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Sanz s'apenser de ses despens,
En ce trespas et ces mespens,
Repris sera, quant trespassés,
Jert, et de cest pais passés (1).

C'est par un tout autre mérite et par un intérêt bien plus grand que se recommande, au contraire, entre toutes les vies de saints, mises en vers au XIII. siècle, la Vie de saint Alexis, que j'ai tirée d'un manuscrit de la Bibliothèque impériale. Cette légende, telle que l'a remaniée le Trouvère normand du XIII. siècle, se distingue, comme la plupart des compositions de cette époque, par une grâce et une facilité qui font le charme de la poésie narrative au moyen-âge.

L'histoire de saint Alexis a été de très-bonne heure, en France, un des sujets les plus populaires (2). C'est, avec le Cantique de sainte Eulalie, la première légende que nos trouvères ont traduite du latin. Ils se bornèrent d'abord, comme pour celle de sainte Eulalie, à

(1) Le quatrain suivant, gravé autrefois sur la porte du cimetière St.-Séverin, à Paris, est écrit dans le même goût. Mais le jeu de mots a le mérite d'être beaucoup plus court.

Passant, penses-tu point passer par ce passage
Où pensant j'ai passé ?

Si tu n'y penses pas, passant, tu n'es pas sage;
Car, en n'y pensant point, tu t'y verras passé.

(2) On la trouve dans le xv. ch. du Gesta Romanorum, dans Ja Légende dorée, et dans le liv. XVIII du Speculum historiale, de Vincent de Beauvais.

une simple reproduction du texte (1). A mesure que se dénoua la langue romane, l'imagination prit de nouveaux développements, et ce qui n'avait fait dans le principe que la matière d'un récit de deux ou trois pages, devint un poème de 958 vers.

L'immense succès de la légende de saint Alexis et de toutes celles qui pouvaient offrir, comme elle, des exemples à l'appui de la grande réaction opérée au XII. siècle en faveur du célibat, explique suffisamment l'étendue donnée au récit, et le soin avec lequel l'auteur a cherché à le revêtir des formes les plus séduisantes. C'est le style des poèmes de chevalerie; c'est la même abondance, c'est la même richesse de détails. Malgré les efforts du poète, cependant, l'histoire de saint Alexis, quittant la belle et jeune épouse que ses parents lui ont donnée, le soir même de la célébration de son mariage, pour aller courir audevant des misères et des épreuves de tout genre, auxquelles il se soumet avec une humilité toute chrétienne, est moins touchante que celle de sainte Scholastique. Tombée aussi dans ce que Pascal appellera la plus basse condition du chrétien, c'est-à-dire le mariage, elle demeure fidèle à son vœu de chasteté, à cette vertu plus préconisée que pratiquée au moyenâge. Elle obtient, par ses douces prières, que son mari consente à n'être pour elle que le plus tendre des frères; et elle lui offre en retour un amour dégagé de

(1) M. E. Duméril a donné le texte français du Cantique de sainte Eulalie, dans son Essai sur la poésie scandinave. Il avait été tiré d'un manuscrit du X. siècle, conservé à Valenciennes.

tout ce qu'il pourrait avoir de terrestre et d'humain. La Vie de saint Alexis, dont je donne le texte, est tirée du manuscrit 273, F.-N., de la Bibliothèque impériale. Je me suis servi, pour la publication, du Bestiaire divin de Guillaume, clerc de Normandie; c'est le même dialecte et la même orthographe (1). On peut, je crois, l'attribuer avec beaucoup de vraisemblance à un poète normand.

LA VIE SAINT ALEXI.

Ci commence le prologue en la vie saint Alexi.

Bone parole boen leu tient;
Et cil qui l'ot et la retient
Et met à ovre, fet que sage;
Et cil ne fet pas son demage.
Qui la dit, enceis fet son preu,
Vers Deu qui en tens et en leu
Li merira, ge n'en dout rien;
Kar il guerredone tot bien.

Por ce m'est pris talent de dire
10 Un conte de bone matire,
Por crestiens edifier,

Et por ce qu'il m'est mestier

Que bone parole me tienge

Boen leu vers Deu, qui me meintienge

En son service, et tel me face,

Que je le veie face à face.

Or commence la vie saint Alexi.

Jadis avint, ce dit l'Estoire,

Que dui frere, ARCHADE et HONOIRE,

(1) Mémoires des Antiquaires de Normandie, année 1852.

20 Furent emperere de Rome.

30

40

Ensemble, en lor tens, out un home,

En la cité, boen crestien,

Ki aveit non EUFEMIEN.

Riches hom ert, de grant noblèce.
De grant poer, de grant hautèce,
C'ert le plus haut, por verité,

De la cort et de la cité.

Mes por ce ne lessot-il mie

Ke il ne fust de bone vie,

K'il aimeit Deu et saint Eglise
Et quanqu'apent à son servise.

Il ert home de boen afere,
Doux et créable et debonere,
Et aumoniers et charitables.
Treis feiz le jour, èrent les tables
Aparrelées richement,

En son ostel à povre gent.
Aus vueves et aus orfelins,

Aus trespassans, aus pelerins,

A ceus qui mestier en aveient,

Et qui por Deu le requereient.

Et quant c'ert que mengier voleit

A None, si comme il soleit,
Menjout; mes son mengier n'ert pas
Farsi de chufles, ne de gas,

De bordes, ne de lecheries,
De guersez, ne de gloutonnies;
Einz aveit en sa conpaignie
Prodesomes de sainte vie

50 Qui de chufleis n'aveient cure,
Enceiz parloient d'Escriture,

De Deu et d'édificacion,

De sens et de religion,

Del preu et del salu de l'ame.

Tel ert li sires; et la dame,

Ki Aglaés aveit à non,

Ne valeit pas meins un semons

Que li sires en sun endreit;

Ker ele amoit Deu et crémoit,

60 Et se peneit de lui servir
A sun gré et à sun plesir.
El ne fu fole, ne jangleresse,
Ne baulande, ne beverresse,
Ne felonnesse, ne orguellose;
Einz ert sainte et religiose
Et debenere et aumosniere
Et vaillant en tote maniere,
Sans vilanie et sanz meffet.

Mes mult erent en grant dehet 70 Andui qu'il n'aveient nul heir, Qui fust sire de lor aveir;

Si erent en afflictions,

En jeunes et en oreisons,

Vers nostre seignor Jhesu Crist,
Qu'il lor donast; et il si fist.
Un fiz orent, k'il apelèrent
Alexi; Deu en mercièrent
Qui lor preière aveit oïc ;

Et pramistrent que chaste vie,

80 Tendreient d'ilec en avant, A toz les jors de lor vivant.

Li enfès crut et amenda Tant, que ses peres kemanda Et voult qu'il fust à letres mis; Et il s'est d'aprendre entremis Comme soutil et de boen sens; Si bien qu'il fu en poi de tens De plusors arz preuz et vallanz, Et sages et bien responnanz. 90 Mes en la divine Escriture

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