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Appelle sa folie une rare prudence,

Et met toute sa gloire et son souverain bien
A grossir un trésor qui ne lui sert de rien.
Plus il le voit accru, moins il en sait l'usage.

Sans mentir, l'avarice est une étrange rage,
Dira cet autre fon, non moins privé de sens,
Qui jette, furieux, son bien à tous venants,
Et dont l'ame inquiete, à soi-même importune,
Se fait un embarras de sa bonne fortune.
Qui des deux en effet est le plus aveuglé?

L'un et l'autre, à mon sens, ont le cerveau troublé,
Répondra chez Fredoc ce marquis sage et prude,
Et qui sans cesse au jeu, dont il fait son étude,
Attendant son destin d'un quatorze ou d'un sept,
Voit sa vie ou sa mort sortir de son cornet.
Que si d'un sort fàcheux la maligne inconstance
Vient par un coup fatal faire tourner la chance,
Vous le verrez bientôt, les cheveux hérissés,
Et les yeux vers le ciel de fureur élancés,
Ainsi qu'un possédé que le prêtre exorcise,
Fêter dans ses serments tous les saints de l'église.
Qu'on le lie; ou je crains, à son air furieux,
Que ce nouveau Titan n'escalade les cieux.

Mais laissons-le plutôt en proie à son caprice.
Sa folie, aussi-bien, lui tient lieu de supplice.
Il est d'autres erreurs dont l'aimable poison
D'un charme bien plus doux enivre la raison :
L'esprit dans ce nectar heureusement s'oublie.

Chapelain veut rimer (1), et c'est là sa folie.
Mais bien que ses durs vers, d'épithetes enflés,

(1) Cet auteur, avant que sa Pucelle fût imprimée, passoit pour le premier poëte du siecle : l'impression gâta

tout.

Soient des moindres grimauds chez Ménage (1) sifflés,
Lui-même il s'applaudit, et, d'un esprit tranquille,
Prend le pas au Parnasse au-dessus de Virgile.
Que feroit-il, hélas! si quelque audacieux
Alloit pour son malheur lui dessiller les yeux,
Lui faisant voir ses vers et sans force et sans graces
Montés sur deux grands mots, comme sur deux
échasses,

Ses termes sans raison l'un de l'autre écartés,
Et ses froids ornements à la ligne plantés?
Qu'il maudiroit le jour où son ame insensée
Perdit l'heureuse erreur qui charmoit sa pensée !
Jadis certain bigot, d'ailleurs homme sensé,
D'un mal assez bizarre eut le cerveau blessé,
S'imaginant sans cesse, en sa douce manie,
Des esprits bienheureux entendre l'harmonie.
Enfin un médecin fort expert en son art
Le guérit par adresse, ou plutôt par hasard.
Mais voulant de ses soins exiger le salaire,
Moi! vous payer! lui dit le bigot en colere,
Vous, dont l'art infernal, par des secrets maudits,
En me tirant d'erreur m'ôte du paradis!

J'approuve son courroux ; car, puisqu'il faut le dire,
Souvent de tons nos maux la raison est le pire.
C'est elle qui, farouche au milieu des plaisirs,
D'un remords importun vient brider nos desirs.
La fâcheuse a pour nous des rigueurs sans pareilles,
C'est un pédant qu'on a sans cesse à ses oreilles,
Qui toujours nous gourmande, et, loin de nous tou
cher,

Souvent, comme Joly (2), perd son temps à prêcher.

(1) On tenoit chez Ménage, toutes les semaines, uue assemblée où alloient beaucoup de petits esprits.

Illustre prédicateur, alors curé de saint Nicolas des hamps à Paris, et depuis évêque d'Agen.

En vain certains rêveurs nous l'habillent en reine, Veulent sur tous nos sens la rendre souveraine, Et, s'en formant en terre une divinité,

Pensent aller par elle à la félicité :

C'est elle, disent-ils, qui nous montre à bien vivre, Ces discours, il est vrai, sont fort beaux dans un livre;

Je les estime fort: mais je trouve en effet

Que le plus fou souvent est le plus satistait.

