Compagne de mes pas dans toutes mes demeures, Idole d'un cœur juste et passion du sage, Amitié que ton nom couronne cet ouvrage, Qu'il préside à mes vers comme il règne en mon cœur: VOLTAIRE. * 'LE morceau qu'on vient de lire est un de ces Discours sur l'homme qui assurent à Voltaire un des premiers rangs parmi les poëtes didactiques. Il n'a été, ce nous semble, nulle part plus original, parce que nulle part son génie ne fut plus à l'aise. On dirait que la versification n'est pour lui qu'une liberté de plus, et qu'il a trouvé dans ce genre la vraie forme de sa pensée. Son expression bien souvent n'est ni précise ni poétique; ses idées ne sont, à l'ordinaire, ni profondes, ni nouvelles; sa philosophie n'est guère que la sagesse des honnêtes gens de son temps, et sa morale un sage épicuréisme. Mais les idées nécessaires au genre humain, les axiomes de la sociabilité et de la civilisation, les principes de cette humanité qui cherchait alors, tant bien que mal, à remplir le vide laissé par la charité, n'ont jamais, à notre avis, trouvé un interprète plus heureux. Cette prose (car c'en est une, de pensée et de langage) devient quelquefois une poésie facile et brillante; les beaux vers, les vers qu'on ne peut oublier, n'y sont point rares: il nous faudrait plus d'une page pour citer tous ceux qui, du premier coup, nous reviennent à la mémoire. Qui n'a point retenu, et qui n'aime à répéter ceux-ci : « Hélas! où donc chercher, où trouver le bonheur ! «Et vit dans les glaçons qu'ont durcis les hivers.>> Et ceux-ci, pénétrés d'un sentiment que Voltaire malheureusement a peu connu : Qu'il est grand, qu'il est doux de se dire à soi-même : « Je n'ai point d'ennemis, j'ai des rivaux que j'aime, dans l'étymologie du mot dont, qui ne passe pourtant pas pour exprimer une idée de lieu. Il est formé des deux mots latins de unde, et s'écrivait autrefois d'ond. «La généalogie et antiquité d'ond nous est venu Gargantua.» Rabelais. 1) Faible. «Je prends part à leur gloire, à leurs maux, à leurs biens; « Ces chênes, ces sapins qui s'élèvent ensemble: «Un suc toujours égal est préparé pour eux; <«<Leur pied touche aux enfers, leur cime est dans les cieux; «Et de leur sang impur arroser leurs racines.>> Qui n'aime à retrouver ces vers tirés du poëme de la Loi naturelle : «De nos désirs fougueux la tempête fatale «Laisse au fond de nos cœurs la règle et la morale. « Apporte en bouillonnant un limon qui l'altère ; <«<S'y contemple aisément quand l'orage est passé.>> Avant Voltaire on avait écrit d'aussi beaux, de plus beaux vers, point de pareils. C'était une nouvelle forme, un nouvel emploi de la poésie. L'exemple était dangereux et perfide. Cette poésie, si voisine de la prose, tenta par son apparente facilité, et la tradition du vers racinien, rhythmé, accidenté, palpitant, finissait par se perdre tout à fait, lorsque le traducteur des Géorgiques, et plus tard, André Chénier, le retrouvèrent, au même temps, on peut le dire, où la prose tentait de s'emparer des dépouilles de la poésie : Un grand nombre de vers didactiques de Voltaire sont devenus proverbes : «Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer.>> « Un esprit corrompu ne fut jamais sublime.» «Tes pourquoi, dit le Dieu, ne finiraient jamais.» «Nous ne vivons jamais, nous attendons la vie.»> Boileau et Voltaire ont été, comme poëtes didactiques, très-bien comparés et jugés par M. de Fontanes dans le Discours préliminaire de sa traduction de l'Essai sur l'homme. LES GRECS ET LES ROMAINS. Qui me délivrera des Grecs et des Romains? L'Epenthèse, la Crase et tout ce qui s'ensuit. J'avais pris en horreur cette société ; Je demandais enfin grâce à l'antiquité ; Je voulais observer des mœurs contemporaines, Vivre avec des Français, loin de Rome et d'Athènes. Mais les anciens n'ont pu me laisser respirer; Tout mon pays s'est mis à se régénérer: Les Grecs et les Romains, mêlés dans nos querelles, Car à Lacédémone il était légitime; Les biens étaient communs, tous les hommes égaux, Tout faisait une loi du partage des terres; Chacun dut en jouir hors les propriétaires, Qui virent tous leurs biens, entre leurs mains suspects, Ont dans tous leurs exploits surpassé leurs modèles ; Et nous ont égorgés, en citant les anciens. Qu'il ne soit plus parlé des Grecs, je vous supplie; En vain monsieur Collot, pour nous plein de tendresse, Et veut absolument nous faire divertir, Quand il ne nous plaît pas de prendre du plaisir . . . Privés de leurs parents, dépouillés de leurs biens. . . . M. BERCHOUX. LA VIE DU GRAND MON D E. VIVONS pour nous, ma chère Rosalie1; Après diner, l'indolente Glycère Au fond d'un char, où, montant de côté, D'un lourd panier qui flotte aux deux portières. Monte avec joie, et s'en repent déjà, A ce fardeau de mon oisiveté. Si ce ne sont ses paroles expresses, C'en est le sens. Quelques feintes caresses, Elles chantaient déjà, faute d'idées. Quand dans la chambre entre monsieur l'abbé, Qui se rengorge et se lorgne au miroir. Prend la parole, et conte longuement 4) Mme Denis, nièce de l'auteur. |