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rendue au poëte; chaque lettre nous fait assister à un progrès du mal, qui se fixa de plus en plus dans les nerfs et à certains jours les secouait horriblement. Bien des cris lamentables traversent ces lettres et retentissent jusqu'à nous. Cet état maladif, à la fois chronique et aigu, ne pourrait être supporté que par un héros ou par un saint. Faut-il s'étonner que tant de souffrance ait aigri l'humeur d'un homme qui ne se piquait pas d'être un héros, encore moins un saint! La verve poétique s'en mêlant, tous les démons ensemble s'agitaient dans ce pauvre cerveau affolé de douleur.

Un autre démon qui sévissait cruellement dans sa vie, c'était celui dont les Grecs avaient fait une triste déesse, Pėnia, la Pauvreté. A cet esprit mobile et toujours emporté par sa passion présente, qui gâtait comme à plaisir toutes ses relations, rien n'avait pu réussir. Il avait tenté d'entrer dans quelques carrières, mais mollement et sans suite. Il avait essayé de tout, du droit, du barreau, de la rédaction de quelques feuilles allemandes. Ces essais n'avaient été que des échecs. Tout travail régulier, suivi, toute discipline de vie ou d'idée lui étaient insupportables. Une fierté inter+ mittente dans ses accès l'éloignait quelquefois pendant des années des appuis naturels qu'il aurait facilement trouvés dans une famille opulente. Dans

les intervalles, il était aux expédients et sa détresse littéraire, comme il l'appelle, occupe autant de place dans ses lettres que sa détresse physique. Sa correspondance est remplie de ce triste souci d'argent, un des plus prosaïques sous lesquels l'inspiration puisse languir ou succomber. Ce ne sont que querelles avec ses éditeurs, propositions acceptées ou refusées, discussions fatigantes d'intérêt, hymnes d'un enthousiasme immodéré en l'honneur de Julius Campe, quand le libraire de Hambourg lui permet de tirer sur lui une lettre de change, injures et fureurs du plus haut comique quand la lettre de change est refusée ou que quelque difficulté s'élève pour la publication d'un livre dont le poëte attend la rémunération avec impatience. On n'attend pas pour vivre! répond le pauvre auteur; mon argent! il me faut mon argent!

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Telle était cette vie assaillie de souffrances et de soucis, livrée aux assauts du mal nerveux qui devait le tuer un jour, en proie à des préoccupations d'intérêts matériels et à toutes les défiances, à tous les soupçons que ce genre de préoccupations inspire. « Ma sûreté personnelle, mon avenir est compromis, s'écrie-t-il sans cesse; je vois que partout on cherche à me couper les vivres. » Aussitôt son imagination entre en branle; ce ne sont que menées secrètes, intrigues, cabales de toutes sortes Il se

croit en butte à des persécuteurs acharnés. Il arrive à un état violent d'esprit que la maladie entretient et aggrave. Le mal moral se redouble par le mal physique et à son tour lui donne de nouveaux aliments, de nouvelles forces.

Ce ne sont là que des causes extérieures, les unes accidentelles comme la pauvreté, les autres toutes matérielles comme la maladie. Il en est d'autres que la correspondance nous révèle, plus intérieures plus profondes, qui tiennent moins au tempérament qu'à l'âme même du poëte. C'est jusque-là qu'il nous faut pénétrer.

II

Quelqu'un a dit, en parlant de Henri Heine d'après la Correspondance, que c'était une âme de colère. Le mot est juste. Il est étrange et douloureux de voir à quel point cette personnalité du poëte, aigrie déjà par la maladie, est irritable, facile aux emportements; avec quelle violence elle se déchaîne contre les hommes ou les événements, contre les situations ou les idées dont elle souffre ou même dont elle craint de souffrir. Je dirais volontiers, en empruntant une image à la physiologie, que les nerfs et les muscles de cette âme sont

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à nu, exposés à tous les chocs, blessés par tous les contacts on dirait même que l'air environnant les froisse cruellement et les irrite. Ses nerfs crient, ses muscles saignent; tout son être se tend contre l'obstacle réel ou imaginaire. - Sa vie n'est en effet qu'une réaction violente contre des souffrances trop vraies et des maux en partie fictifs que son imagination malade grandissait démesurément.

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« Je me suis décidé pour la lutte, dit-il quelque part; et vraiment ce n'a pas été à la légère. Quand la première fois j'ai mis les armes à la main, c'est que j'y ai été contraint par l'insolent orgueil de la naissance. » Ces armes une fois prises, il ne les déposa plus Et il ajoutait.... Dans mon berceau se trouvait déjà ma feuille de route pour ma vie tout entière. (Paris, 16 juillet 1833.)

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Tâchons de lire ce qui était écrit sur cette feuille de route, déposée dans son triste berceau. J'y trouve tout d'abord un trait de son signalement qu'il faut noter. Henri Heine était juif. Il nous raconte quelque part la plaisante histoire d'un bon chrétien, épicier à Hambourg, qui n'avait jamais pu se faire à l'idée que son Seigneur et Sauveur fût juif de naissance. Cet excellent homme ressentait, nous dit-il, un violent dépit toutes les fois qu'il devait avouer que ce modèle divin de perfection appartenait à cette race, à cette clique de longs

nez mal mouchés, de marchands de bric-a-brac qu'il voyait rôder dans les rues, qu'il méprisait profondément, et qui lui étaient encore plus insupportables, lorsque, se mêlant comme lui, de faire en gros le commerce des épices et des couleurs, ils nuisaient à ses propres intérêts 1. » Au fond le sentiment de l'honnête épicier de Hambourg, Henri Heine l'éprouvait en l'appliquant à lui-même. Il ne put jamais se consoler d'être juif. Ce qui eût été pour une âme mieux trempée un simple accident de naissance, dont personne ne songe à se plaindre sérieusement, devient pour son imagination quel que chose comme la fatalité antique. N'est-ce pas lui qui a dit ce mot si expressif : << le judaïsme n'est pas une religion, c'est un malheur? >>

Voyez la peinture qu'il nous fait des juifs rassemblés dans la synagogue de Venise. Quelques traits s'appliquent avec un singulier à-propos à celui qui les a tracés: « Ils célébraient ce jour-là leur fête du Pardon; ilse tenaient debout, envelop→ pés dans leurs longues robes de toile blanche, faisant avec la tête des mouvements sinistres; on eût dit presque une réunion de fantômes.... Tandis que j'examinais avec attention les visages pâles et souffrants des juifs, je fis une découverte que. je ne puis pas, hélas ! passer sous silence. J'avais

1. De l'Angleterre. Héroïnes de Shakespeare, p. I.

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