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de folles amours et folâtreries. Mais le mal a des ressources infinies pour tenter l'âme, et il ne s'adresse pas aux nobles cœurs comme aux cœurs frivoles. Il les tente, si je puis dire, par leur propre grandeur. C'est là, de tous les périls, le plus redoutable, parce qu'il est le plus délicat. L'amour est ingénieux à se dissimuler sous les dehors de la piété, du désintéressement, de la vertu ; il cherche tout d'abord à prendre le niveau de ces grandes âmes, puis, par d'insensibles passages, il les attire au sien. Voilà ce que nous montre, avec une rare délicatesse de touche le saint évêque: « Le miel d'Héraclée, qui est si vénéneux, ressemble à l'autre qui est si salutaire; il y a grand danger de prendre l'un pour l'autre, ou de les prendre mêlés, car la bonté de l'un n'empêcherait pas la nuisance de l'autre.... On commence par l'amour vertueux, mais si on n'est fort sage, l'amour frivole s'y mêlera, puis l'amour sensuel: oui, même il y a danger en l'amour spirituel, si on n'est fort sur sa garde.

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Puis, s'animant à la poursuite de ce dangereux amour, il le démasque, le pénètre dans toutes ses perfidies secrètes, l'oppose dans tous ses traits à la vraie amitié : « L'amitié mondaine produit ordinairement un grand amas de paroles emmiellées, une cajolerie de petits mots passionnés et de louanges tirées de la beauté, de la grâce et des

qualités sensuelles: mais l'amitié sacrée a un langage simple et franc, ne peut louer que la vertu et grâce de Dieu. La fausse amitié provoque un tournoiement d'esprit, qui fait chanceler la personne, la portant à des regards affectés, mignards et immodérés; à des caresses, à des soupirs désordonnés, à des petites plaintes de n'être pas aimée, à des petites, mais recherchées, mais attrayantes contenances, présages certains d'une prochaine ruine de l'honnêteté; mais l'amitié sainte n'a des yeux que simples et pudiques, ni de caresses que pures et franches, ni des soupirs que pour le ciel, ni des plaintes, sinon quand Dieu n'est pas aimé. » Telles sont les marques infaillibles auxquelles Philothée reconnaîtra l'honnêteté sincère des affections. Si elle s'y trompe, c'est qu'elle l'aura bien voulu Son ignorance ne couvrira plus sa faute. On sent, à la note de ces conseils, que l'aimable saint qui les donne est un gentilhomme, né dans le monde et s'adressant à une femme du monde. C'est le style de la société polie d'alors, je dirais presque le style de l'Astrée, transporté dans la sphère de la plus haute spiritualité.

Ces conseils d'une douce et pénétrante sagesse sont de tous les temps, et l'opportunité en est éternelle. Ce qui vieillit, c'est le langage; ce qui change, c'est la forme extérieure des senti

ments. La différence ne porte vraiment que sur la surface. Le cœur humain est le même dans ses illusions volontaires aussi bien que dans ses instinctives perfidies. Changeons quelques mots au langage de saint François de Sales, et voyons avec quelle justesse ses avis s'appliquent à notre temps, à nos mœurs. Il ne s'agit plus guère aujourd'hui des dangers secrets de cette amitié spirituelle, contractée de bonne intention entre personnes de divers sexes, par laquelle deux âmes, sous prétexte de se communiquer leurs affections pieuses et de se rendre un seul esprit entre elles, se communiquent leurs faiblesses, leurs vanités, et deviennent l'une à l'autre une occasion de chute. Un homme ne recherche plus une femme pour s'édifier en commun à la lecture de la Vie des Saints. C'est d'un autre nom aujourd'hui que s'appellent ces amitiés spirituelles qui semblaient si dangereuses à saint François de Sales. C'est sous d'autres prétextes qu'elles se forment. La spiritualité n'en est pas moins, pourtant, l'occasion apparente et le point de départ. Mais c'est une spiritualité toute profane et romanesque, où la dévotion n'entre plus. Deux âmes se rencontrent (je mets l'âme en avant, puisqu'il s'agit d'elle). Elles s'invitent et s'attirent par toutes sortes de qualités aimables et par une sorte de grâce indéfinissable qui les séduit. Chacune d'elles trouve dans

l'autre quelques traits de cette générosité, de cette grandeur, de cette délicatesse qu'elle a rêvées, quelque chose enfin, comme on dit, de son idéal. On pense qu'on l'a enfin rencontré, on le pense d'abord, on finit par le dire; on le laisse deviner du moins, si on ne l'avoue pas, ce qui est presque plus dangereux que l'aveu. Ce sont là les ravissants préludes de l'affection naissante, et dans cette période du premier enchantement, tout se tourne aux nobles désirs; c'est entre les deux âmes une sorte d'émulation chevaleresque à bien faire, à sentir généreusement et plus haut que le reste du monde, pour se rendre plus digne de l'autre et se rapprocher de son niveau. A ces imaginations exaltées la vertu semble trop facile; il faut des luttes difficiles, on aspire à de plus rares triomphes: on invoque une de ces circonstances exceptionnelles où l'on puisse faire éclater l'héroïsme que l'on sent frémir dans son cœur. L'occasion vient à qui l'invoque et l'épie au passage. Elle arrive bientôt pour ces amants de l'idéal. A force de s'étudier mutuellement, de découverte en découverte, on arrive à se persuader qu'il existe, de son âme à l'autre, un si grand nombre de points de contact et de si visibles rapports, que l'on est tenté de les expliquer par une de ces harmonies préétablies, par un de ces mariages d'âme, contractés dans une vie antérieure ou

espérés dans la vie future, et dont on tient à faire honneur à Dieu. La seconde période commence, celle de l'héroïsme. Il ne faut rien moins que cela pour renvoyer à une autre vie les voluptés idéales de cet hymen spirituel, si visiblement providentiel, et pour n'en pas trop vouloir aux circonstances et aux personnes dont la rencontre vous a détourné de la voie où était le bonheur. C'est alors tout un grand orage qui s'élève dans les profondeurs de l'âme, orage furieux de désirs chimériques et de passions révoltées. On s'anime à la lutte; l'héroïsme coule à pleins bords dans la vie. L'âme s'étonne de son courage, elle s'exalte et s'enivre de ce beau spectacle qu'elle se donne à elle-même, elle jouit de sa force, elle a le vertige de sa grandeur. Attendez un peu, son triomphe lui devient un piége. Sûre d'elle-même et de son amère victoire, elle ne croit plus qu'il soit opportun de combattre, mais elle réfléchit douloureusement sur le combat. Elle s'attriste de ce que tant d'héroïsme soit compté pour rien, précisément par ceux qui devraient lui en savoir le plus de gré; elle veut bien être magnanime, mais c'est à condition qu'on s'en aperçoive. Quel prix a-t-elle reçu de ces immolations secrètes à un devoir ingrat, de cette passion comprimée d'une main violente et qui dévore silencieusement son cœur? Et l'autre héros, ne faut-il pas le récompenser un peu

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