Oldalképek
PDF
ePub

dont le plus pur et excellent est le moins épais. Voici son jugement sur ce sujet.« Il y a, dit-il, de certaines vertus, lesquelles pour être proches de nous, sensibles, et, s'il faut ainsi dire, matérielles, sont grandement estimées, et toujours préférées par le vulgaire : ainsi préfère-t-il communément l'aumône temporelle à la spirituelle; la haire, le jeûne, la nudité, la discipline et les mortifications du corps, à la douceur, à la débonnaireté, à la modestie et aux mortifications du cœur, qui néanmoins sont bien plus excellentes. Choisissez donc, Philotée, les meilleures vertus, et non pas les plus estimées; les plus excellentes, et non pas les plus apparentes; les meilleures, et non pas les plus braves. » Et en un autre endroit : « Il y a des vertus abjectes et des vertus honorables: la patience, la douceur, la simplicité et l'humilité même sont des vertus que les mondains tiennent pour viles et abjectes; au contraire, ils estiment beaucoup la prudence, la vaillance et la libéralité. » Si en tous les arts il ne faut croire que les experts, encore les bons experts, c'est bien manquer de prudence, dé priser les vertus par l'estime qu'en fait le monde qui y est si peu versé. O Seigneur, disait le Psalmiste, regardez-moi en pitié, selon le jugement de ceux qui vous aiment. Les amis de Job, pour ce qu'ils n'étaient pas droits de cœur, jugeaient que ses afflictions procédaient de la colère de Dieu contre cet homme juste; et c'étaient des témoignages de son amour, et afin qu'il fit éclater sa vertu.

6o Il reprenait encore une autre pratique en matière de vertu : de ceux qui ne voulaient s'exercer qu'en celles qui étaient à leur goût, sans se soucier de celles qui regardaient plus particulièrement leur charge et leur devoir, servant Dieu à leur mode, non selon sa volonté, abus si fréquent et si contagieux, que l'on voit une infinité de personnes dévotes en être infectées. Il faisait tous ses efforts pour faire comprendre à ces personnes-là, à marcher selon l'esprit de la foi et du renoncement de soi-même, non selon leurs inclinations naturelles; lesquelles, quelque bonté apparente dont elles fassent montre, sont de faux phares environnés de véritables écueils, où mille actions, bonnes d'elles-mêmes, c'est-àdire de leur nature, vont faire un triste naufrage pour l'éternité. Je déteste votre encens, c'est-à-dire vos oraisons, et aussi vos jeûnes, dit le Seigneur, pour ce que dans vos abstinences je trouve votre propre volonté : vous faites le bien à votre mode, selon qu'il vous agrée, non selon mon bon plaisir.

[merged small][ocr errors]

Ceci est merveilleux, que la moindre petite action, ne fût-elle que naturelle, comme boire, manger et marcher, faite avec une grande et puissante charité, plaît tellement à Dieu, qu'il se confesse blessé, mais blessé au cœur par un seul trait d'œil, et un seul des cheveux de son amante sainte; et lui est incomparablement plus agréable qu'une plus grande et signalée, comme jeûner, porter la haire, donner l'aumône, prier, avec une lâche et tiède charité. Certes, c'est l'amour qui fait tout notre poids et notre prix devant ses yeux.

Et ce qui est de plus admirable, c'est qu'une action de quelque vertu de moindre calibre, faite avec une sublime charité, a quelquefois porté des âmes tout à coup à un haut degré de perfection. C'est ce que remarque notre bienheureux, après saint Grégoire de Nazianze : « Que, par une seule action de quelque vertu bien et parfaitement exercée, une personne a atteint au comble des vertus; alléguant Rahab, laquelle, ayant exactement pratiqué l'office d'hospitalité, parvint à une gloire suprême : mais cela s'entend quand telle action se fait excellemment avec grande ferveur et charité. » L'action de résignation et de soumission à la volonté de Dieu que fit saint Paul soudain après son terrassement, le porta si haut qu'il en rejaillit jusques au troisième ciel. Vous voyez comme sont louées les deux pites de la pauvre veuve évangélique, d'autant qu'elle les avait jetées dans le gazophylace avec une fervente dilection; et la haute estime que fit Notre Seigneur du demi-manteau que saint Martin avait donné à un pauvre pour son amour : action de ferveur de ce catéchumène, qui l'éleva depuis à cette perfection de sainteté si exemplaire, qui l'a fait éclater comme une lampe ardente et luisante sur le chandelier de la maison de Dieu. Et que savons-nous si cet acte héroïque de chasteté que fit le patriarche Joseph, laissant son manteau entre les mains de son impudique maîtresse, ne le porta point depuis à ces hauts degrés de vertu et d'honneur, où depuis il fut mis en spectacle au monde, aux hommes et aux anges!

