Oldalképek
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Touché de ce discours, Damon prend congé d'elle:
Fuyons, dit-il en soi ; j'oublîrai cette belle :
Tout passe, et même un jour ses larmes passeront;
Voyons ce que l'absence et le temps produiront.
A ces mots il s'embarque; et, quittant le rivage,
Il court de mer en mer, aborde en lieu
sauvage,
Trouye des malheureux de leurs fers échappés,
Et sur le bord d'un bois à chasser occupés.
Télamon, de ce nombre, avoit brisé sa chaîne :
Aux regards de Damon il se présente à peine,
Que son air, sa fierté, son esprit, tout enfin
Fait qu'à l'abord Damon admire son destin;
Puis le plaint, puis l'emmène, et puis lui dit sa flamme.
D'une esclave, dit-il, je n'ai pu toucher l'ame:
Elle chérit un mort! Un mort, ce qui n'est plus,
L'emporte dans son cœur! mes vœux sont superflus.
Là-dessus, de Cloris il lui fait la peinture.
Télamon dans son ame admire l'aventure,
Dissimule, et se laisse emmener au séjour
Où Cloris lui conserve un si parfait amour.
Comme il vouloit cacher avec soin sa fortune,
Nulle peine pour lui n'étoit vile et commune.
On apprend leur retour et leur débarquement.
Cloris, se présentant à l'un et l'autre amant,
Reconnoît Télamon sous un faix qui l'accable.
Ses chagrins le rendoient pourtant méconnoissable;
Un œil indifférent à le voir eût erré:

Tant la peine et l'amour l'avoient défiguré!

Le fardeau qu'il portoit ne fut qu'un vain obstacle;
Cloris le reconnoît, et tombe à ce spectacle:

Elle perd tous ses sens et de honte et d'amour.
Télamon, d'autre part, tombe presque à son tour.
On demande à Cloris la cause de sa peine:
Elle la dit; ce fut sans s'attirer de haine.
Son récit ingénu redoubla la pitié

Dans des cœurs prévenus d'une juste amitié,
Damon dit que son zèle avoit changé de face:
On le crut. Cependant, quoi qu'on dise et qu'on fasse,
D'un triomphe si doux l'honneur et le plaisir
Ne se perd qu'en laissant des restes de desir.
On crut pourtant Damon. Il restreignit son zèle
A sceller de l'hymen une union si belle;
Et, par un sentiment à qui rien n'est égal,
Il pria ses parents de doter son rival.

Il l'obtint, renonçant dès-lors à l'hyménée.
Le soir étant venu de l'heureuse journée,
Les noces se faisoient à l'ombre d'un ormeau:
L'enfant d'un voisin vit s'y percher un corbeau;
Il fait partir de l'arc une flèche maudite,
Perce les deux époux d'une atteinte subite.
Cloris mourut du coup, non sans que son amant
Attirât ses regards en ce dernier moment.
Il s'écrie, en voyant finir ses destinées :

Quoi! la Parque a tranché le cours de ses années!

Dieux, qui l'avez voulu, ne suffisoit-il pas
Que la haine du Sort avançât mon trépas?
En achevant ces mots, il acheva de vivre:
Son amour, non le coup, l'obligea de la suivre;
Blessé légèrement, il passa chez les morts:

Le Styx vit nos époux accourir sur ses bords.
Même accident finit leurs précieuses trames;
Même tombe eut leur corps, même séjour leurs ames.
Quelques-uns ont écrit (mais ce fait est peu sûr)
Que chacun d'eux devint statue et marbre dur.
Le couple infortuné face à face repose.

Je ne garantis point cette métamorphose:

On en doute. On le croit plus que vous ne pensez,
Dit Clymène; et, cherchant dans les siècles passés
Quelque exemple d'amour et de vertu parfaite,
Tout ceci me fut dit par le sage interprète.
J'admirai, je plaignis ces amants malheureux:
On les alloit unir; tout concouroit pour eux;
Ils touchoient au moment; l'attente en étoit sûre:
Hélas! il n'en est point de telle en la nature;
Sur le point de jouir tout s'enfuit de nos mains :
Les dieux se font un jeu de l'espoir des humains.

Laissons, reprit Iris, cette triste pensée.
La fête est vers sa fin, grace au ciel, avancée;
Et nous avons passé tout ce temps en récits
Capables d'affliger les moins sombres esprits:

Effaçons, s'il se peut, leur image
leur image funeste.

Je prétends de ce jour mieux employer le reste,
Et dire un changement, non de corps, mais de cœur.
Le miracle en est grand; Amour en fut l'auteur:
Il en fait tous les jours de diverse manière.
Je changerai de style en changeant de matière.

Zoon plaisoit aux yeux; mais ce n'est pas assez :
Son peu d'esprit, son humeur sombre,
Rendoient ces talents mal placés.

Il fuyoit les cités, il ne cherchoit que l'ombre,
Vivoit parmi les bois, concitoyen des ours,
Et passoit, sans aimer, les plus beaux de ses jours.
Nous avons condamné l'amour, m'allez-vous dire.
J'en blâme en nous l'excès; mais je n'approuve pas
Qu'insensible aux plus doux appas

Jamais un homme ne soupire.

Hé quoi! ce long repos est-il d'un si grand prix!
Les morts sont donc heureux ? Ce n'est pas mon avis:
Je veux des passions; et si l'état le pire

Est le néant, je ne sais point

De néant plus complet qu'un cœur froid à ce point. Zoon n'aimant donc rien, ne s'aimant pas lui-même, Vit Iole endormie, et le voilà frappé:

Voilà son cœur développé.

Amour, par son savoir suprême,

Ne l'eut pas fait amant qu'il en fit un héros.

Zoon rend grace au dieu qui troubloit son repos :
Il regarde en tremblant cette jeune merveille.
A la fin Iole s'éveille.

Surprise et dans l'étonnement,
Elle veut fuir; mais son amant
L'arrête, et lui tient ce langage:

Rare et charmant objet, pourquoi me fuyez-vous?
Je ne suis plus celui qu'on trouvoit si sauvage:
C'est l'effet de vos traits aussi puissants que doux;
Ils m'ont l'ame et l'esprit et la raison donnée.
vivant sous vos lois,

Souffrez que,

J'emploie à vous servir des biens que je vous dois.
Iole, à ce discours, encor plus étonnée,

Rougit, et sans répondre elle court au hameau,
Et raconte à chacun ce miracle nouveau.

Ses compagnes d'abord s'assemblent autour d'elle:
Zoon suit en triomphe, et chacun applaudit.
Je ne vous dirai point, mes sœurs, tout ce qu'il fit,
Ni ses soins pour plaire à la belle:

Leur hymen se conclut. Un satrape voisin,
Le propre jour de cette fête,

Enlève à Zoon sa conquête :

On ne soupçonnoit point qu'il eût un tel dessein. Zoon accourt au bruit, recouvre ce cher gage, Poursuit le ravisseur, et le joint, et l'engage

En un combat de main à main.

Iole en est le prix aussi bien que le juge.

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