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Rien n'était en effet plus remarquable qu'un prince ressuscitant l'idolâtrie accablée sous les règnes précédents, et livrant au christianisme une guerre d'une nouvelle espèce, qui, bientôt terminée et suivie d'une éternelle paix, devait lui laisser la liberté d'exterminer, dans l'empire romain, le culte des fausses divinités.

Tous ces rapports sont justes, dira-t-on; mais les principales circonstances manquent. Où sont les dix rois qui ont régné avant Julien? Où sont les trois rois qu'il a vaincus et humiliés? C'est uniquement à ces marques qu'on peut reconnaître la petite corne formée sur la tête de la quatrième bête au milieu des dix autres, et en présence de laquelle trois des premières furent arrachées.

Il y a deux manières de répondre à cette question. On peut dire en premier lieu que ces dix cornes et ces dix rois sont les dix empereurs romains qui ont persécuté le christianisme avant Julien. Saint Augustin les compte et les nomme (1) dans son livre de la Cité de Dieu, Néron, Domitien, Trajan, Antonin, Sévère, Maximin, Dèce, Valérien, Aurélien et Dioclétien. Saint Augustin ne comprend dans ce nombre que les empereurs qui commençaient de nouvelles persécutions, après les intervalles de repos que Dieu accordait de temps en temps à son Église, et ceux dont les noms étaient écrits à la tête des édits de persécution.

Suivant cette interprétation, les trois cornes ou les trois rois arrachés en présence de Julien, sont les trois fils de Constantin le Grand, Constantin, Constant et Constance. Les deux premiers régnèrent peu et périrent d'une mort violente. Constance, qui leur survécut et réunit leurs états à la portion de l'empire qui lui était d'abord échue, mourut assez jeune, et dans un temps où Julien le menaçait d'une guerre dont le succès était incertain. Julien succéda aux trois frères, contre l'attente de tout l'univers. Car était-il vraisemblable qu'ayant été tous trois mariés, aucun d'eux ne laissât de postérité, et que leur succession fût recueillie par un prince exposé dans son enfance au danger d'être tué, et condamné dès lors à la retraite et à une vie privée. Julien fut plus puissant, plus redouté, plus absolu que les trois fils du grand Constantin, ses prédécesseurs. Il les méprisait souverainement, et ne perdait aucune occasion pour décrier leur mé moire. C'est ainsi qu'on peut dire que trois cornes de la quatrième bête ont été arrachées devant lui, et qu'il a humilié trois rois.

Cette explication est beaucoup plus naturelle et plus soutenable que celle qui attribue à Antiochus Epiphane l'accomplissement de cet oracle. Celle-ci a le défaut essentiel, déjà remarqué, de ne pouvoir trouver dix rois dans l'empire des Séleucides; et au lieu de chercher dans ce même empire, comme l'analogic du texte le demande, les trois cornes arrachées, elle s'arrête aux maux qu'Antiochus a faits à l'Égypte,

(1) De Civit. Dei, lib. 8, cap. 52, n. 1.

gouvernée par les deux Ptolémées, Philometor et Evergète second; à l'Arménie, dont Artaxias était roi; à la Palestine habitée par les Juifs. J'avoue néanmoins que la réponse qu'on vient de voir à la question proposée ne me satisfait pas.

On pourrait d'abord incidenter sur le nombre des persécutions qui ont précédé celle de Julien. Sulpice Sévère n'en compte que neuf (1). Le nombre de dix, marqué par saint Augustin, est susceptible, sous différents points de vue, d'augmentation ou de diminution. Indépendamment de cette difficulté, en voici deux accablantes à la vérité pour le système de Porphyre et des interprètes qui ne veulent voir dans cet endroit de Daniel qu'Antiochus Epiphane, mais qui ne sont guère moins pressantes contre ceux qui expliquent les dix cornes de la quatrième bête, des dix empereurs idolâtres, persécuteurs avant Julien du christianisme, et les trois cornes arrachées, des trois fils de Constantin.

