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SATIRE III.

UEL sujet inconnu vous trouble et vous altere? D'où vous vient aujourd'hui cet air sombre et sévere, Et ce visage enfin plus pâle qu'un rentier

A l'aspect d'un arrêt (1) qui retranche un quartier ?
Qu'est devenu ce teint dont la couleur fleurie
Sembloit d'ortolans seuls et de bisques nourrie,
Où la joie en son lustre attiroit les regards,
Et le vin en rubis brilloit de toutes parts?
Qui vous a pu plonger dans cette humeur chagrine?
A-t-on par quelque édit réformé la cuisine ?
Ou quelque longue pluie inondant vos vallons
A-t-elle fait couler vos vins et vos melons?
Répondez donc enfin, ou bien je me retire.

Ah! de grace, un moment, souffrez que je respire.
Je sors de chez un fat qui, pour m'empoisonner,
Je pense, exprès chez lui m'a forcé de dîner.
Je l'avois bien préva. Depuis près d'une année,
J'éludois tous les jours sa poursuite obstinée.
Mais hier il m'aborde, et, me serrant la main:
Ah! monsieur, m'a-t-il dit, je vous attends demain.
N'y manquez pas au moins. J'ai quatorze bouteilles.
D'un vin vieux...Boucingo (2) n'en a point de pareilles:
Et je gagerois bien que, chez le commandeur,
Villandri (3) priseroit sa seve et sa verdeur.

(1) Le roi, en ce temps-là, avoit supprimé un quartier des rentes.

(2) Fameux marchand de vin.

(3) Homme de qualité qui alloit fréquemment diner chez le commandeur de Souvré.

Moliere avec Tartuffe (1) y doit jouer son rôle;
Et Lambert (2), qui plus est, m'a donné sa parole.
C'est tout dire, en un mot, et vous le connoissez.
Quoi! Lambert? Oui, Lambert : à demain. C'est assez.
Ce matin donc, séduit par sa vaine promesse,
J'y cours, midi sonnant, au sortir de la messe.
A peine étois-je entré, que, ravi de me voir,
Mon homme, en m'embrassant, m'est venu recevoir:
Et montrant à mes yeux nne alégresse entiere,
Nous n'avons, m'a-t-il dit, ni Lambert ni Moliere;
Mais puisque je vous vois, je me tiens trop content.
Vous êtes un brave homme : entrez; on vous attend.
A ces mots, mais trop tard, reconnoissant ma faute,
Je le suis en tremblant dans une chambre haute
Où, malgré les volets, le soleil irrité

Formoit un poêle ardent au milieu de l'été.

Le couvert étoit mis dans ce lieu de plaisance,
Où j'ai trouvé d'abord, pour toute connoissance,
Deux nobles campagnards, grands lecteurs de romans,
Qui m'ont dit tout Cyrus (3) dans leurs longs com>
pliments.

J'enrageois. Cependant on apporte un potage.
Un coq y paroissoit en pompeux équipage,
Qui, changeant sur ce plat et d'état et de nom,
Par tous les conviés s'est appelé chapon.
Deux assiettes saivoient, dont l'une étoit ornée
D'une langue en ragoût, de persil couronnée ;

(1) Le Tartuffe, en ce temps-là, avoit été défendu, et tout le monde vouloit avoir Moliere pour le lui entendre réciter.

(2) Lambert, le fameux musicien, étoit un fort bon homme, qui promettoit à tout le monde de venir, mais qui ne venoit jamais.

(3) Roman de dix tomes de mademoiselle de Scuderi.

L'autre, d'un godiveau tout brûlé par dehors,
Dont un beurre gluant inondoit tous les bords.
On s'assied : mais d'abord notre troupe serrée
Tenoit à peine autour d'une table carrée,
Où chacun, malgré soi, l'un sur l'autre porté,
Faisoit un tour à gauche, et mangeoit de côté.
Jugez en cet état si je pouvois me plaire,
Moi qui ne compte rien ni le vin ni la chere,
Si l'on n'est plus au large assis en un festin,
Qu'aux sermons de Cassagne, ou de l'abbé Cotin.
Notre hôte cependant s'adressant à la troupe :
Que vous semble, a-t-il dit, du goût de cette soupe?
Sentez-vous le citron dont on a mis le jus
Avec des jaunes d'œufs mêlés dans du verjus?
Ma foi, vive Mignot et tout ce qu'il apprête !
Les cheveux cependant me dressoient à la tête:
Car Mignot, c'est tout dire, et dans le monde entier
Jamais empoisonneur ne sut mieux son métier.
J'approuvois tout pourtant de la mine et du geste,
Pensant qu'au moins le vin dût réparer le reste.
Pour m'en éclaircir donc, j'en demande : et d'abord
Un laquais effronté m'apporte un rouge-bord
D'un auvernat fumeux, qui, mêlé de lignage (1),
Se vendoit chez Crenet (2) pour vin de l'hermitage,
Et qui, rouge et vermeil, mais fade et doucereux,
N'avoit rien qu'un goût plat, et qu'un déboire affreux.
A peine ai-je senti cette liqueur traîtresse,
Que de ces vins mêlés j'ai reconnu l'adresse.
Toutefois avec l'eau que j'y mets à foison
J'espérois adoucir la force du poison.

