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Mes Sœurs, permettez que je vous propose une très-agréable histoire d'un bon richard, qui m'a été racontée par notre bienheureux Père, et qui est arrivée à lui-même.

Au voyage qu'il fit à Paris l'an 1619, entre autres rencontres qui lui arrivèrent en ce grand théâtre, vint à lui un personnage fort accommodé des biens de fortune, mais qui était encore plus riche en piété et en miséricorde envers les pauvres.

Ce bon personnage le vint consulter pour la consolation de sa conscience, et commença de ce ton: Monsieur, je suis en grande crainte de ne pas faire mon salut; c'est pourquoi je suis venu vous trouver, afin que vous me mettiez, s'il vous plaît, en la bonne voie. >> Le bienheureux évêque lui demanda d'où lui procédait cette crainte. Il répondit: De ce que je suis trop riche, et vous savez que l'Ecriture met à un tel degré de difficulté le salut du riche, qu'il semble être dans l'impossible. »

François ne pouvant former, sur ce discours, autre conjecture, l'interrogea pour savoir s'il possédait quelque chose de mal acquis. - Nullement, dit-il ma conscience ne me reproche point de ce côté-là.

- Quoi donc, lui dit le bienheureux François, faites-vous quelque mauvais usage de ces richesses? Je m'entretiens, réponditil, selon ma qualité, qui est telle; mais je crains de ne donner pas assez aux pauvres, et vous savez que nous serons un jour jugé làdessus.

Avez-vous des enfants, lui demanda François. Oui, répondit-il, mais ils sont tous bien pourvus, et se peuvent aisément passer de moi. — « Vraiment, reprit François, je ne sais pas d'où vous peuvent venir ces scrupules: vous êtes le premier homme que j'ai rencontré au monde qui se plaigne de l'abondance de ses biens; la plupart n'en ont jamais assez. »

Il lui fut aisé de remettre cette bonne âme en paix, trouvant en elle beaucoup de docilité à suivre ses avis. Et depuis, me parlant sur ce sujet, il me dit qu'il avait appris que ce bonhomme, qui avait eu autrefois de grands emplois dans le monde, dont il s'était fort dignement acquitté, avait laissé toutes ses charges pour ne vaquer qu'aux exercices de piété et de miséricorde, ne bougeant des églises ou des hôpitaux, ou des maisons des pauvres honteux, dont il soulageait les nécessiteux avec tant de largesse, qu'il employait plus de la moitié de son revenu à leur soulagement. Par son testament, outre quantité de legs pieux, il fit Jésus-Christ son premier héritier, donnant à l'Hôtel-Dieu une portion égale à celle de ses enfants, et enfin a couronné une telle vie d'une très-heureuse mort. Que bien-heureux sont les miséricordieux! car ils obtiendront miséricorde.

SECTION XLIX. La réformation de l'intérieur.

Il avait de coutume de dire que la grâce, pour l'ordinaire, faisait comme la nature, non comme l'art. L'art ne répresente que l'exté

rieur; mais la nature commence ses ouvrages par l'intérieur; de là le mot, que le cœur est le premier vivant.

Quand il voulait porter les âmes de vie mondaine à la dévote, il ne leur parlait point de l'extérieur; il ne parlait qu'au cœur et du cœur, sachant que ce donjon gagné, le reste ne tiendrait plus à rien, et ne ferait aucune résistance. « Quand le feu est dans une maison, disait-il, voyez comme l'on jette tous les meubles par les fenêtres. Quand le vrai amour de Dieu possède un cœur, tout ce qui n'est point de Dieu nous semble fort peu de chose.

Une dame de grande qualité s'étant rangée à la dévotion, et sous la conduite de ce saint prélat, plusieurs de ceux qui la voyaient plus assidue qu'à l'ordinaire au service divin, adonnée à l'oraison, au soulagement et service des pauvres, en la visite des malades et des hôpitaux, en la fréquentation des sacrements, et autres exercices de piété, et néanmoins aussi brave et parée qu'auparavant, commencèrent à murmurer, non-seulement contre elle, mais encore contre son conducteur, et plusieurs se scandalisaient de cette procédure.

Une fois, quelque bonne personne vint avertir notre bienheureux Père de plusieurs murmures qui se faisaient, et particulièrement de ce que cette dame n'avait pas seulement quitté ses pendants d'oreille et que l'on s'étonnait de ce que lui, qui était bon confesseur, ne l'avait pas avertie de laisser un ornement si vain et si superflu, et inutile. A quoi repartit François d'une manière fort gracieuse : « Je vous assure que je ne sais pas seulement si elle a' des oreilles; car elle ne se présente à la pénitence que la tête couverte d'une coiffe ou d'une écharpe si grande, que je ne sais comme elle est faite. Et puis, je crois que la sainte femme Rebecca, qui était bien aussi vertueuse qu'elle, ne perdit rien de sa sainteté pour porter les pendants d'oreilles qu'Eliéser lui présenta de la part d'Isaac. »