Ce n'est pas seulement ces trois dernières cornes que la onzième, si petite dans ses commencements, doit ensuite surpasser en puissance. Ce sont les dix premières, au milieu desquelles cette corne victorieuse a été formée, et majus erat cæteris. Ce qui fait qu'en dévoilant ce mystère, l'ange dit expressément à Daniel que le nouveau roi qui s'élèvera après les dix autres sera plus puissant qu'eux : Et alius consurget post eds, et ipse potentior erit prioribus. Il est bien certain qu'Antiochus Epiphane a été inférieur en puissance à son père Antiochus le Grand, que les Romains dépouillèrent d'une partie considérable de ses états, et aux autres monarques plus anciens qui avaient régné en Syrie depuis Séleucus Nicator. Mais aussi comment peut-on dire que Julien ait été plus puissant que tous les empereurs païens qui ont persécuté avant lui le christianisme, que Trajan, par exemple, qu'Antonin, que Sévère, que Dèce, qu'Aurélien, que Dioclétien même, quoiqu'il se fût associé Maximien ?

De plus, les trois cornes arrachées ne doivent pas être prises au hasard parmi les princes ou les états qu'on voudra choisir. Elles sont du nombre des dix premières que Daniel a vues sur la tête de la quatrième bête : Et tria de cornibus primis evulsa sunt à facie ejus. Ce trait ne convient pas aux victoires d'Antiochus Epiphane sur des rois fort différents des Séleucides, ses ancêtres. Par la même raison, il ne désigne pas les trois fils du grand Constantin, auxquels Julien succéda. Ces trois empereurs n'ont point persécuté la religion chrétienne, et ne font point partie des dix premières cornes.

J'ajoute, et c'est un vice particulier à cette seconde explication, que Julien n'a jamais vaincu ni Constantin ni Constant, morts avant qu'il fût César, ni même Constance, qui mourut lorsqu'ils étaient sur le point de terminer leur querelle, ou par une bataille, ou par des voies de conciliation. On abuse des termes en confondant une succession inespérée et un mépris

(1) Sulp. Sev. Hist. Sacr., lib. 2.

déclaré pour la mémoire de ses trois prédécesseurs avec l'humiliation des trois rois prédite par Daniel: Et tres reges humiliabit. S'il avait été dit auparavant que les trois cornes ont été arrachées en présence de la petite, evulsa sunt à facie ejus, c'est un hébraïsme semblable à ces expressions communes dans l'Écriture. Les hommes périront à la face de l'épée ou de la faim, à facie gladii, à facie famis, pour exprimer les ravages causés par ces deux fléaux. Il ne suffit donc pas, pour vérifier cette partie de la prédiction, que trois cornes représentant trois rois aient disparu devant Julien, sans qu'il ait contribué à les abattre. Il faut que, par la force de ses armes, il les ait réellement vaincus.

Cherchons donc une autre explication qui évite tous ces inconvénients. Mais pour montrer la justesse de celle que nous adoptons, il est indispensable de conférer la prédiction de Daniel avec celle de saint Jean, dans les chapitres 13 et 17 de l'Apocalypse. L'Apôtre a vu, comme le prophète, une bête qui avait dix cornes. Ce n'est pas cette circonstance seule qui me persuade que le même objet leur a été représenté. Ils parlent l'un et l'autre de l'empire romain. On l'a prouvé démonstrativement de Daniel. La chose n'est pas moins certaine à l'égard de saint Jean.

Les sept têtes de la bête (1) qu'il voit sont sept montagnes. On ne peut méconnaître Rome à ce caractère. Les eaux (2) d'où s'élève la bête sur laquelle est assise la prostituée, sont les peuples et les nations qui avaient subi les lois des Romains. Cette même prostituée, que saint Jean ne sépare pas de la bête qui la porte, est la (3) grande Cité qui règne sur tous les rois de la terre. Il n'y en avait point d'autre quand saint Jean écrivait, il n'y en a pas eu depuis lui, que la ville de Rome. Voilà ce qui est clair dans sa prophétie, pleine d'ailleurs des plus sublimes mystères. Il n'est pas douteux qu'à l'exemple du prophète Daniel, il n'ait envisagé l'empire romain dans le spectacle étonnant qui a été offert à ses yeux.

