car si les Chinois avaient été tels que les supposait Voltaire, quels autres moyens que les châtiments corporels les législateurs auraientils pu employer pour les gouverner? Qui oserait assu

rer que, sans le bâton, un peuple d'athées pourrait subsister?

Heureusement, s'il y a beaucoup à rabattre des éloges qu'on a donnés à la sagesse du gouvernement chinois, il n'y a guère moins à réformer des idées qu'on s'est faites de son despotisme. Là, comme ailleurs, on observe un mélange de biens et de maux qui se balancent et qui constituent une manière d'être tolérable, une sorte de bonheur relatif, qui est le seul état auquel les hommes puissent raisonnablement prétendre sur la terre. Selon qu'on se plaira à envisales choses de l'un ou de l'autre côté, on pourra y ger prendre le texte d'une satire, ou les matériaux d'une utopie. Vous pensez bien que je n'ai pas ici cette double intention; je ne veux que vous présenter quelques traits du caractère des lettres chinois, et vous tracer une légère esquisse du régime auquel ils sont assujettis par les lois, les coutumes et les mœurs nationales. Ces lettrés, comme j'espère vous le faire voir, forment une association perpétuelle, gens æterna in qua nemo nascitur, qui se recrute indistinctement dans tous les rangs de la nation, et c'est entre les mains de cette association que résident proprement la force publique et le gouvernement de l'état. C'est au moyen de cette institution si singulière et si peu connue, qu'on a résolu le problème d'une monarchie sans aristocratie héréditaire, offrant des distinctions sans priviléges, où toutes les places et tous les honneurs

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