C'est pourquoi il ne faut rien négliger en matière d'occasions grandes ou petites qui se présentent pour exercer la vertu, puisque nous pouvons relever celles-ci par une ferveur signalée, et ne devons pas être lâches en opérant celles-là, qui de leur nature même sont déjà fort considérables.

SECTION XXX. Des scrupules.

Vous direz que j'ai bien peu de charité pour le prochain, ma très-chère Sœur, puisque ce qui vous afflige me réjouit, comme si je me faisais des roses de vos épines. Vous dites que depuis que vous vous êtes rangée à un train de vie plus dévot qu'auparavant, et que vous avez voulu prendre garde de plus près à vos voies pour mettre vos pas dans les sentiers de la justice, il vous est arrivé une fourmilière de scrupules qui yous rongent et dévorent, et que des mouches d'imperfections, selon le jugement de votre confesseur, vous paraissent des éléphants de péché, à cause de votre infidélité ct ingratitude à correspondre aux grâces que Dieu vous a faites, et que vous reconnaissez qu'il vous fait de jour en jour.

Certes, nous ne nous plaindrions pas de cette bénite déloyauté et méconnaissance, s'il n'y avait au fond de notre âme quelque saint désir de nous en amender; mais désir si secret,. qu'il est caché à nos propres yeux, et imperceptible à notre entendement. Ignorezvous que l'œil, qui voit tout, ne se voit pas lui-même, si quelque glace fidèle ne lui montre comme il est fait? mais s'il ne veut pas croire au rapport de cette glace, n'est-il pas juste qu'il demeure dans l'ignorance de ce qu'il est? Oh! qu'il est bon pourtant que

Dieu nous cache ce peu qui nous reste de fidélité, comme un charbon vif sous un grand tas de cendre; et que nous nous imaginions que notre vertu nous a laissés, et que la lumière de nos yeux ne soit plus avec nous! oui certes, il nous est bon d'être ainsi humiliés, afin que nous gravions plus profondément dans nos cœurs les justifications divines. Mais après tout cela, il ne faut pas perdre courage après la pluie viendra le beau temps, et après les piqûres de ces abeilles, nous mangerons le rayon de miel; nous aurons la lumière après ces obscurités. Car Dieu a coutume de faire sortir la splendeur du milieu des ténèbres, et de tirer la clarté d'entre les nuages, principalement pour ceux qui ont le cœur droit et l'intention bonne, comme je sais, par sa grâce, que vous l'avez. Me voilà prét, mais sans me troubler, disait le Psalmiste, de garder vos commandements, 6 Seigneur. Prenez garde qu'il dit, que c'est sans se travailler gardez-vous surtout du trouble qui est avant-coureur de l'amertume de cœur ; et dans cette amertume très-amère, il est malaisé, sans une grâce très-spéciale de Dieu, de rencontrer la paix. Vous me demandez des avis pour vous tirer de cette misère, les voici tels qu'il plaît à Dieu de me les suggérer. 1o Lisez le chapitre deuxième de la troisième partie de la Philotée de notre bienheureux Père, tout au commencement, et vous y verrez la vraie image de votre mal. Ce n'est pas peu de le connaître; étant bien connu et reconnu, il est à moitié guéri. Il est vrai qu'il n'en donne pas de remèdes; car il n'en parle que par occasion, et non à dessein aussi est-ce un mal dont la cure est difficile, et duquel j'ai coutume de dire, qu'il en est comme de la jalousie, à qui tout sert d'entretien, et fort peu de choses de remèdes. Le jaloux cherche toujours ce qu'il craint de trouver, et le scrupuleux ne fait qu'égratigner ses plaies en les maniant; il prend un plaisir malin à les gratter, mais à la fin cette démangeaison lui est cuisante.

