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l'autorité légitime, serait criminel d'avoir condamné à la mort ceux qui les auraient commises, parce que les lois sont très-éloignées de les y condamner; et enfin, pour comble de ces excès, on ne contracte ni péché ni irrégularité en tuant de cette sorte, sans autorité et contre les lois, quoiqu'on soit religieux et même prêtre. Où en sommes-nous, mes pères? Sont-ce des religieux qui parlent de cette sorte? Sont-ce des chrétiens? Sont-ce des Turcs? Sont-ce des hommes? Sont-ce des démons? Et sont-ce là les mystères révélés par l'Agneau à ceux de sa société, ou des abominations suggérées par le Dragon à ceux qui suivent son parti?

Car enfin, mes pères, pour qui voulez-vous qu'on vous prenne? pour des enfants de l'Évangile, ou pour des ennemis de l'Évangile? On ne peut être que d'un parti ou de l'autre, il n'y a point de milieu. <«< Qui n'est point avec Jésus-Christ est contre lui. »> Ces deux genres d'hommes partagent tous les hommes. Il y a deux peuples et deux mondes répandus sur toute la terre, selon saint Augustin: le monde des enfants de Dieu, qui forme un corps dont Jésus-Christ est le chef et le roi; et le monde ennemi de Dieu, dont le diable est le chef et le roi; et c'est pourquoi JésusChrist est appelé le roi et le Dieu du monde, parce qu'il a partout des sujets et des adorateurs, et que le diable est aussi appelé dans l'Écriture le prince du monde et le dieu de ce siècle, parce qu'il a partout des suppôts et des esclaves. Jésus-Christ a mis dans l'Église, qui est son empire, les lois qu'il lui a plu, selon sa sagesse éternelle; et le diable a mis dans le monde, qui est son royaume, les lois qu'il a voulu y établir. Jésus-Christ a mis l'honneur à souffrir, le diable à ne point souffrir; Jésus-Christ a dit à ceux qui reçoivent un soufflet de tendre l'autre joue, et le diable a dit à ceux à qui on veut donner un soufflet de tuer ceux qui voudront leur faire cette injure. Jésus-Christ déclare heureux ceux qui participent à son ignominie, et le diable déclare malheureux ceux qui sont dans l'ignominie. Jésus-Christ dit: Malheur à vous quand les hommes diront du bien de vous! et le diable dit: Malheur à ceux dont le monde ne parle pas avec estime!

Voyez donc maintenant, mes pères, duquel de ces deux royaumes vous êtes. Vous avez ouï le langage de la ville de paix, qui s'appelle la Jérusalem mystique, et vous avez ouï le langage de la ville de trouble, que l'Écriture appelle la spirituelle Sodome :

4) Remarquez cette transition naturelle, vive et large, qui, se rattachant à une des idées particulières de la Lettre, amène la conclusion générale de l'ouvrage.

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lequel de ces deux langages entendez-vous? lequel parlez-vous ? Ceux qui sont à Jésus-Christ ont les mêmes sentiments que JésusChrist, selon saint Paul; et ceux qui sont enfants du diable, patre diabolo, qui a été homicide dès le commencement du monde, suivent les maximes du diable, selon la parole de JésusChrist. Écoutons donc le langage de votre école, et demandons à vos auteurs: Quand on nous donne un soufflet, doit-on1 l'endurer plutôt que de tuer celui qui le veut donner? ou bien estil permis de tuer pour éviter cet affront? Il est permis, disent Lessius, Molina, Escobar, Réginaldus, Filiutius, Baldellus et autres jésuites, de tuer celui qui nous veut donner un soufflet. Est-ce là le langage de Jésus-Christ? Répondez-nous encore. Serait-on sans honneur en souffrant un soufflet sans tuer celui qui l'a donné? <«< N'est-il pas véritable, dit Escobar, que tandis qu'un <«< homme laisse vivre celui qui lui a donné un soufflet, il demeure << sans honneur? » Oui, mes pères, sans cet honneur que le diable a transmis de son esprit superbe en celui de ses superbes enfants. C'est cet honneur qui a toujours été l'idole des hommes possédés par l'esprit du monde. C'est pour se conserver cette gloire, dont le démon est le véritable distributeur, qu'ils lui sacrifient leur vie par la fureur des duels à laquelle ils s'abandonnent, leur honneur par l'ignominie des supplices auxquels ils s'exposent, et leur salut par le péril de la damnation auquel ils s'engagent, et qui les a fait priver de la sépulture même par les canons ecclésiastiques; mais on doit louer Dieu de ce qu'il a éclairé l'esprit du roi par des lumières plus pures que celles de votre théologie. Ses édits si sévères sur ce sujet n'ont pas fait que le duel fût un crime; ils n'ont fait que punir le crime qui est inséparable du duel. Il a arrêté par la crainte de la rigueur de sa justice ceux qui n'étaient pas arrêtés par la crainte de la justice de Dieu et sa piété lui a fait connaître que l'honneur des chrétiens consiste dans l'observation des ordres de Dieu et des règles du christianisme, et non pas dans ce fantôme d'honneur, que vous prétendez, tout vain qu'il soit, être une excuse légitime

