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SECTION XXVI. - Des avantages réciproques de l'amour sur la volonté, et de la volonté sur l'amour.

La volonté humaine et le bien ont une telle convenance et alliance, que comme un fer en éclaircit un autre, on vient à la connaissance du bien, en disant que c'est ce que la volonté aime, et de la volonté, en disant que c'est une faculté toute retournée vers le bien, c'est-à-dire qui l'a pour son objet. Son mal est d'être aveugle, et de ce qu'elle ne voit le bien que par l'entremise de l'entendement, qui lui sert de flambeau par lequel elle l'aperçoit. Et parce que l'entendement se peut tromper, de là vient que souvent la volonté prend un faux bien pour un vrai; ayant tant d'inclination au bien, qu'elle s'y transporte aussitôt qu'elle l'aperçoit, sans pouvoir discerner s'il est faux ou véritable.

Or, le mouvement de la volonté vers le bien, c'est ce que l'on appelle amour, qui est la première et principale affection de l'appétit raisonnable. Ce mouvement est si puissant qu'il peut être comparé à ces intelligences motives qui font rouler les cieux : car il donne le branle à la même volonté qui le produit; laquelle devient telle que ce qu'elle aime bonne, si son amour est bon; mauvaise, s'il est mauvais. Si tu aimes le ciel, disait saint Augustin, tu es céleste; si la terre, terrestre; si Dieu, tu es Dieu par participation. C'est à cause de ce divin amour que saint Pierre nous appelle participants de la divine nature. Ils se sont rendus abominables selon les choses qu'ils ont aimées, dit un prophète parlant des méchants.

Mon amour, c'est mon choix.
Mon amour, c'est mon poids;
Partout où je me porte,

C'est lui qui me transporte.

« L'amour dit notre bienheureux Père, domine tellement en la volonté, qu'il la rend toute telle qu'il est. La volonté n'est émue que par ses affections, entre lesquelles l'amour, comme le premier mobile et la première affection, donne le branle à tout le reste, et fait tous les autres mouvements.» Ensuite, il compare la volonté à la femme, et l'amour au mari; celle-là prenant la qualité noble ou roturière de celui-ci : et appelle les autres affections les enfants de l'amour et de la volonté, qui sont tels que leur père et mère.

Toutefois, quoique l'amour ait un si grand ascendant sur la volonté et qu'il la rende semblable à lui, ce n'est pas à dire que ce mariage soit indissoluble; car, comme il se contracte librement, il se dissout aussi volontairement; et comme le péché n'est autre chose qu'une préférence que la volonté fait de l'amour de la créature à celui du Créateur; aussi la repentance n'est-elle autre chose qu'une aversion que la volonté conçoit de la créature, pour se retourner vers le Créateur, changeant son mauvais amour en un saint et légitime.

Ainsi l'amour et la volonté ont de réciproques avantages l'un sur l'autre. Mais quand tous deux s'accordent l'un à aimer, l'autre à vouloir le souverain bien, qui est Dieu, ô quelle heureuse har

monie, puisque, selon saint Augustin, la volonté humaine n'est jamais plus libre que quand elle est plus soumise et assujettie à celle de Dieu; et notre amour jamais si noble ni si sublime, que quand il a pour objet celui que les anges désirent de voir, encore qu'ils le voient et contemplent sans cesse; d'autant que l'agréable appétit du désir demeure dans la satiété dé leur jouissance, et plus ils voient celui qu'ils désirent, plus ils désirent de le voir, parce qu'il est tout désirable, et que devant lui est tout leur désir í

