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« Si je possédais le mandat de la royauté, il ne me fau>> drait pas plus d'une génération pour faire régner par>> tout la vertu de l'humanité 1. >>

Quoique la politique du premier philosophe et législateur chinois soit essentiellement démocratique, c'est-à-dire ayant pour but la culture morale et la félicité du peuple, il ne faudrait pas cependant prendre ce mot dans l'acception qu'on lui donne habituellement. Rien ne s'éloigne peut-être plus de la conception moderne d'un gouvernement démocratique que la conception politique du philosophe chinois. Chez ce dernier, les lois morales et politiques qui doivent régir le genre humain sous le triple rapport de l'homme considéré dans sa nature d'être moral perfectible, dans ses relations de famille, et comme membre de la société, sont des lois éternelles, immuables, expression vraie de la véritable nature de l'homme, en harmonie avec toutes les lois du monde visible, transmises et enseignées par des hommes qui étaient eux-mêmes la plus haute expression de la nature morale de l'homme, soit qu'ils aient dû cette perfection à une faveur spéciale du ciel, soit qu'ils l'aient acquise par leurs propres efforts pour s'améliorer et se rendre dignes de devenir les instituteurs du genre humain. Dans tous les cas, ces lois ne pouvaient être parfaitement connues et enseignées que par un très-petit nombre d'hommes, arrivés à la plus haute culture morale de l'intelligence à laquelle il soit donné à la nature humaine d'atteindre, et qui aient dévoué leur vie tout entière et sans réserve à la mission noble et sainte de l'enseignement politique pour le bonheur de l'humanité. C'est donc la réalisation des lois morales et politiques qui peuvent constituer

'Lun-yu, chap. XIII, § 12.

véritablement la société et assurer la félicité publique, lois conçues et enseignées par un petit nombre au profit de tous; tandis que, dans la conception politique moderne d'un gouvernement démocratique, la connaissance des lois morales et politiques qui constituent la société et doivent assurer la félicité publique est supposée dans chaque individu dont se compose cette société, quel que soit son degré de culture morale et intellectuelle; de sorte que, dans cette dernière conception, il arrive le plus souvent que celui qui n'a pas même les lumières nécessaires pour distinguer le juste de l'injuste, dont l'éducation morale et intellectuelle est encore entièrement à faire, ou même dont les penchans vicieux sont les seuls mobiles de sa conduite, est appelé, surtout si sa fortune le lui permet, à donner des lois à celui dont la culture morale et intellectuelle est le plus développée, et dont la mission devrait être l'enseignement de cette même société, régie par les intelligences les plus nombreuses, il est vrai, mais aussi souvent les moins faites pour cette haute mission.

Selon KHOUNG-TSEU, le gouvernement est ce qui est juste et droit. C'est la réalisation des lois éternelles qui doivent faire le bonheur de l'humanité, et que les plus hautes intelligences, par une application incessante de tous les instans de leur vie, sont seules capables de connaître et d'enseigner aux hommes. Au contraire, le gouvernement, dans la conception moderne, n'est plus qu'un acte à la portée de tout le monde, auquel tout le monde veut prendre part, comme à la chose la plus triviale et la plus vulgaire, et à laquelle on n'a pas besoin d'être préparé par le moin. dre travail intellectuel et moral.

Lun-yu, chap. XII, § 17.

Pour faire mieux comprendre les doctrines morales et politiques du philosophe chinois, nous pensons qu'il ne sera pas inutile de présenter ici un court aperçu des Quatre Livres classiques dont nous donnons la traduction.

1o LE TA-HIO ou LA GRANDE ÉTUDE. Ce petit ouvrage se compose d'un texte attribué à KHOUNG-TSEU, et d'une Exposition faite par son disciple Thseng-tseu. Le texte, proprement dit, est fort court. Il est nommé King ou Livre par excellence; mais tel qu'il est, cependant, c'est peutêtre, sous le rapport de l'art de raisonner, le plus précieux de tous les écrits de l'ancien philosophe chinois, parce qu'il offre au plus haut degré l'emploi d'une méthode logique, qui décèle dans celui qui en fait usage, sinon la connaissance des procédés syllogistiques les plus profonds, enseignés et mis en usage par les philosophes indiens et grecs, au moins les progrès d'une philosophie qui n'est plus bornée à l'expression aphoristique des idées morales, mais qui est déjà passée à l'état scientifique. L'art est ici trop évident pour que l'on puisse attribuer l'ordre et l'enchaînement logique des propositions à la méthode naturelle d'un esprit droit qui n'aurait pas encore eu conscience d'ellemême. On peut donc établir que l'argument nommé sorite était déjà connu en Chine environ deux siècles avant Aristote, quoique les lois n'en aient peut-être jamais été formulées dans cette contrée par des traités spéciaux 1.