Cette même dame s'étant avisée de faire mettre des diamants sur une croix d'or qu'elle portait, on vint encore accuser cela de vanité au bienheureux évêque; lequel répondit que ce que l'on reprenait de vanité, était ce qui l'édifiait davantage. « Hélas! dit-il, je voudrais que toutes les croix du monde fussent couvertes de diamants et de toutes les pierres précieuses. N'est-ce pas faire servir au tabernacle les vaisseaux des Egyptiens? et se glorifier en la croix, n'étaitce pas l'enseigne de pierreries du grand saint Paul? A quel meilleur usage saurait-elle employer ses joyaux qu'à orner l'étendard de notre rédemption? >>

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Il estimait beaucoup cet excellent mot, que le bon Taulère avait appris de ce saint villageois que Dieu lui donna pour pédagogue en la vie spirituelle. Quand on lui demandait où il avait trouvé Dieu : C'est là, disait-il, où je me suis laissé moi-même : et où je me suis trouvé moi-même, c'est là où j'ai perdu Dieu.

Cela revient à ces deux cités contraires, Babylone et Jérusalem; l'amour de nous-même propriétaire, et celui de Dieu. L'amourpropre a bâti la première, qui s'étend jusqu'à la haine de Dieu;

et l'amour de Dieu la seconde, qui s'étend jusqu'à la haine de nousmême.

Et qu'est-il besoin de consulter après cette décision sortie de l'Oracle de vérité : « Qui perdra son âme, c'est-à-dire ses propres intérêts en ce monde, les trouvera amplement et avec usure en l'autre; et quiconque les voudra conserver, les perdra (Matth. 16)? Mourir à soi-même pour vivre à Jésus-Christ, c'est la vraie vie du chrétien : mais mourir à Jésus-Christ pour vivre à soi-même et à ses convoitises, c'est le chemin de l'éternelle mort.

SECTION LI. -Des sécheresses en l'oraison.

Quand quelque sœur se plaignait à notre bienheureux Père de ses désolations intérieures, et de ses aridités en l'exercice de l'oraison, au lieu de la consoler, il lui disait : « Pour moi, j'ai toujours plus estimé les confitures sèches que les liquides. »

Peu de filles se peuvent persuader cette vérité, qui est néanmoins très-asseurée, que l'union avec Dieu, d'une âme juste et fidèle, est bien plus serrée et pressée dans les dérélictions et abandonnements, que dans les dévotions et consolations sensibles. D'autant que plus l'âme s'amuse à la consolation de Dieu, moins s'attache-t-elle au Dieu de consolation; tout de même que les abeilles qui font le plus de cire, sont celles qui font le moins de miel.

Qui peut imaginer de plus grands abandonnements extérieurs et intérieurs que ceux que souffrait le Sauveur en la croix, qui lui tirèrent cette frémissante parole de la bouche: Mon Père, mon Père, pourquoi m'avez-vous abandonné? Qui peut néanmoins douter qu'il ne fût lors très-uni à la volonté de son Père, union en laquelle consiste la fin de toute consommation, pour laquelle il s'écrie que tout est consommé? et en cette consommation parfaite il remet son âme entre les mains de son Père; c'est-à-dire, il achève, en expirant, l'œuvre de notre rédemption, pour laquelle il avait été envoyé au monde.

Oh! que bienheureuse est l'âme qui est fidèle dans les sécheresses, abandonnements et désolations! c'est là le creuset où le pur or de la dilection sacrée est raffiné jusqu'au dernier carat.

PARTIE QUATRIÈME.

SECTION I. -De la singularité.

Notre bienheureux Père voulait qu'on se conformât, autant qu'il serait possible, en l'extérieur, au train de vie commun à la vocation à laquelle chacun était appelé et engagé, sans affecter de se faire discerner par des singularités remarquables; alléguant pour cela l'exemple de Notre Seigneur, qui, aux jours de sa chair et de sa conversation en terre, a voulu, en toutes choses, se rendre semblable à ses frères, excepté le péché.

Ce bienheureux prélat pratiqua lui-même fort exactement cette leçon, qu'il donnait à tous ses dévots, et la leur enseignait non tant par sa parole que par son exemple. Certes, en quatorze ans (je le dis à ma honte, pour le mauvais usage que j'en ai fait) que j'ai été sous sa discipline, et que je m'étudiais à remarquer ses actions, et jusqu'à ses moindres gestes, aussi bien que ses paroles, et ses enseignements, je vous avoue que je n'ai jamais rien aperçu en lui, qui ressentit tant soit peu la singularité.

Il faut que je vous dise ici une de mes ruses. Quand il me venait voir en ma résidence, et y passer son octave ordinaire, à quoi il ne manquait point tous les ans; j'avais fait à dessein des trous en certains endroits des portes où du plancher, pour le considérer quand il était tout seul retiré dans sa chambre, pour voir de quelle façon il se comportait en l'étude, en la prière, en la promenade, en la lecture, en la méditation, à s'asseoir, à marcher, à se chauffer, à se coucher, à se lever, à écrire; bref, aux plus menus conte nances et gestes, dont on se licencie souvent quand on est seul. Néanmoins je ne l'ai jamais remarqué se dispenser de la plus exacte loi de la modestie; tel seu qu'en compagnie; tel en compagnie que seul; une égalité de maintien corporel semblable à celle de son cœur. Je n'ai jamais aperçu en lui aucun mouvement extraordinaire, ni des yeux, ni des mains, ni de la tête.