:

:

et

2o C'est un bon signe quand en une terre nouvellement défrichée il croît beaucoup de chardons et de ronces; c'est un témoignage évident de sa graisse, et par conséquent de sa future fertilité, quand elle sera bien cultivée et ensemencée. C'est une assez bonne marque en une âme, quand en son commencement de la vie dévote elle est attaquée de scrupules; car c'est un témoignage que la grâce a imprimé en elle une grande aversion du péché, puisque son ombre seule (ainsi faut-il appeler le scrupule) l'épouvante. C'est un signe de guérison, lorsque, après une forte fièvre, il vient des enlevures aux lèvres, ou en la bouche; la nature jetant ainsi au dehors la chaleur excessive qui était au dedans, et qui déréglait l'harmonie du tempérament des humeurs.

30 Mais vous craignez, dites-vous, que toute votre dévotion ne soit fondée que sur l'esprit servile et mercenaire, et que tout ce bâtiment n'aille en ruine, établi sur de si faibles fondements. Cet esprit est bon, pour les commençants tels que nous sommes encore; et si un jour nous pouvons aspirer à la classe des profitants, vous verrez que Dieu changera notre crainte en dilection, nos plaintes en joie, nos appréhensions en confiance, et que, déchirant notre sac, il nous environnera de liesse. Il en est, vous le savez, de la crainte servile et mercenaire, comme d'une aiguille

:

qui fait passer la soie dans l'étoffe, et quand l'ouvrage est fait, on la remet dans le peloton. Cette crainte nous saisit par nos intérêts, nous fait appréhender de tomber en enfer, et de déchoir du paradis mais c'est pour nous conduire à l'intérêt de Dieu, qui est sa gloire; où lorsque nous sommes arrivés, nous nous dépouillons du vieil homme, et nous revêtons du nouveau, c'est-à-dire, nous nous habillons de Jésus-Christ même, qui nous remplit de sainteté et de justice, et nous couronne de ses miséricordes: et puis la parfaite charité met dehors la crainte servile, pour ne garder que la filiale et amoureuse.

4o Ce que vous avez à craindre, ce serait la servilité et mercenaireté car ces qualités sont incompatibles avec la charité. Mais je sais, la grâce en soit à Dieu, qu'elles sont éloignées de votre âme, que vous redoutez plus la coulpe que la peine, et que ce n'est pas par la seule crainte du supplice et par le seul désir de la récom pense que vous fuyez le mal et embrassez le bien, mais par un motif plus pur et plus élevé, qui est celui de l'amour et de la gloire de notre commun Maître, Jésus-Christ Notre Seigneur.

5o Mais vos scrupules, dites-vous, font appréhender que vous ne vous absteniez du mal, et que vous ne fassiez ce peu de bien qui sort de vous, plus pour votre intérêt que pour celui de Dieu. Ma chère Sœur, si vous avez peur de cela, voilà une bonne peur, et en laquelle, comme David parle, est toute votre forteresse: gardez bien de sortir de ce château, ni de vous écarter de ce retranchement; que ce soit là votre tour de force contre la face de vos ennemis. Assurément, ma bonne Sœur, si vous avez peur de préférer votre intérêt à celui de Dieu, vous ne l'y préférerez nullement : et souvenez-vous qu'en disant ceci, je ne flatte point, je ne déguise point, je ne mens point, et que je parle sincèrement, véritablement, rendement et selon l'Esprit de Dieu. Qui craint Dieu fera le bien, et fera le bien bien, s'il le craint avec amour; et il craint avec amour, s'il craint de ne le pas craindre avec amour, car autre que l'amour ne peut donner une telle crainte. Bienheureux celui qui craint Dieu de la sorte; il ne voudra que trop faire son commandement. Bienheureux celui qui de cette façon est toujours en appréhension, et qui redoute en toutes ses œuvres; car c'est signe qu'il ne se confie pas en soi, mais qu'il jette toute sa pensée et sa confiance en Dieu, et qu'enfin il abondera en délices, étant appuyé sur ce bien-aimé.