Toute la doctrine de ce premier traité repose sur un grand principe auquel tous les autres se rattachent et dont ils découlent comme de leur source primitive et naturelle : le perfectionnement de soi-même. Ce principe fondamental, le philosophe chinois le déclare obligatoire pour tous les

2 Voyez l'Argument philosophique de l'édition chinoise-latine et française que nous avons donnée de cet ouvrage. Paris, 1837, grand in-in-8°.

hommes, depuis celui qui est le plus élevé et le plus puissant jusqu'au plus obscur et au plus faible; et il établit que négliger ce grand devoir, c'est se mettre dans l'impossibilité d'arriver à aucun autre perfectionnement moral.

Après avoir lu ce petit traité, on demeure convaincu que le but du philosophe chinois a été d'enseigner les devoirs du gouvernement politique comme ceux du perfectionnement de soi-même et de la pratique de la vertu par tous les hommes.

2o LE TCHOUNG-YOUNG, ou L'INVARIABILITÉ DANS LE MILIEU. Le titre de cet ouvrage a été interprété de diverses manières par les commentateurs chinois. Les uns l'ont entendu comme signifiant la persévérance de la conduite dans une ligne droite également éloignée des extrêmes, c'est-à-dire dans la voie de la vérité que l'on doit constamment suivre ; les autres l'ont considéré comme signifiant tenir le milieu en se conformant aux temps et aux circonstances, ce qui nous paraît contraire à la doctrine exprimée dans ce livre, qui est d'une nature aussi métaphysique que morale. Tseu-sse, qui le rédigea, était petitfils et disciple de KHOUNG-TSEU. On voit, à la lecture de ce traité, que Tseu-sse voulut exposer les principes métaphysiques des doctrines de son maître, et montrer que ces doctrines n'étaient pas de simples préceptes dogmatiques puisés dans le sentiment et la raison, et qui seraient par conséquent plus ou moins obligatoires selon la manière de sentir et de raisonner, mais bien des pricipes métaphysiques fondés sur la nature de l'homme et les lois éternelles du monde. Ce caractère élevé, qui domine tout le Tchoungyoung, et que des écrivains modernes, d'un mérite supérieur d'ailleurs', n'ont pas voulu reconnaître dans les écrits Voyez les Histoires de la philosophie ancienne de Hegel et de H. Ritter.

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des philosophes chinois, place ce traité de morale métaphysique au premier rang des écrits de ce genre que nous a légués l'antiquité. On peut certainement le mettre à côté, sinon au-dessus de tout ce que la philosophie ancienne nous a laissé de plus élevé et de plus pur. On sera même frappé, en le lisant, de l'analogie qu'il présente, sous certains rapports, avec les doctrines morales de la philosophie stoïque enseignées par Épictète et Marc-Aurèle, en même temps qu'avec la métaphysique d'Aristote.

On peut se former une idée de son contenu par l'analyse sommaire que nous allons en donner d'après les commentateurs chinois.

Dans le premier chapitre, Tseu-sse expose les idées principales de la doctrine de son maître KHOUNG-TSEU, qu'il veut transmettre à la postérité. D'abord il fait voir que la voie droite, ou la règle de conduite morale, qui oblige tous les hommes, a sa base fondamentale dans le ciel, d'où elle tire son origine, et qu'elle ne peut changer; que sa substance véritable, son essence propre, existe complètement en nous, et qu'elle ne peut en être séparée; secondement, il parle du devoir de conserver cette règle de conduite morale, de l'entretenir, de l'avoir sans cesse sous les yeux; enfin il dit que les saints hommes, ceux qui approchent le plus de l'intelligence divine, type parfait de notre imparfaite intelligence, l'ont portée par leurs œuvres à son dernier degré de perfection.

Dans les dix chapitres qui suivent, Tseu-sse ne fait, pour ainsi dire, que des citations de paroles de son maître destinées à corroborer et à compléter les sens du premier chapitre. Le grand but de cette partie du livre est de montrer que la prudence éclairée, l'humanité ou la bienveillance universelle pour les hommes, la force d'âme, ces trois

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