1) V. p. 157, n. 5. 2) Tandis pour aussi longtemps ou tant: cette acception ne s'est pas conservée. 3) Lisez est; quoique de bons écrivains se soient permis l'emploi du subjonctif: «< Tout paresseux que je sois, je voudrais être gagé pour critiquer tous les livres qui se font. » Fontenelle. « J'ai besoin de partir de ce point de comparaison, tout pénible qu'il soit à ma vanité.» M. Nodier. révolté qu'il fût, Schiller devint le disciple passionné de Shakspeare.» M. de Barante.

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pour les meurtres. Ainsi vos décisions meurtrières sont maintenant en aversion à tout le monde, et vous seriez mieux conseillés de changer de sentiment, si ce n'est par principe de religion, au moins par maxime de politique. Prévenez, mes pères, par une condamnation volontaire de ces opinions inhumaines, les mauvais effets qui en pourraient naître, et dont vous seriez responsables; et pour concevoir plus d'horreur de l'homicide, souvenez-vous que le premier crime des hommes corrompus a été un homicide en la personne du premier juste; que leur plus grand crime a été un homicide en la personne du chef de tous les justes, et que l'homicide est le seul crime qui détruit tout ensemble l'État, l'Église, la nature et la piété.

PREMIÈRE VUE SUR LA NATURE;

PAR BUFFON.

G. L. LECLERC, comte de BUFFON, membre de l'Académie des sciences et de l'Académie française, intendant du Jardin du roi, né à Montbar en 1707, mort à Paris en 1788, se place avec Montesquieu, Voltaire et J. J. Rousseau, à la tête de la littérature du 18e siècle. Les mathématiques occupèrent sa jeunesse. Mais il ne tarda pas à consacrer à l'histoire naturelle les ressources d'un génie vaste, d'un santé robuste, et d'un travail infatigable. Un seul ouvrage, immense à la vérité, devint l'objet de sa vie : c'était une Histoire naturelle générale et particulière, dont les premiers volumes parurent en 1749. Ce début lui marqua pour jamais sa place parmi les écrivains et les savants. La dignité prudente de sa conduite conserva pure la considération que lui avaient procurée ses premiers travaux, et toute sa vie ne fut qu'un paisible triomphe. Sa réputation de naturaliste a, depuis sa mort, souffert quelques atteintes: comme écrivain, il a conservé son rang. Le premier parmi les modernes, il a mis en contact l'histoire naturelle et l'éloquence. Le premier, il a ennobli les plus petits objets et les détails les plus vulgaires par la grandeur des vues générales qu'il y attache habituellement. La dignité de son langage, qui tient à celle de sa pensée, nous fait voir en lui moins encore l'interprète que le prophète de la nature. La richesse semble un des caractères principaux de sa diction, dont la plénitude absorbe tout l'objet qu'elle veut décrire. Il n'a point d'égal dans la description; il rend avec un égal bonheur les formes et le caractère de chaque objet. Les termes sont pesés avec une

rigoureuse justesse, et la phrase formée avec un art qui n'est jamais trop sensible. Peut-être un peu plus de mouvement pourrait animer cette prose noble, quelquefois même pompeuse. Peut-être la sensibilité aurait-elle complété ce talent rare, qui devait presque autant à l'art et au travail qu'à la nature. L'ouvrage de Buffon, resté incomplet, n'en est pas moins un des plus beaux monuments du 18e siècle.

