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populaire dont on savoit les faire poursuivre. Celle peinture outrée ne prouve que la mauvaise foi de l'écrivain. Toutes ces expressions exagérées de fureur, de tyrannie, de fanatisme, de règne de la terreur, vous font peut-être peur. Vous croyez que le sang a coulé par torrens. Vous voyez des tortures, des échafauds, des supplices. Rassurez-vous. Il s'agit de quelques refus de sacremens faits à des jansenistes. Voilà ce qui excite la pieuse sensibilité de M. Azoïs. Il se moque au fond des jansénistes, et il ne croit pas aux sacremens. N'importe, il épuise tout ce que la langue a d'expressions fortes, pour soulager l'indignation dont il vent paroître pénétré. Il cherche à mouter son imagination, et à s'échauffer la bile. De quel ton parlera-t-il donc de la révolution et des horreurs qu'elle a enfantées, après avoir peint sous de si noires couleurs des disputes qui ne peuvent, sous aucun rapport, entrer en parallèle avec ce que nous avons vu? N'est-ce pas une niaiserie de venir nous dire froidement que les atrocités révolutionnaires ont été plus violentes que les querelles du jansénisme, et tout ce morceau n'est-il pas un pathos ridicule, une parade de sensibilité, une déclaration ampoulée et vide de sens?

Cependant, malgré son dévouement à la philosophie el son zèle pour la gloire des philosophes, M. Azaïs a la bonté de nous faire des concessions que nous aurions à peine osé espérer de lui. Il ne peut dissimuler les erreurs de Rousseau, et il en trouve la source dans l'esprit de républicanisme et d'opposition qui existoit, de son temps, à Genève, et dans le caractère particulier de cet homme extraordinaire. Il le peint comme dominé par son imagination. Ses talens et son orgueil, dit-il, s'élevoient à la plus haute énergie; mais ses lumières et sa raison n'étoient point augmentées. Au contraire, toujours livrée à des passions véhémentes, son ame devenoit chaque jour plus inaccessible aux informations de l'expérience et aux représentations de la raison. Dès-lors rien de fixe dans les idées, rien de sage

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dans la conduite; pour toute vertu une misanthropie farouche; quelquefois de la bonhomie, de la simplicité, de la bonté, pas un reste de nature; plus souvent de la défiance, de l'exasperation, de la barbarie, par systéme et par irritabilité; de la force dans les pensées romanesques, dans les sentimens fastueux et inapplicables; de la foiblesse dans le commerce de la vie, de L'avilissement dans les relations les plus intimes; des livres magnifiques, et des enfans à l'hôpital....... Déplorable exemple de l'effet que peuvent produire des spéculations fantastiques sur des ames ardentes! J. J. Rousseau étouffant de sang froid les premiers sentimens de l'ame pour se donner une grande ame, nonçant aux premiers devoirs pour contracter de chimériques devoirs, brisant les liens les plus sacrés de la société et de la nature pour se lier à la société par des rapports vagues el imaginaires, tarissant autour de lui même toutes les sources de plaisir, de consolation, de confiance, pour s'ouvrir au loin des sources de fausse gloire et de chagrins dévorans! C'est le besoin de célébrité qui le pressa de s'imposer une privation à jamais flétrissante pour sa mémoire........ et il prouve ainsi, d'une manière frappante, que la barbarie dans la conduite peut naître de l'erreur dans les opinions..... J. J. Rousseau n'avoit eu le temps et l'occasion d'acquérir qu'un petit nombre de connoissances; de plus il étoit né à une époque et dans une ville où fermentoit avec tumulte le mécontentement de toutes les anciennes institutions et de toutes les anciennes opinions. De là un mécontentement et une exaltation qui font que Rousseau s'abuse constamment, s'irrite contre des maux qui ne sont que des effets inévitables de causes nécessaires, méconnoît les biens nés de ces mêmes causes, et invoque avec ardeur un ordre de choses, qui, s'il étoit praticable, entraîneroit d'autres maux en même temps que d'autres biens. Il me semble qu'après de tels aveux, il y a bien de l'inconséquence à se faire le champion

de la philosophie d'un tel homme, qui offre un tel désordre dans ses idées et sa conduite.