6o Vous direz que ces remèdes que je vous propose sont plutôt des diversions et des fomentations qui amusent votre esprit, qu'elles n'en arrachent les épines. Voilà qui va bien, ce sont donc ces bénites épines qui nous fâchent, ma chère Sœur, c'est-à-dire le mal de peine, plutôt que celui de coulpe. Or pour moi, je ne prétends apporter des remèdes qu'à celui-ci, nullement à l'autre, puisque c'est une chère participation des épines de Jésus-Christ en la croix, duquel est toute notre gloire. Pourvu que Dieu ne soit point offensé dans ces scrupules, et par ces scrupules, il n'importe pas qu'ils vous donnent des inquiétudes, et interrompent un peu votre repos; cela vous rendra plus vigilante sur vous-même, et moins sujette à vous endormir dans une dangereuse sécurité.

7° Vous voudriez aussitôt arracher cette zizanie, de peur qu'elle ne suffoque le bon grain de la piété que la grâce a semée dans votre cœur; et moi je vous dis, et vous le dis de la part de Dieu, comme le père de famille: Laissez-la croître jusqu'à la moisson, de peur que vous n'enleviez le bon avec le mauvais. Un temps viendra que nous aurons plus de lumière, plus de force, plus de discernement, pour consulter la bouche du Seigneur, et séparer ce qui est précieux d'avec le chétif. Nous dirons un jour à tous ces petits renardeaux qui démolissent maintenant, et apportent quelque ravage à la vigne de notre intérieur : Retirez-vous de moi, malins, et je sonderai les ordonnances de mon Dieu.

80 Pourvu, dites-vous, que je ne perde point de vue la belle étoile de la grâce parmi ces orages, que tout se bouleverse autour et devant moi, que la mer fasse des vagues, et les vents des orages, je souffrirai volontiers pour l'amour de Dieu : il n'y a que ce naufrage du saint amour que ma faiblesse me fait appréhender. Bon courage, ma Sœur, la crainte est un excellent pilote, et qui saura bien détourner des écueils le vaisseau de notre cœur, duquel procède notre vie : elle est la meilleure et plus sûre gardienne et conservatrice de la grâce. Créature de peu de foi, pourquoi doutezvous? Dieu est avec vous, encore que vous ne l'aperceviez; il est au milieu de votre âme, et vous ne le savez pas : c'est lui qui y met cette bonne crainte de l'offenser. Si votre âme a quelque défaillance devant ce salutaire, il faut surespérer en sa parole; car c'est lui qui a dit: Confiez-vous, c'est moi qui ai vaincu le monde. Je suis avec vous en la tribulation, je vous en tirerai, et vous en glorifierai. Voyez comme il promet de nous faire tirer profit de notre tribulation, et de nous couronner par notre propre affliction.

9o Je ferai comme le bon architriclin de l'Evangile; je vous servirai le meilleur à la fin de cette lettre. C'est le conseil des conseils, d'avoir qui bien nous conseille : votre chère âme est entre les mains d'un conducteur qui a de la prud'hommie et de la charité ce qu'il lui en faut, et de la capacité de reste pour vous bien conseiller en cette occurrence; ses lèvres sont gardiennes de la science de salut pour vous; il est l'ange de l'Eternel des armées, de la bouche duquel vous devez prendre la loi. Si vous acquiescez à ses sages avis, vous serez bientôt délivrée de ces échardes qui déchirent votre conscience: sinon, n'est-il pas bien employé que vous demeuriez en ces peines d'esprit, puisque vous n'en voulez pas sortir par la porte de bon conseil? Souvenez-vous de cette redoutable parole qu'un Prophète dit à un roi de la part du Roi des rois : L'obéissance fait mieux que le sacrifice, et c'est un péché semblable à l'idolatrie, que de résister; et ne vouloir pas acquiescer aux avis des plus sages que nous; c'est une espèce de magie. N'en doutez point, ma chère Soeur; car qui est opiniâtre est idolàtre de ses opinions, et se fait une idole de son propre jugement: et c'est une espèce de fascination magique, de ne se rendre pas aux conseils qui nous sont donnés de la part de Dieu pour notre bien.

« ElőzőTovább »