Toutes les parties du talent de Buffon sont rassemblées dans le morceau qu'on va lire. Si Longin, a dit M. Lemercier, eût pu connaître ce morceau « de notre Pline, je ne doute pas qu'il ne l'eût jugé le prototype du beau.» En voici une courte analyse:

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Définition de la nature et de son action. - Vue générale de l'univers, où deux forces combinées entretiennent le mouvement et maintiennent l'équilibre. Effet de l'action inégale de ces deux forces. Le soleil, centre et source de vie du système dont nous faisons partie; les planètes et les comètes obéissant à sa loi ou reconnaissant sa puissance; la terre favorisée entre toutes les planètes. Vue du globe que nous habitons: la mer, et ses courants; l'air, et ses courants, qui sont les vents; la terre enfin, fleurie et végétante, séjour et domaine de l'homme. Le perfectionnement, l'éducation de la nature, confiés à l'homme. Ce qu'elle est sans lui (ou la nature sauvage); ce qu'elle devient par lui (ou la nature cultivée); ce qu'elle est lorsqu'il lui retire ses soins (ou la nature dégénérée). La guerre amène ce dernier état; la paix

et l'union sont les conditions de la puissance que l'homme exerce sur la nature. L'auteur demande à Dieu de rendre aux hommes la paix en leur donnant l'amour.

LA nature est le système des lois établies par le Créateur pour l'existence des choses et pour la succession des êtres. La nature n'est point une chose, car cette chose serait tout; la nature n'est point un être, car cet être serait Dieu; mais on peut la considérer comme une puissance vive, immense, qui embrasse tout, qui anime tout, et qui, subordonnée à celle du premier Être, n'a commencé d'agir' que par son ordre, et n'agit encore que par son concours ou son consentement. Cette puissance est, de la puissance divine, la partie qui se manifeste; c'est en même temps la cause et l'effet, le mode et la substance, le dessein et l'ouvrage bien différente de l'art humain, dont les productions ne sont que des ouvrages morts, la nature est elle-même un ouvrage perpétuellement vivant; un ouvrier sans cesse actif, qui

4) De pour à, afin d'éviter l'hiatus. Nos classiques, et principalement J. J. Rousseau, n'ont pas d'autre raison pour la substitution de la première de ces prépositions à la seconde après les verbes commencer, obliger et quelques autres.

sait tout employer, qui, travaillant d'après soi-même, toujours sur le même fonds 2, bien loin de l'épuiser, le rend inépuisable; le temps, l'espace et la matière sont ses moyens, l'univers son objet, le mouvement et la vie son but.

Les effets de cette puissance sont les phénomènes du monde ; les ressorts qu'elle emploie sont des forces vives, que l'espace et le temps ne peuvent que mesurer et limiter sans jamais les détruire; des forces qui se balancent, qui se confondent, qui s'opposent sans pouvoir s'anéantir: les unes pénètrent et transportent les corps, les autres les échauffent et les animent; l'attraction et l'impulsion sont les deux principaux instruments de l'action de cette puissance sur les corps bruts: la chaleur et les molécules organiques vivantes sont les principes actifs qu'elle met en œuvre pour la formation et le développement des êtres organisés.

Avec de tels moyens, que ne peut la nature! Elle pourrait tout si elle pouvait anéantir et créer; mais Dieu s'est réservé ces deux extrêmes de pouvoir; anéantir et créer sont les attributs de la toute-puissance; altérer, changer, détruire, développer, renouveler, produire, sont les seuls droits qu'il a voulu céder. Ministre de ses ordres irrévocables, dépositaire de ses immuables décrets, la nature ne s'écarte jamais des lois qui lui ont été prescrites; elle n'altère rien aux plans qui lui ont été tracés, et dans tous ses ouvrages elle présente le sceau de l'Éternel: cette empreinte divine, prototype inaltérable des existences, est le modèle sur lequel elle opère; modèle dont tous les traits sont exprimés en caractères ineffaçables et prononcés pour jamais; modèle toujours neuf, que le nombre des moules ou des copies, quelque infini qu'il soit, ne fait que renouveler.

Tout a donc été créé; et rien encore ne s'est anéanti; la nature balance entre ces deux limites sans jamais approcher ni de l'une ni de l'autre tâchons de la saisir dans quelques points de cet espace immense qu'elle remplit et parcourt depuis l'origine des siècles.

Quels objets! Un volume immense de matière qui n'eût formé qu'une inutile, une épouvantable masse, s'il n'eût été divisé en parties séparées par des espaces mille fois plus immenses; mais des milliers de globes lumineux, placés à des distances inconcevables, sont les bases qui servent de fondement à l'édifice du monde; des millions de globes opaques, circulant autour des premiers, en composent l'ordre et l'architecture mouvante: deux for4) V. p. 151, p. 1. 2) Fonds et non pas fond.

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