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Il est des hommes prodigieux qui apparaissent d'intervalle en intervalle, sur la scène du monde, avec le caractère de la grandeur et de la domination. Une cause inconnue et supérieure les envoie, quand il en est temps, pour fonder le berceau, ou pour réparer les ruines des empires. C'est en vain que ces hommes désignés d'avance se tiennent à l'écart, ou se confondent dans la foule : la main de la fortune les soulève tout-à-coup, et les porte rapidement d'obstacle en obstacle, et de triomphe en triomphe, jusqu'au sommet de la puissance. Une sorte d'inspiration surnaturelle anime toutes leurs pensées: un mouvement irrésistible est donné à toutes leurs entreprises. La multitude les cherche encore au milieu d'elle, et ne les trouve plus; elle lève les yeux en haut, et voit, dans une sphère éclatante de lumière et de gloire, celui qui ne semblait qu'un téméraire aux yeux de l'ignorance et de l'envie.

Tel est le privilége des grands caractères: ils semblent si peu appartenir aux âges modernes, qu'ils impriment, dès leur vivant même, je ne sais quoi d'auguste et d'antique à tout ce qu'ils osent exécuter. Leur ouvrage à peine achevé, s'attire déjà cette

vénération qu'on n'accorde volontiers qu'aux seuls ouvrages du temps. La révolution américaine, dont nous sommes les contemporains, semble en effet affermie pour jamais. Washington la commença par l'énergie, et l'acheva par la modération. Il sut la maintenir en la dirigeant toujours vers la plus grande prospérité de son pays, et ce but est le seul qui puisse justifier, au tribunal de l'avenir, des entreprises aussi extraordinaires.

C'est aux guerriers seuls qu'il appartient de marquer la place qu'occupera Washington parmi les capitaines fameux. Ses succès parurent avoir plus de solidité que d'éclat, et le jugement domina plus que l'enthousiasıne dans sa manière de commander et de combattre.

Au milieu de tous les désordres des camps et de tous les excès inséparables de la guerre civile, l'humanité se réfugia sous sa tente, et n'en fut jamais repoussée. Dans les triomphes et dans l'adversité, il fut toujours tranquille comme la sagesse, et simple comme la vertu. Les affections douces restèrent au fond de son cœur, même dans ces momens où l'intérêt de sa propre cause semblait légitimer en quelque sorte les lois de la vengeance.

Les mouvemens d'une âme magnanime, n'en doutons point, achèvent et maintiennent les révolutions plus sûrement que les trophées et les victoires. L'estime qu'obtint le caractère du général américain contribua plus que ses armes à l'indépendance de sa patrie.

Si-tôt que la paix fut signée, il remit au congrès tout le pouvoir dont il était investi. Il ne voulut se servir contre ses compatriotes égarés, que des armes de la persuasion. S'il n'eût été qu'un ambitieux vulgaire, il eût pu accabler la faiblesse de toutes les factions divisées, et lorsque aucune constitution n'opposait de barrière à l'audace, il se serait emparé du pouvoir, avant que les lois en eussent réglé l'usage et les limites. Mais ces lois furent provoquées par luimême avec une constance opiniâtre. C'est quand il fut impossible à l'ambition de rien usurper, qu'il accepta, du choix de ses concitoyens, l'honneur de

les gouverner pendant sept années. Il avait fui l'autorité, quand l'exercice pouvait en être arbitraire; il n'en voulut porter le fardeau, que lorsqu'elle fut resserrée dans des bornes légitimes. Un tel caractère est digne des plus beaux jours de l'antiquité. On doute, en rassemblant les traits qui le composent, qu'il ait paru dans notre siècle. On croit retrouver une vie perdue de quelques uns de ces hommes illustres dont Plutarque a si bien tracé le tableau.

Son administration fut douce et ferme au dedans, noble et prudente au dehors. Il respecta toujours les usages des autres peuples, comme il avait voulu qu'on respectât les droits du peuple américain. Aussi, dans toutes les négociations, l'héroïque simplicité du Président des Etats-Unis traitait sans jactance et sans abaissement avec la majesté des Rois. Ne cherchez point dans son administration ces pensées que le siècle appelle grandes, et qu'il n'aurait cru que téméraires. Ses conceptions furent plus sages que hardies: il n'entraîna point l'admiration; mais il soutint toujours l'estime au même degré, dans les camps et dans le sénat, au milieu des affaires et dans la solitude.

Washington n'eut point ces traits fiers et imposans qui frappent tous les esprits: il montra plus d'ordre et de justesse, que de force et d'élévation dans les idées. Il posséda sur-tout, dans un degré supérieur, cette qualité qu'on croit vulgaire, et qui est si rare, cette qualité non moins utile au gouvernement des Etats qu'à la conduite de la vie, qui donne plus de tranquillité que de mouvement à l'ame, et plus de bonheur que de gloire à ceux qui la possèdent, ou à ceux qui en ressentent les effets: c'est le bon sens dont je veux parler; le bon sens, dont l'orgueil a trop rejeté les anciennes règles, et qu'il est temps de réhabiliter dans tous ses droits. L'audace détruit, le génie élève, le bon sens conserve et perfectionne. Le génie est chargé de la gloire des empires; mais le bon sens peut assurer seul et leur repos et leur durée.

Washington était né dans une opulence qu'il avait noblement accrue, comme les héros de l'antique Rome, au milieu des travaux de l'agriculture. Quoi

qu'il fût ennemi d'un vain faste, il voulait que les mœurs républicaines fussent environnées de quelque dignité. Nul de ses compatriotes n'aima plus vivement la liberté; nul ne craignit plus les opinions exagérées de quelques démagogues. Son esprit, ami de la règle, s'éloigna constamment de tous les excès. Il n'osait insulter à l'expérience des âges; il ne voulait ni tout changer, ni tout détruire à la fois; il conservait à cet égard la doctrine des anciens législateurs.

Comme eux, Washington gouverna par les sentimens et par les affections, plus que par des ordres et des lois; comme eux, il fut simple au faîte des honneurs; comme eux il resta grand au milieu de la retraite. Il n'avait accepté la puissance, que pour. affermir la prospérité publique; il ne voulut pas qu'elle lui fût rendue, quand il vit que l'Amérique était heureuse, et n'avait plus besoin de son dévouement. Il voulut jouir avec tranquillité, comme les autres citoyens, de ce bonheur qu'un grand peuple avait reçu de lui. Mais c'est en vain qu'il abandonna la première place le premier nom de l'Amérique était toujours celui de Washington.

Quatre ans s'étaient écoulés à peine, depuis qu'il avait quitté l'administration. Cet homme, qui longtemps conduisit des armées, qui fut le chef de treize Etats, vivait sans ambition dans le calme des champs, au milieu de vastes domaines, cultivés par ses mains, et de nombreux troupeaux, que ses soins avaient multipliés dans les solitudes d'un nouveau monde. Il marquait la fin de sa vie par toutes les vertus domestiques et patriarcales, après l'avoir illustrée par toutes les vertus guerrières et politiques. L'Amérique jetait un œil respectueux sur la retraite habitée par son défenseur ; et de cette retraite où s'était renfermée tant de gloire, sortaient souvent de sages conseils, qui n'avaient pas moins de force que dans les jours de son autorité ses compatriotes se promettaient encore de. l'écouter long-temps; mais la mort l'a tout-à-coup enlevé au milieu des occupations les plus douces et les plus dignes de la vieillesse.

Fontanes, Eloge funèbre de Washington.

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