Il va chercher l'or au Potose,
Aux champs que l'Amazone arrose, Et jusques au berceau du jour, Et se pare au milieu de l'onde Des riches tributs de Golconde, Du Bengale et de Visapour.
Cependant la mer azurée, Sans vagues et sans aquilons, Réfléchit sa poupe dorée Et l'éclat de ses pavillons. Ses matelots, vêtus de soie, Sous un ciel pur boivent la joie, Et chantent leur prospérité, Tandis que, renversant sa coupe, Le vieux pilote sur la poupe S'endort plein de sécurité.
Il n'a pas lu dans les étoiles Les malheurs qui vont advenir:
Il n'aperçoit pas que ses voiles Ne savent plus quels vents tenir; Que le ciel est devenu sombre, Que des vents s'est accru le nombre, Que la mer gronde sourdement; Et que, messager de tempête, L'alcyon passe sur sa tête Avec un long gémissement.
Du milieu des plaines profoudes Un cri soudain s'est élancé. Qu'est devenu ce roi des ondes? C'en est fait l'orage a passé. Les flots qui tremblaient sous un maître, Au lieu qui l'ont vu disparaître Venant sans bruit se réunir, Roulent avec indifférence, Et de sa superbe existence N'ont plus même le souvenir. M. PIERRE LE BRUN.
Si j'abandonne aux plis de la voile rapide Ce que m'a fait le ciel de paix et de bonheur ; Si je confie aux flots de l'élément perfide
Une femme, un enfant, ces deux parts de mon cœur: Si je jette à la mer, aux sables, aux nuages, Tant de doux avenirs, tant de cœurs palpitants, D'un retour incertain sans avoir d'autres gages Qu'un mât plié par les autans;
Ce n'est pas que de l'or l'ardente soif s'allume Dans un cœur qui s'est fait un plus noble trésor; Ni que de son flambeau la gloire me consume De la soif d'un vain nom plus fugitif encor; Ce n'est pas qu'en nos jours la fortune du Dante Me fasse de l'exil amer manger le sel,
Ni que des factions la colère inconstante
Me brise le seuil paternel.
Non, je laisse en pleurant, aux flancs d'une vallée, Des arbres tout chargés, un champ, une maison De tièdes souvenirs encor toute peuplée, Que maint regard àmi salue à l'horizon. J'ai sous l'abri des bois de paisibles asiles Où ne retentit pas le bruit des factions, Où je n'entends, au lieu des tempêtes civiles, Que joie et bénédictions.
Un vieux père, entouré de nos douces images, Y tressaille au bruit sourd du vent dans les créneaux, Et prie, en se levant, le maître des orages De mesurer la brise à l'aile des vaisseaux; De pieux laboureurs, des serviteurs sans maître, Cherchent du pied nos pas absents sur le gazon, Et mes chiens au soleil, couchés sous ma fenêtre, Hurlent de tendresse à mon nom.
J'ai des sœurs qu'allaita le même sein de femme, Rameaux qu'au même tronc le vent devait bercer; J'ai des amis dont l'âme est du sang de mon âme, Qui lisent dans mon œil et m'entendent penser ; J'ai des cœurs inconnus, où la muse m'écoute, Mystérieux amis, à qui parlent mes vers, Invisibles échos répandus sur ma route Pour me renvoyer des concerts.
Mais l'âme a des instincts qu'ignore la nature, Semblables à l'instinct de ces hardis oiseaux, Qui leur fait, pour chercher une autre nourriture, Traverser d'un seul vol l'abîme aux grandes eaux. Que vont-ils demander aux climats de l'aurore? N'ont-ils pas sous nos toits de la mousse et des nids? Et, des gerbes du champ que notre soleil dore,
L'épi tombé pour leurs petits?
Moi, j'ai comme eux le pain que chaque jour demande, J'ai comme eux la colline et le fleuve écumeux; De mes humbles désirs la soif n'est pas plus grande,
Et cependant je pars et je reviens comme eux : Mais, comme eux, vers l'aurore une force m'attire, Mais je n'ai pas touché de l'œil et de la main Cette terre de Cham, notre premier empire, Dont Dieu pétrit le cœur humain.
Je n'ai pas navigué sur l'Océan de sable Au branle assoupissant du vaisseau du désert; Je n'ai pas étanché ma soif intarissable,
Le soir, au puits d'Hébron, de trois palmiers couverts; Je n'ai pas étendu mon manteau sous les tentes, Dormi dans la poussière où Dieu retournait Job, Ni la nuit, au doux bruit des toiles palpitantes, Rêvé les rêves de Jacob.