M. Azaïs est également fort loin de reconnoître tous les torts de Voltaire; néanmoins il en dit beaucoup pour un partisan de la philosophie. Voltaire, selon lui, eut beaucoup d'esprit, mais point de génie. Son caractère vif, entreprenant et mobile, lui fournissoit l'amour propre et le zèle nécessaires à un chef de parti. Ses dé fauts mêmes concouroient à lui donner, en faveur de ce rôle, de très-grands avantages. Très-susceptible de mouvemens multipliés, courts et rapides, mais incapable d'une chaleur profonde et soutenue, il ne se laissoit point emporter par l'audace et l'enthousiasme; mais il pouvoit diriger avec adresse et aiguillonner avec vivacité les hommes, les femmes, les jeunes gens capables de s'enthousiasmer. Se possédant toujours, et connoissant très-bien les ressorts qui mettent en jou les passions humaines, né pour séduire, mais non pour commander, il conduisoit les succès de la philosophie comme une affaire ou une intrigue dans laquelle il s'agissoit de réussir, et non de s'honorer. Très habile à manier l'ironie, le sarcasme, le ridicule, il s'étoit réservé le principal emploi de celle arme pénétrante. Il usoit, méme de l'arme honteuse de la licence; il avilissoit ainsi ses talens et la littérature..... Nous devons bien regretter que ce talent, si fécond, si brillant, si déliant, se soit prostitué si fréquemment à des fonctions misérables qui flétriront à jamais sa mémoire par la manière dont il eut la foiblesse de les remplir... Mais pour cela il auroit fallu que Voltaire eût conservé le sentiment de la vraie gloire. C'est ce qui avoit été rendu très-difficile par les mœurs légères dont il avoit pris de bonne heure l'habitude. Ajoutons que son ame, beaucoup plus vive que forte, n'étoit point naturellement capabie de s'élever, ou du moins de se soutenir à une grande hauteur de pensées et de sentimens... Dans sa vieillesse, lorsqu'il sentit que ses forces l'abandonnoient, il l'ex

cita non-seulement par tous les stimulans de l'amour propre, mais par le régime le plus propre à donner une vivacité artificielle; il se précipita ainsi dans des souffrances pressées, obscures, continuelles, et il fut loin de réussir à ranimer les forces de son esprit, ce fut seulement sa mobilité qu'il augmenta. Ainsi toute composition d'une certaine étendue devint supérieure à sa puissance; ses productions en ce genre furent d'une insigne foiblesse, il n'eut plus de talent que pour le libelle et le pamphlet..... Il lui échappa même des procédés et des écrits indignes d'un honnéte homme. Sa domination, assez douce tant qu'elle reposa sur une concession générale, devint une tyrannie dès qu'on s'appréta à ne plus la reconnoitre. Il s'irrita de ne plus obtenir des hommages; il se déchaína surtout avec viólence contre les écrivains qui prononcèrent publique. ment sur ses derniers ouvrages le jugement qui, en secret, étoit déjà prononcé par son goût et sa raison. Plus d'une fois alors ses expressions, ses injures, ses ressentimens eurent l'accent de la haine. Je ne suis point assez habile pour concilier ici M. Azaïs avec luimême, et pour deviner comment il peut se faire qu'un écrivain qui n'avoit plus de talent que pour le libelle et le pamphlet, ne se soit cependant presque jamais écarté du bon sens et de la vérité, ainsi qu'il a plu à M. Azaïs de le dire.

Si cet article ne s'étoit pas déjà étendu ontre mesure, nous aurions eu plaisir à interpréter ou commenter d'autres passages de la brochure de M. Azaïs; celle, par exemple, où il dit que la philosophie touche à son terme, et que nous sommes au moment où toutes les opinions incomplètes ou fausses s'apprétent à céder la place aux pensées définitives, aux vérités éternelles, toutes choses dont on nous berce depuis si long-temps; car ces messieurs ont besoin de se réfugier dans l'avenir pour nous consoler du passé. M. Azais est un de ceux qui sont le plus épris des bienfaits futurs de la philosophie, et il

les proclame avec un ton solennel qui annonce une foi bien robuste, et avec une certaine pompe de siyle qui pourroit en imposer à plus d'un lecteur. Diderot he prouonçoit pas ses oracles avec plus d'emphase. On est surtout teuté plus d'une fois de sourire quand on voit avec quelle assurance M. Azaïs parle de lui-mêine, combien il est satisfait de ses découvertes, combien il a soin de rappeler tous ses écrits, non-seulement ceux qu'il a déjà publiés, comme les Compensations, le Systeme universel, et le Manuel du philosophe, ou Frincipes éternels, mais encore ceux qu'il publiera, s'il en a le temps, comme du Sort de l'Homme et des Peuples, et de la Mesure de liberté politique qu'il est convenable d'accorder à chacun des peuples de l'Europe. Les peuples attendent sans doute ce dernier ouvrage avec impatience; et M. Azaïs, qui a déjà amusé les savans avec ses systêmes, les gens du monde avec ses compensations, el les enfans avec ses contes, paroît encore destiné à d'autres succès. Il a découvert les lois qui régissent l'univers; la politique n'aura pas pour lui plus de secrets que la nature, et il veut bien se charger de régler les destinées des pations. Newton, moins habile, n'avoit pris que la moitié de cette tâche; mais aussi quelle distance de Newton à M. Azaïs, et combien la philoso phie imide du premier le cède au noble essor du second el à ses Principes éternels, qu'il a trouvés en se jouant, et qu'on s'obstine vainement à ne pas reconnoître! Son Systeme universel triomphera peut-être enfin quelque jour de l'oubli des uns et du mépris des autres. Les savans en rient aujourd'bui; mais M. Azaïs est bien convaincu qu'il aura son tour, et que le monde lui rendra enfin justice. S'il faut que l'estime qu'on fera de lui soit proportionnée au dédain et à l'abandon dont il gé mit actuellement, il peut compter sur la renommée la plus brillante; mais assurément son jugement philosophique n'y contribuera en rien.

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