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Ce qu'est le premier mobile entre les sphères célestes, l'amour l'est entre les passions et affections de l'àme qui lui sont inférieures. Le premier, dit l'axiome des philosophes, en chaque espèce des choses, sert de règle et de mesure à tout le reste. Et l'amour, qui est la première passion de l'appétit sensitif, et la première affection du raisonnable, donne le poids et la mesure à toutes celles qui la suivent. Qu'il soit ainsi, rien de plus évident. Que haïssons-nous, sinon ce qui est contraire à ce que nous aimons? Que désironsnous, sinon ce que nous aimons? De quoi avons-nous aversion, sinon de ce que nous n'aimons pas? De quoi nous réjouissons-nous, sinon de la jouissance de ce que nous aimons? De quoi nous attristons-nous, sinon de la privation de ce que nous aimons? Contre qui s'armé notre colère et indignation, sinon contre ce qui s'oppose à ce que nous aimons? Qu'espérons-nous, sinon le bien que nous aimons? D'où naît le désespoir, sinon du déplaisir de ne pouvoir atteindre à ce que nous aimons? la crainte, sinon de perdre ce que nous aimons? et la hardiesse, sinon de la poursuite courageuse du bien que nous aimons?

L'affection ou passion de l'amour est donc cette Sulamite du Cantique, en laquelle on ne voit que des chœurs de combattants, puisque c'est elle qui met en bataille les escadrons des autres affections, et les range en belle ordonnance. Saint Augustin va plus avant, car il dit que l'amour (il entend celui de Dieu, que nous appelons charité) embrasse toutes les vertus, et par son motif leur donne l'âme et la vie; c'est en son livre des Mœurs de l'Eglise, où il parle en ces termes : Ce que l'on dit, que la vertu est divisée en quatre (il entend les quatre vertus cardinales), on le dit, ce me semble, à raison des diverses affections qui proviennent de l'amour de manière que je ne ferai nul doute de définir ces quatre vertus en sorte que la tempérance soit l'amour qui se donne tout entier à Dieu; la force, un amour qui supporte volontiers toutes choses pour Dieu; la justice, une force servant à Dieu seul, et pour cela commandant droitement à tout ce qui est sujet à l'homme; la prudence, un amour qui choisit ce qui lui est profitable, pour s'unir avec Dieu, et rejette ce qui est nuisible.

Ce passage est rapporté par notre bienheureux Père, en son Théotime (Liv. II, ch. 8), où, par une ample démonstration, il faut voir que la charité ou l'amour de Dieu est la racine et le fondement de toutes les vertus, selon la doctrine de l'Apôtre. Comme donc l'amour est le prince et le centre de toutes les affections de

l'âme raisonnable; aussi celui de Dieu, que nous appelons charité, est le tronc où se rapportent les branches de toutes les vertus lesquelles sans cela ne peuvent être appelées parfaites, dit saint Thomas, ni apporter des fruits dignes de pénitence et de la vie éternelle; parce que le pampre ne peut porter de raisin, s'il n'est uni au cep, ni le rameau de la bonne œuvre, dit saint Grégoire, avoir aucune verdeur, s'il ne demeure uni à la racine de la charité.

Mettez la charité en l'âme, tout y sert;

Otez la charité de l'âme, tout s'y perd.

SECTION XXVIII.-Avantage de la charité sur la foi et l'espérance. Non-seulement il ne pouvait souffrir que l'on fit quelque estime des vertus morales à comparaison de la charité; mais il ne voulait pas même que sans elle on fit grand compte de la foi et de l'espérance, qui d'ailleurs sont des vertus si excellentes. En cela il se conformait au sentiment de l'Apôtre, si ouvertement déclaré : La foi, l'espérance et la charité sont trois dons précieux; mais le plus grand de tous, c'est la charité. Il est le plus grand, non-seulement parce que les deux précédents sans celui-ci ne servent de rien pour la vie éternelle; mais aussi parce qu'il leur donne la vie et la forme.

