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Jugement philosophique sur J. J. Rousseau et sur Voltaire; par M. Azaïs.

Dans les controverses religieuses et dans les guerres civiles, on voit souvent des politiques chercher à tenir le milieu entre les deux partis, et s'efforcer de les concilier par des concessions réciproques plus ou moins plausibles. Rarement ils réussissent à rapprocher les esprits. Les uns leur reprochent de sacrifier les droits de la vérité; les autres trouvent mauvais qu'on gêne leurs passions ou leurs erreurs dans leur essor; et, blâmés de tous les côtés, ces arbitres bénévoles ne recueillent de leurs soins empressés que la réputation de gens équivoques et sans principes fixes, et que le reproche d'indifférence et de froideur. M. Azais n'a-t-il point à craindre le même sort, et a-t-il pu se flatter que son Jugement philoso→ phique alloit terminer tout à coup la guerre excitée par les deux nouvelles éditions de Voltaire et de Rousseau? Ne seroit-on pas en droit de lui demander de quelle autorité il vient se constituer juge entre les combattans, et prononcer one sentence qui pourroit bien n'être pas fort respectée? Le ton quelque peu magistral avec lequel il décide, ne pourroit-il pas paroître un peu ridicule aux parties, et ne s'en trouvera-t-il pas parmi elles qui riront, et du juge, et du tribunal, et de l'arrêt? Déjà je vois que personne n'est content de M. Azaïs et de sa décision souveraine. Un journal qui a préconisé les nou velles éditions, et qui ne peut souffrir qu'on trouve le moindre tort à Voltaire, a reproché à M. Azaïs d'avoir blâmé en lui plusieurs choses, et ses concessions ont été jugées une injure contre la philosophie, et presque un attentat contre le patriarche de Ferney. D'un autre Tome XII. L'Ami de la Religion et du Rot. M

côté, M. Azaïs sera moins approuvé encore, et sa bro chure ne plaira pas plus aux amis de la religion qu'au parti contraire. Ils croiront même avoir d'autant plus de droit de récuser un tel juge, qu'il est bien loin de se montrer impartial dans le grand procès entre le christianisme et ses détracteurs.

M. Azaïs semble en effet, qu'on nous passe celte expression familière, regarder la religion du haut de sa grandeur. Il a l'air de dédaigner, comme trop au-dessous de lui, une croyance devant laquelle se sont humiliés les Descartes, les Pascal et les Bossuet. Cet esprit supérieur rougiroit apparemment d'avoir pour la révélation le même respect que Bacon, que Leibnitz, qu'Euler, et autres petits esprits qui s'honoroient d'être chrétiens. II craindroit peut être de compromettre son génie en suivant les traces de ces grands noms. Presque toutes les idées, dit-il, les opinions, les institutions, les mœurs attaquées ou défendues par Rousseau sont du genre que l'on pourroit nommer transitoire; amenées par des airconstances particulières sur le théatre des sociétés humaines, elles n'étoient pas destinées à se perpétuer, ni même à se reproduire. Ainsi le christianisme est apparemment du genre transitoire, et M. Azaïs espère que la mode en passera. A la vérité, cette opinion et cette institution durent depuis dix-huit siècles; et quoiqu'elles ne fussent pas destinées à se perpétuer, ni méme à se reproduire, elles ont traverse tous les âges, et se sout répandues en tous les pays. N'importe; quand on n'a pas pour soi le passé, on a la ressource de se jetér dins l'avenir. A quoi serviroient l'imagination et l'enthousiasme d'un philosophe, sinon à se flatter que la philosophie, qui date d'hier, vivra plus long-temps que la religion, qui compte tant de siècles de durée? D'ailleurs ces siècles où la religion a vécu, et où elle a été honorée, prouvent d'autant moins en sa faveur, selon M. Azaïs, que c'étoit évidemment des temps d'ignorance. A l'époque où Rousseau reçul le jour, dit-il,

toutes les idées politiques, morales, toute la littérature, toutes les sciences étoient, pour ainsi dire, sur le passage des ténèbres à la lumière, de la fable à la vérité. En effet, on sortoit du siècle de Louis XIV, où les té-, nèbres étoient au comble, comme tout le monde sait, el où la fable avoit prévalu. Les grands hommes de ce règne étoient tous des imbéciles; cela a été dit par des philosophes, et le marquis de Villette a imprimé qu'avant la Henriade la France étoit betement fanatique, et Naigeon a imprimé qu'avant son siècle, les hommes étoient d'une crédulité stupide. Je vois que M. Azaïs pense à peu près de même, et qu'il a une très-manvaise idée d'un temps où on n'a pas connu la doctrine des compensations, et où on ne se doutoit pas du systéme universel.