J'ai quelquefois pensé que c'était en lui un effet de cet excellent exercice de la présence de Dieu, qu'il recommandait tant à toutes les âmes qui se rangeaient à sa conduite, qui le tenait ainsi recueilli et circonspect.

Etant seul il était aussi composé qu'en une grande assemblée. S'il faisait quelque prière, vous eussiez dit qu'il était en la présence des anges et de tous les bienheureux : immobile néanmoins comme une colonne en cet exercice, et sans aucune contenance méséante.

J'ai même pris garde, le voyant seul, s'il ne croiserait point les jambes, ou s'il ne mettrait point les genoux l'un sur l'autre, s'il n'appuierait point sa tête de son coude; jamais.

Il m'a souvent dit qu'il fallait que notre conversation extérieure ressemblât à l'eau, dont la meilleure est la plus claire, la plus simple et celle qui a le moins de goût. Toutefois, quoiqu'il n'eût rien de singulier, je le trouvais si singulier à n'avoir point de singularité, que tout me semblait singulier en lui.

J'ai autrefois goûté le mot qu'un grand et dévot personnage me disait un jour de notre bienheureux Père, à Paris, que rien ne le faisait tant souvenir de la conversation de Jésus-Christ entre les hommes que la présence et contenance angélique de ce bienheureux prélat, duquel on pouvait dire qu'il était non-seulement revêtu, mais tout rempli de Jésus-Christ.

SECTIONS II ET III. De la chasteté du cœur.

Je ne saurais dignement vous présenter à quel haut point d'estime le bienheureux François mettait la chasteté du cœur. Il disait que celle du corps n'était que l'écorce, mais l'autre était la moëlle :

qu'en celle du cœur était la racine de l'arbre de cette vertu, et les branches et les feuilles en celle du corps. La corporelle est assez commune et populaire, même parmi les infidèles, et ceux qui sont adonnés à d'autres vices: mais celle du cœur est si rare, qu'il se trouve fort peu de gens qui puissent dire: Mon cœur est nét.

Je ne dis pas qu'il mit cette netteté de cœur à n'avoir point de convoitises; mais il la logeait dans la vacuité des affections illicites.....

Il y a une autre chasteté de cœur qui consiste proprement en la pureté d'intention, de laquelle s'entend la sixième des béatitudes qui appelle Bienheureux les nets de cœur, parce qu'ils verront Dieu. Oh! que cette chasteté et pureté est encore rare! C'est en elle que consiste la fine fleur de la charité, et de cette sainteté dont l'Apôtre parle, sans laquelle nul ne verra Dieu.....

La vraie chasteté et pureté de cœur consiste, disait notre bienheureux Père, à ne voir que Dieu en toutes choses et toutes choses qu'en Dieu. C'est là un petit rayon du paradis, où Dieu est toutes choses en tous, et à tous. A celui en qui, par qui, de qui, pour qui sont toutes choses, soit honneur et gloire par tous les siècles. Amen.

SECTION IV. Ses sentiments touchant les dignités.

Il est certain que deux très-grands pontifes, Clément VIII et Paul V, ont eu en fort grande estime le bienheureux François. Je suis témoin du haut état qu'en faisait le dernier, auquel ayant parlé fort souvent, et entretenu fort longtemps, il me témoignait assez, par des termes fort avantageux, combien il prisait la vertu, la piété et la capacité de ce saint prélat. Il est certain qu'il pensa plusieurs fois à le promouvoir au cardinalat. Notre bienheureux même en fut averti, et ne le dissimule pas, en quelques lettres qu'il en écrivit à ses confidents, dont quelques-unes depuis ont été publiées.....

Un jour que je lui parlais de cela en particulier, il me dit : Mais en vérité à quoi pensez-vous que me pût servir cette qualité pour servir davantage à Notre Seigneur et à son Eglise?

-Vous entreriez, lui disais-je, dans la sollicitude de toutes les Eglises, et de la conduite d'une Eglise particulière, vous seriez admis en la part du soin de l'universelle, étant comme co-assesseur du Saint-Siége. « Vous voyez néanmoins, reprit-il, que les cardinaux qui se sont rendus plus signalés et qui éclatent encore davantage en piété en nos jours, quand ils sont évêques et ont des diocèses, quittent la résidence de Rome, pour se retirer en celle de leurs bergeries, à raison du pastorat, qui oblige les pasteurs de veiller sur leurs troupeaux, et de paître et conduire les âmes qui leur sont commises. >>

A ce propos, il me racontait une chose mémorable du grand cardinal Bellarmin de très-heureuse et sainte mémoire (qui), promu à cette dignité, sans son su et contre son gré, par Clément VIII, et, Sous le pontificat de Paul V, pourvu contre son inclination à l'archevêché de Capoue, y fit une résidence continuelle de trois ans,

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