SATIRE V.

A M. LE MARQUIS DE DANGEAU.

La noblesse, Dangeau, n'est pas une chimere,

Quand, sous l'étroite loi d'une vertu sévere,
Un homme issu d'un sang fécond en demi-dieux
Suit, comme toi, la trace où marchoient ses aïeux.
Mais je ne puis souffrir qu'un fat, dont la mollesse
N'a rien pour s'appuyer qu'une vaine noblesse,
Se pare insolemment du mérite d'autrui,

Et me vante un honneur qui ne vient pas de lui.
Je veux que la valeur de ses aïeux antiques
Ait fourni de matiere aux plus vieilles chroniques,
Et que l'un des Capets, pour honorer leur nom,
Ait de trois fleurs de lis doté leur écusson.
Que sert ce vain amas d'une inutile gloire,
Si, de tant de héros célebres dans l'histoire,
Il ne peut rien offrir aux yeux de l'univers
Que de vieux parchemins qu'ont épargnés les vers ;
Si, tout sorti qu'il est d'une source divine,
Son cœur dément en lui sa superbe origine,
Et, n'ayant rien de grand qu'une sotte fierté,
S'endort dans une lâche et molle oisiveté ?
Cependant, à le voir avec tant d'arrogance
Vanter le faux éclat de sa haute naissance,
On diroit que le ciel est soumis à sa loi,

Et
que Dieu l'a pétri d'autre limon que moi.
Enivré de lui-même, il croit, dans sa folie,
Qu'il faut que devant lui d'abord tout s'humilie.
Aujourd'hui toutefois, sans trop le ménager,
Sur ce ton un peu haut je vais l'interroger:

Dites-moi, grand héros, esprit rare et sublime, Entre tant d'animaux, qui sont ceux qu'on estime ?

,

On fait cas d'un coursier qui, fier et plein de cœur,
Fait paroître en courant sa bouillante vigueur;
Qui jamais ne se lasse, et qui dans la carriere
S'est couvert mille fois d'une noble poussiere :
Mais la postérité d'Alfane (1) et de Bayard (2),
Quand ce n'est qu'une rosse, est vendue au hasard,
Sans respect des aïeux dont elle est descendue,
Et va porter la malle, on tirer la charrue.

Pourquoi donc voulez-vous que, par un sot abus,
Chacun respecte en vous un honneur qui n'est plus?
On ne m'éblouit point d'une apparence vaine :
La vertu d'un cœur noble est la marque certaine.
Si vous êtes sorti de ces héros fameux,

Montrez-nous cette ardeur qu'on vit briller en eux,
Ce zele pour l'honneur, cette horreur pour le vice.
Respectez-vous les lois? fuyez-vous l'injustice?
Savez-vous pour la gloire oublier le repos,

Et dormir en plein champ le harnois sur le dos?
Je vous connois pour noble à ces illustres marques.
Alors soyez issu des plus fameux monarques,
Venez de mille aïeux; et, si ce n'est assez,
Feuilletez à loisir tous les siecles passés ;

Voyez de quel guerrier il vous plaît de descendre;
Choisissez de César, d'Achille, ou d'Alexandre:
En vain un faux censeur voudroit vous démentir,
Et si vous n'en sortez, vous en devez sortir.
Mais, fussiez-vous issu d'Hercule en droite ligne,
Si vous ne faites voir qu'une bassesse indigne,
Ce long amas d'aïeux que vous diffamez tous
Sont autant de témoins qui parlent contre vous;
Et tout ce graud éclat de leur gloire ternie
Ne sert plus que de jour à votre ignominie.

(1) Cheval du roi Gradasse dans l'Arioste. (2) Chera! des quatre fils Aymou.

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