Telle est même l'impartialité de M. Azaïs, qu'il donne le plus souvent le nom de fanatique aux défenseurs de la religion. Il paroît croire qu'on ne peut combattre la philosophie sans fanatisme, et il attache à ce mot à peu près la même acception qu'y donnoient les révolu tionnaires de 1793. Ainsi, dans la controverse entre Rousseau et les apologistes du christianisme, il blâme ceux qui, ne voyant qu'un côté des objets, et attachés aux opinions qu'ils avoient puisées dans l'enfance, altaquèrent le philosophe avec l'opiniâtreté du fanatisme. Il nous le représente plusieurs fois comme victimes da fanatisme, tandis que Rousseau ne le fut réelleinent que de son orgueil, de ses erreurs, de ses folies, et de son caractère ombrageux. Il vous apprendra que Voltaire ne fut l'ennemi déclaré que de la superstition et du fanatisme; et ailleurs, qu'il fut le chef principal des défenseurs de la raison et des agresseurs du fanatisme. Il est évident que M. Azais entend, par le fanatisme, le christianisme même; car il sait très-bien que Voltaire fut l'ennemi déclaré du christianisme, et le coryphée de ses agresseurs. Il est si éloigné de l'en blâmer, qu'il dit, page 64, que Voltaire, dont l'esprit, quoique lé

ger, étoit éminemment juste, ne s'écarta presque jamais, dans ses idées, du bon sens et de la vérité; et page 45, qu'il n'échappa jamais à Voltaire un paradoxe, encore moins une absurdité. Celui-là est fort. Quoi! vous n'avez pas trouvé de paradoxes dans Voitaire, pas même dans ses écrits philosophiques, remplis d'assertions si fausses, si calomnienses, si injurieuses à In religion! Cette seule proposition: Je suis corps, et je pense; je n'en sais pas davantage, n'est-elle point un paradoxe aussi insoutenable en physique qu'en morale? et notez qu'elle se trouve dans les Lettres philosophiques, une de ses premières productions irreligieuses. Mais combien ne trouveroit-on pas de traits plus forts encore dans ses derniers ouvrages, et dans cette suite de pamphlets, de brochures et d'écrits où il prenoit tous les tons pour immoler le christianisme et satisfaire sa haine? Nous renvoyons M. Azaïs aux Lettres de quelques Juifs, par l'abbé Guénée (1). Le jugement que ce sage académicien a porté de Voltaire n'est peut-être pas philosophique, mais il survivra à celui de M. Azaïs.

Je ne rapporterai pas tous les éloges que M. Azaïs donne à Voltaire et à Rousseau. Ce seroit répéter ce qu'on trouve partont. Cet écrivain, qui a la prétention d'être neuf et original, ne fait pourtant que reproduire, en style plus emphatique, ce qui avoit été dit avant lui. I se passionne surtout pour les Confessions de J. J. et trouve qu'elles feront aimer le caractère et honorer la mémoire de leur auteur. Je fais mon compliment à M. Azaïs sur cette preuve de la droiture et de la sagacité de son esprit. Sa rigoureuse équité n'éclate pas moins dans le passage suivant: On ne sauroit trop le répéter, ce n'est point la liberté et la raison qui firent de la révolution françoise un enchaînement de calamités si effrayantes; c'est la résistance qu'elles éprou

(1) Un très-gros volume in-8°.; pris, 9 fc et 11 fr. frauc de port. A Paris, au bureau du Journal::

vèrent au moment où la nécessité commandoit leur triomphe. Ainsi, ce ne sont point les jacobins qui sont coupables des excès de la révolution, ce sont leurs adversaires. Si on avoit laissé faire les révolutionnaires, si on ne les avoit pas contrariés et aigris, tout se seroit passé le mieux du monde; et il faut rejeter le blâme sur Louis XVI, et sur les royalistes qui s'efforcèrent d'arrêter le torrent. Cette doctrine, qu'on ne sauroit trop répéter, ne peut manquer de plaire à une certaine classe de geus, et ils sauront gré à M. Azaïs de prendre en main leur cause. Ce sera donc désormais une chose convenue, qu'il faut imputer les excès de la révolution. non aux bourreaux, mais aux victimes. Cela est aussi généreux que juste. Væ victis.

C'est avec la même sagacité que M. Azïs parle de l'état de la France au milieu du dernier siècle, et attribue les excès de la philosophie à l'esprit d'intolérance qui, selon lui, régnoit à cette époque. Il vent que ce soient les refus de sacremens qui soient cause du déchaînement des incrédules, comme si ceux-ci se soucioient beaucoup de ces refus, auxquels ils ne s'exposoient guère. Là, couvrant sous un ton exagéré la foiblesse des rapports qu'il prétend trouver entre ces querelles et les événemens qui ont suivi, il s'élève contre les excès d'un ardent et odieux fanatisme, et contre les maux cruels et humilians que la France éprouva. Sans doute, dit cet appréciateur équitable et modéré, les atrocités révolutionnaires ont été plus violentes, je le erois; mais les fureurs du fanatisme étoient sourdes, multipliées, prolongées; elles prenoient leurs victimes au berceau dans toutes les conditions; elles les suivoient dans tous les ages; elles établissoient le regne de la terreur autour des ames foibles et jusque dans leur sein, et si certains hommes avoient assez de force dans l'esprit pour rejeter ces monstrueuses folies, assez d'audace dans Le caractère pour braver ceux qui les dirigeoient, ils expioient souvent leur supériorité par le blame et la haine

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