Des sept pages du monde une me reste à lire: Je ne sais pas comment l'étoile y tremble aux cieux, Sous quel poids de néant la poitrine respire, Comme le cœur palpite en approchant des dieux; Je ne sais pas comment, au pied d'une colonne, D'où l'ombre des vieux jours sur le barde descend, L'herbe parle à l'oreille, ou la terre bourdonne, Ou la brise pleure en passant.
Je n'ai pas entendu dans les cèdres antiques Les cris des nations monter et retentir, Ni vu du haut Liban les aigles prophétiques S'abattre au doigt de Dieu sur les palais de Tyr; Je n'ai pas reposé ma tête sur la terre
Où Palmyre n'a plus que l'écho de son nom, Ni fait sonner au loin, sous mon pied solitaire, L'empire vide de Memnon.
Je n'ai pas entendu, du fond de ses abîmes, Le Jourdain lamentable élever ses sanglots, Pleurant avec des pleurs et des cris plus sublimes Que ceux dont Jérémie épouvanta ses flots; Je n'ai pas écouté chanter en moi mon âme Dans la grotte sonore où le barde des rois
Sentait, au sein des nuits, l'hymne à la main de flamme Arracher la harpe à ses doigts.
Et je n'ai pas marché sur des traces divines Dans ce champ où le Christ pleura sous l'olivier; Et je n'ai pas cherché ses pleurs sur les racines D'où les anges jaloux n'ont pu les essuyer! Et je n'ai pas veillé pendant des nuits sublimes Au jardin où, suant sa sanglante sueur, L'écho de nos douleurs et l'écho de nos crimes Retentirent dans un seul cœur.
Et je n'ai pas couché mon front dans la poussière Où le pied du Sauveur en partant s'imprima; Et je n'ai pas usé sous mes lèvres la pierre Où, de pleurs embaumé, sa mère l'enferma ! Et je n'ai pas frappé ma poitrine profonde Aux lieux où, par sa mort conquérant l'avenir, Il ouvrit ses deux bras pour embrasser le monde, Et se pencha pour le bénir.
Voilà pourquoi je pars, voilà pourquoi je joue Quelque reste de jours inutile ici-bas.
Qu'importe sur quel bord le vent d'hiver secoue L'arbre stérile et sec et qui n'ombrage pas ! L'insensé! dit la foule. Elle-même insensée !
Nous ne trouvons pas tous notre pain en tout lieu: Du barde voyageur le pain c'est la pensée,
Son cœur vit des œuvres de Dieu!
Adieu donc, mon vieux père, adieu, mes sœurs chéries; Adieu, ma maison blanche à l'ombre du noyer;
Adieu, mes beaux coursiers, oisifs dans mes prairies; Adieu, mon chien fidèle, hélas! seul au foyer! Votre image me trouble et me suit comme l'ombre De mon bonheur passé qui veut me retenir. Ah! puisse se lever moins douteuse et moins sombre L'heure qui doit nous réunir 1!
1) Un grand poëte, lord Byron, a laissé d'autres adieux à sa patrie. Le départ de Childe-Harold respire une tristesse amère, que font ressortir et qu'adoucissent en même temps les regrets tendres et naïfs des serviteurs de Harold', petit drame touchant dont le mouvement concourt et se confond avec le mouvement lyrique de l'ensemble. Le pèlerin de Byron ne parle pas de retour; il ne croit pas laisser
des regrets derrière lui; il ne va pas demander aux pays étrangers le pain de la pensée, mais un refuge contre ses souvenirs. Les sentiments qu'il exprime n'ayant rien d'expansif, sa parole est brève, comprimée; mais la concision de son langage est aussi poétique pour le moins que la diffuse magnificence du poëte des Médita tions. Je cite les derniers traits:
<< Me voici seul dans le monde, sur l'immensité des mers. Pourquoi soupirer «<pour les autres, quand personne ne soupire pour moi? Mon chien peut-être se <<lamentera jusqu'à ce que la main d'un étranger le nourrisse; mais mon chien <«<lui-même me déchirerait après m'avoir oublié.»
<< Vaisseau léger, vaisseau propice! tu voles sur l'onde écumante. Peu m'importe «<le rivage où tu me conduis pourvu que ce ne soit pas le mien. Salut, salut, ô << vagues bleuâtres! Portez-moi sur des côtes désertes! déposez-moi dans des antres «<sauvages! ô mon pays natal, adieu!»
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