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de venoit autrefois étaler sa magnificence et sa galanterie! Quelle solitude! quels objets ignobles, au lieu des chasses et des promenades que j'y ai vues! Je m'arrêtai à ces mots, et regardant avec mépris le courant de l'eau : Qui croiroit, dis-je, que cette pitoyable rivière, où il ne paroît pas un chat, vienne de passer au travers de la capitale de France, et qu'elle ne coule qu'à quatre pas des palais du plus grand roi du monde? Voilà l'endroit où tant de beautés venoient baigner leurs appas! Oui, c'est justement où ce coquin de chasse-marée vient, d'abreuver ses chevaux. Je me sentis outré de cette profanation; et, m'en prenant à la pauvre rivière, je changeai de style pour la mieux, gronder. L'indignation, comme vous savez, inspire les vers aussi bien que l'amour. Voici les mauvaises ri-mes qu'elle me fournit :

O solitaire et triste Seine!

Vos bords abandonnés m'inspirent plus d'ennui
Que la terrasse même où le chagrin promène
Tant de fâcheux, plus importuns que lui.

On ne voit sur votre rivage

Que quelques malheureux troupeaux
Suivis de nymphes de village,
Qui, les escortant en sabots,
Mêlent un chant triste et sauvage
Au murmure de leurs pourceaux ;
Et sur le courant de vos eaux

On voit en pompeux étalage

Deux ou trois grands vilains bateaux,

Où les souris tiennent ménage

Sous le bled ou le foin entassés par monceaux,
Ou bien sur le dernier étage

D'une voiture de fagots.

Rivière, en été si chétive

Qu'on en compteroit les sablons,

Et dont l'eau basse à peine en a pour les poissons,
Quand vous désertez votre rive,

N'est-ce pas vous que nous voyons

Prisonnière en hiver, quand l'âpre froid captive
Vos ondes dessous ses glaçons?

On ne voit sur vos bords que des bergers à hotte,
Et des ânes buvant votre eau.

Adieu, j'aimerois mieux parler à un ruisseau;
Adieu, rivière antique, adieu pauvre vieillotte.

Je m'éloignois de ces bords après mon compliment, lorsque la surface de l'eau commença tout à coup à se troubler, sans que le moindre vent parût l'agiter; et, après deux ou trois gros bouillonnemens, je vis s'élever du milieu de la rivière quelque chose qui m'effraya d'abord; mais, dès que je fus assez revenu de ma surprise pour y attacher les yeux, l'étonnement et l'admiration succédèrent à ma première frayeur.

D'une femme sous la figure,

Je vis s'élever hors de l'eau

Le corps le mieux fait, le plus beau

Qu'ait jamais formé la nature.

Sa gorge et ses bras étoient nus,

Tout l'étoit jusqu'à la ceinture.

Vous allez croire, à voir cette peinture, Sans doute, que c'étoit la déesse Vénus? Mais écoutez la fin de l'aventure.

Ses lèvres étoient de corail;

Ses dents, que j'entrevis, étoient couleur de perle;

Ses beaux cheveux, noirs comme un merle ;
Et des plus vives fleurs son teint formoit l'émail.
L'esprit tout plein d'inquiétude :

Qui que vous soyez, dis-je, ô beauté! que je vois,
Qui méritez de voir tous les cœurs sous vos lois,
Excusez mon incertitude,

Et daignez m'informer quels honneurs je vous dois.
La belle, après avoir toussé deux ou trois fois,
Fit une espèce de prélude,

Comme pour accorder sa voix;

Et puis d'un air touchant et tendre,

Mais d'un ton qui rendroit tout l'opéra jaloux,
Si l'opéra pouvoit l'entendre,

Elle dit, en bémol: Me reconnoissez-vous ?
Oui, vous êtes une sirène ;

Mais, dis-je, au nom de Dieu! que faites-vous ici?
Non, dit-elle; je suis déesse de la Seine.

Vous vous moquerez de ceci;

Mais cependant ce qui m'amène,

Est pour vous dire un mot en allant à Poissi.
Moi, madame! Vraiment, vous prenez trop de peine.

Mais vous me permettrez, dis-je, de croire que

.

vous n'êtes rien moins que ce que vous me voulez persuader. Je me souviens, dans le prologue de quelque opéra, d'avoir vu la nymphe de la Seine qui s'entretenoit avec les Tuileries; et, sans vous offenser, elle étoit mise tout d'un autre air. Elle avoit une coiffure fort élevée, composée de plumes et de pierreries; des engageantes qui lui tomboient jusqu'aux genoux. D'une main elle tenoit un éventail, et de l'autre un mouchoir; son corps de jupe étoit fort serré, et sa queue n'entroit sur le théâtre qu'un quart-d'heure après elle, tant elle étoit magnifique. Et vous voilà nue comme la main; non que j'y trouve à redire; mais je gagerois bien que ce qu'on ne voit de vous, pas n'est pas le plus beau, et que l'eau nous cache une certaine queue de poisson qui n'est guère du goût de celui qui a l'honneur de vous entretenir. Non, madame; vous n'êtes qu'une sirène; et, pour preuve de cela, vous ne sauriez vous exprimer qu'en chantant. Je la vis sourire à ces mots; et, par un mouvement imperceptible, se coulant sur la surface de l'eau, dans cette situation de demi-bain, elle approcha du bord où j'étois, et me donna lieu de voir de fort près les beautés d'un buste, qui ne cédoit point à celui pour qui on a fait dernièrement tant de bouts-rimés. Je m'éloignois par respect, lorsque, me faisant signe

d'approcher, et se penchant un peu, elle me dit assez bas, et d'un air de mystère :

Vous qui, sans profiter, avez lu tant d'écrits,
Et qui n'en tirez d'autre gloire

Que celle de citer parfois de vieux débris
De quelqu'auteur chéri des filles de Mémoire ;
Qui des plus bas rimeurs n'eussiez pas eu le prix,
Quand en plein Hélicon on vous auroit fait boire;
Vous qui craignez tant les esprits,

Et qui les craignez sans y croire;
Qui pour mon caractère avez tant de mépris,
Que vous me regardez en monstre de la foire;
Vous enfin, dont le cœur nouvellement épis....
Oui, voilà, dis-je, mon histoire,

Divinité d'un fleuve aussi beau que la Loire;
Mais qui vous en a tant appris?

Ces bords, dit-elle alors, qui servent de passage
Aux habitans de tous ces lieux,

Nous exposeroient à leurs yeux,

Et je veux à vous seul accorder l'avantage
D'un entretien secret avec les demi-dieux.
Dessous ce même endroit où j'ai paru sur l'onde,
Des voûtes d'un brillant cristal

Forment une grotte profonde,

Dont la nacre partout, et partout le corail
Ornent le liquide portail;

Où la richesse et le travail....

Mais suivez-moi, pour voir le plus beau lieu du monde.

Je veux croire, dis-je, un peu surpris de cette proposition, que vous êtes logée le plus magnifi

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