Mais, qui l'auroit pensé! pour comble de disgrace,
Par le chaud qu'il faisoit nous n'avions point de glace.

(1) Deux fameux vins du terroir d'Orléans.

(2) Fameux marchand de vin, logé à la pomme de pin,

Point de glace, bon dieu! dans le fort de l'été!
Au mois de juin! Pour moi, j'étois si transporté,
1 Que, donnant de fureur tout le festin au diable,
Je me suis vn vingt fois prêt à quitter la table;
Et, dût-on m'appeler et fantasque et bourru,
J'allois sortir enfin quand le rôt a paru.

Sur un lievre flanqué de six poulets étiques
S'élevoient trois lapins, animaux domestiques,
Qui, dès leur tendre enfance élevés dans Paris,
Sentoient encor le chou dont ils furent nourris.
Autour de cet amas de viandes entassées

Régnoit un long cordon d'alouettes pressées,
Et sur les bords du plat six pigeons étalés
Présentoient pour renfort leurs squelettes brûlés.
A côté de ce plat paroissoient deux salades,
L'une de pourpier jaune, et l'autre d'herbes fades,
Dont l'huile de fort loin saisissuit l'odorat,

Et nageoit dans des flots de vinaigre rosat.
Tous mes sots, à l'instant changeant de contenance,
Ont loué du festin la superbe ordonnance;
Tandis que mon faquin, qui se voyoit priser,
Avec un ris moqueur les prioit d'excuser.
Sur-tout certain hableur, à la gueule affamée,
Qui vint à ce festin conduit par la fumée,
Et qui s'est dit profès dans l'ordre des côteaux (1),
A fait en bien mangeant l'éloge des morceaux.
Je riois de le voir, avec sa mine étique,
Son rabat jadis blanc, et sa perruque antique,
En lapins de garenne ériger nos clapiers,
Et nos pigeons cauchois en superbes ramiers;
Et, pour flatter notre hôte, observant son visage,

(1) Ce nom fut donné à trois grands seigneurs tenant table, qui étoient partagés sur l'estime qu'on devoit faire des vins des côteaux des environs de Reims : ils avoient chacun leurs partisans,

Composer sur ses yeux son geste et son langage:
Quand notre hôte charmé, m'avisant sur ce point :
Qu'avez-vous donc, dit-il, que vous ne mangez point?
Je vous trouve aujourd'hui l'ame tout inquiete,
Et les morceaux entiers restent sur votre assiette.
Aimez-vous la muscade? on en a mis par-tont.
Ah! monsieur, ces poulets sont d'un merveilleux
goût!

Ces pigeons sont dodus, mangez, sur ma parole.
J'aime à voir aux lapins cette chair blanche et molle.
Ma foi, tout est passable, il le fant confesser,
Et Mignot aujourd'hui s'est voulu surpasser.
Quand on parle de sauce, il faut qu'on y raffine;
Pour moi, j'aime sur-tout que le poivre y domine:
J'en suis fourni, Dieu sait! et j'ai tout Pelletier
Roulé dans mon office en cornets de papier.
A tous ces beaux discours j'étois comme une pierre,
Ou comme la statue est au Festin de Pierre ;
Et, sans dire un seul mot, j'avalois au hasard
Quelque áile de poulet dont j'arrachois le lard.

Cependant mon hableur, avec une voix haute, Porte à mes campagnards la santé de notre hôte, Qui tous deux pleins de joie, en jetant un grand cri, Avec un rouge-bord acceptent son défi.

Un si galant exploit réveillant tout le monde,
On a porté par-tout des verres à la ronde,
Où les doigts des laquais, dans la crasse tracés,
Témoignoient par écrit qu'on les avoit rincés.
Quand un des conviés, d'un ton mélancolique,
Lamentant tristement une chanson bachique,
Tous mes sots à-la-fois, ravis de l'écouter,
Détonnant de concert, se mettent à chanter.
La musique sans doute étoit rare et charmante !
L'un traîne en longs fredons une voix glapissante;
Et l'autre, l'appuyant de son aigre fausset,
Semble un violon faux qui jure sous l'archet.

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