Il est vrai que la foi est « un amour de l'esprit envers les beautés des mystères divins, comme dit notre bienheureux Père: et que << cet acquiescement que fait notre âme aux choses révélées commence par un sentiment amoureux de complaisance, que la volonté reçoit de la beauté et suavité de la vérité proposée, de sorte que la foi comprend un commencement d'amour, que notre cœur ressent envers les choses divines. » Il est vrai aussi que l'espérance est « un amour que notre volonté conçoit envers l'utilité des biens qui nous sont promis en l'autre vie : mais amour de convoitise et íntéressé, incapable, sans la charité, de nous introduire en la vie éternelle. Mais le parfait amour de Dieu, qui ne se trouve qu'en la charité, est un amour désintéressé, qui aime la souveraine bonté de Dieu, en lui et pour lui-même, sans aucune autre prétention, sinon qu'il soit ce qu'il est, c'est-à-dire éternellement aimé, glorifié et adoré, parce qu'il mérite de l'être. Et c'est en ce qu'elle atteint plus parfaitement la dernière fin, que consiste sa préémi

nence.

?

« Le salut est montré à la foi, dit notre bienheureux Père, il est préparé à l'espérance, mais il n'est donné qu'à la charité. La foi montre le chemin de la terre promise comme une colonne de nuée et de feu, c'est-à-dire, claire-obscure; l'espérance nous nourrit de sa manne de suavité; mais la charité nous introduit, comme l'arche de l'alliance qui nous fait le passage au Jourdain, c'est-à-dire, au jugement, et qui demeurera au milieu du peuple, en la terre céleste promise aux vrais Israélites, en laquelle ni la colonne de la foi ne sert plus de guide, ni on ne se repaît plus de la manne d'espérance. »

Ce qu'un ancien disait de la pauvreté, qu'elle était un grand bien,

S. Francois.-1

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mais peu connu, nous le pouvons à meilleur titre dire de la charité: c'est un trésor caché, une perle enfermée dans une nacre, et de laquelle peu de personnes savent le prix. Les errants de notre âge s'amusent après la foi morte, à laquelle ils attribuent toute leur justice et leur salut. Plusieurs catholiques s'amusent après l'amour intéressé qui est dans l'espérance, et servent Dieu comme mercenaires, plus pour leur propre intérêt, que pour celui de Dieu. Peu aiment Dieu comme il doit être aimé, c'est-à-dire d'amour de charité et désintéressé: cependant, sans cette robe nuptiale, sans cette huile de la lampe des vierges sages, il n'y a point d'entrée aux noces de l'Agneau. C'est ici que l'on peut chanter avec le Psalmiste: Le Seigneur a regardé du haut des cieux sur les enfants des hommes, pour voir si quelqu'un entend comme il le faut rechercher, c'est-à-dire, comme il veut être servi: tous ont décliné de son service, tous y sont inutiles, il n'y en a qu'un seul qui l'honore comme il le veut être : cela s'entend en esprit et vérité, et qu'est-ce que le servir ainsi, sinon l'honorer et lui obéir pour l'amour de luimême?

Mais quiconque a appris de servir Dieu à la façon de ses vrais et chers adorateurs, celui-là se peut dire être du nombre de la gent sainte, lu sacerdoce royal, du peuple d'acquisition, et être entré dans le sanctuaire de la vraie sainteté et justice chrétiennes, duquel notre bienheureux Père parle ainsi : « Au sanctuaire était l'arche d'alliance, et en icelle, ou au moins joignant icelle, étaient les tables de la Loi, la manne dans une cruche d'or, et la verge d'Aaron, qui fleurit et fructifia en une nuit; et en cette suprême pointe de l'esprit se trouvent 1° la lumière de la foi, représentée par la manne cachée dans la cruche, par laquelle nous acquiesçons à la vérité des mystères que nous n'entendons pas; 2o l'utilité de l'espérance, représentée par la verge fleurie et féconde d'Aaron, par laquelle nous acquiescons aux promesses des biens que nous ne voyons point; 3° la suavité de la très-sainte charité, représentée ès commandements de Dieu, qu'elle comprend, par laquelle nous acquiesçons à l'union de notre esprit avec celui de Dieu, laquelle nous ne sentons presque pas. »

SECTION XXIX. - De l'économie de l'âme.

Comme ce serait témérité à un homme de vouloir faire profession de la médecine sans savoir l'anatomie du corps humain, aussi estimait notre bienheureux une inconsidération notable à quelqu'un, de vouloir embrasser la vie spirituelle, sans entendre l'économie, t comme l'anatomie de l'âme : il appelait cela s'embarquer sans biscuit.

Il n'y a rien de si fréquent dans les livres de dévotion, que ces mots, selon la partie ou portion inférieure ou supérieure de l'ame; et cependant il n'y a rien de moins entendu de la plupart de ceux qui les lisent. Et parce que, ou l'erreur, ou le défaut de lumière dans les principes est cause de grands embarras dans le progrès, il tenait que pour éviter cela, la connaissance de ces ressorts de notre intérieur était « grandement requise (ce sont ses mots) pour entendre

les traités des choses spirituelles; » à raison de quoi il l'a expliquée assez amplement au premier livre de son Traité de l'Amour de Dieu. Et parce que vous y trouvez, dites-vous, non pas de l'obscurité, mais de la difficulté, à cause, dit votre humilité, de la petitesse de vos esprits, vous désirez que je vous explique verbalement son explication.

Quoique notre âme soit une et indivisible, néanmoins elle a des facultés très-divisées et très-distinctes: elle est végétante, sensitive et raisonnable. Par la première qualité nous ressemblons aux plantes; par la seconde, aux animaux; par la troisième, aux anges: ainsi l'homme est toute créature, l'abrégé de l'univers et un petit monde. Or, nous pouvons en esprit partager notre âme en deux parties, et chaque partie en deux portions; et voici comment. La partie inférieure est celle qui végète et qui nous fait sentir, appelée pour cela partie animale et sensitive, et par saint Paul, la loi des membres, la chair, le vieil Adam, l'homme terrestre et animal.

Dans cette partie basse et inférieure, il y a deux portions. La première est là végétante, qui regarde les fonctions de la nourriture, digestion, croissance, etc., qui nous sont communes avec les plantes et comme il y a des plantes qui ont des sympathies et dispathies les unes envers les autres, dont l'on ne peut rendre autre raison que celle du grand Ouvrier de toutes choses qui l'a ainsi voulu; aussi y a-t-il des hommes qui ont des goûts et des aversions de certaines choses, dont il n'y a point d'autre raison qui nous soit connue que leur complexion ou disposition naturelle. Mais ceci n'étant ní bien ni mal, est fort indifférent et peu considérable.

La portion supérieure de cette partie inférieure est celle qui contient les sens extérieurs et intérieurs et les passions de l'appétit sensitif; en quoi nous sommes communs avec les animaux, qui ont les mêmes sens et les mêmes appétits.

La partie supérieure de l'âme est celle qui est tout à fait raisonnable, et qui doit gouverner l'inférieure, ainsi que l'écuyer conduit et mène son cheval selon ce que dit un prophète : Leurs chevaux sont leurs corps, parlant des personnes spirituelles et selon ce que Dieu dit au premier homme après sa création: Ton appétit sera sous toi, c'est-à-dire, ta partie inférieure sera sujette à là supérieure, et tu le domineras.

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Cette partie a deux portions aussi bien que l'inférieure. L'inférieure portion de notre partie supérieure est celle par laquelle nous raisonnons selon l'expérience et la connaissance que les sens fournissent à notre entendement. Et la portion supérieure est celle par laquelle nous discourons selon notre connaissance purement intellectuelle, et qui n'est point fondée sur le rapport des sens. « Celleci, dit notre bienheureux, est communément appelée esprit et portion mentale de l'âme; et celle-là est ordinairement appelée le sens, ou sentiment et raison humaine. »

Et c'est ici que se trompent beaucoup de gens, qui prennent la partie inférieure de l'âme pour cette portion inférieure de la partie supérieure et raisonnable, qui est appelée sens par les spirituels, d'autant qu'elle fonde son raisonnement sur la connaissance qu'elle

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