Après cela, qu'il y ait eu quelque différence entre les deux bêtes que Daniel et que saint Jean ont vues, que l'une n'ait qu'une tête, et que l'autre en ait sept, pour marquer plus particulièrement un caractère distinctif de la ville de Rome, et encore le partage de l'empire romain entre sept princes, dans le temps de la persécution de Dioclétien; que la première ait des dents et des ongles de fer, et une figure qui ne pouvait être comparée à celle d'aucun animal connu, et que la seconde ait le corps d'un léopard, les pieds d'un ours, la gueule d'un lion; qu'il y ait sur la bête de saint Jean une femme prostituée, vêtue de pourpre et d'écarlate, couverte d'or et de pierreries, tenant en sa main une coupe empoisonnée, ivre du sang des martyrs, qu'il n'y ait rien de pareil sur celle de Daniel; ces différences et d'autres qu'on omet ne portent pas sur

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et

le fond. Le prophète a vu principalement, selon la fin de sa révélation, l'empire romain comme guerrier et conquérant, comme engloutissant par ses conquêtes les empires précédents; et ce n'est qu'à l'occasion du cinquième empire spirituel qui a remplacé les quatre premiers, qu'il parle énigmatiquement d'une des persécutions que la véritable religion doit souffrir dans l'empire romain. L'Apôtre, supposant la grandeur et les conquêtes de Rome, la considère uniquement comme idolâtre, comme idole elle-même, comme persécutrice de l'Église chrétienne, et digne par tous ces crimes de l'affreux châtiment que Dieu lui avait préparé. Mais c'est toujours le même empire dont ils sont tous deux occupés; d'où il me semble qu'on doit conclure que les dix cornes qu'ils ont vues l'un et l'autre ont la même signification.

Celles de la bête de Daniel désignent dix rois du quatrième empire: Porrò cornua decem, ipsius regni (1) decem reges erunt. Celles de saint Jean marquent aussi dix rois Decem cornua quæ vidisti decem reges sunt (2). Les dix rois dont parle l'Apôtre, sont donc les mêmes que ceux qui ont été annoncés par le prophète. Or, quels sont les rois dont il est fait mention dans l'Apocalypse?

Ils ont deux caractères qui paraissent fort opposés. Ils sont les dix cornes de la bête et lui appartiennent en cette qualité, puisqu'ils (3) lui donnent leur force et leur puissance. Cependant ils la haïssent, cu, ce qui est la même chose, la prostituée qu'elle porte; et il viendra un temps où ils la réduiront dans la dernière (4) désolation, ils la dépouilleront, ils dévoreront ses chairs, et ils la feront brûler au feu. Plus cette opposition est étrange au premier coup d'œil, plus elle indique, examinée de près, un événement célèbre dans l'empire romain. C'est l'inondation des peuples barbares sortis des pays septentrionaux, qui se répandirent dans les terres de cet empire. Ils étaient ses ennemis (5), ayant tous le même dessein, comme il est dit dans ce chapitre, de s'enrichir du pillage de ses provinces, et de lui enlever celles où ils trouveraient un établissement plus commode. Les rois néanmoins qui commandaient ces colonies errantes de guerriers, ne laissèrent pas d'entrer dans l'alliance, et de se mettre même à la solde des empereurs romains, qui les honorèrent souvent des dignités de l'empire, et choisirent quelquefois parmi ces barbares les généraux de leurs troupes et les officiers de leurs palais. Les armées romaines étaient remplies de ces soldats étrangers el mercenaires, dont la valeur soutint quelque temps l'empire sur son déclin. Mais ces dangereux alliés ne perdirent pas de vue leur premier projet. A la fin ils détruisirent l'empire romain dans sa source, je veux

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dire dans l'Occident et dans Rome même, sa capitale, non-seulement par leurs courses et leurs brigandages qui l'épuisèrent, mais par le démembrement des contrées où ils établirent leur domination sur les ruines de la sienne. Les Goths, peuple le plus puissant et le plus nombreux de ces barbares échappés du Nord, assiégèrent deux fois Rome, la saccagèrent, firent périr ou emmenèrent en captivité la plupart de ses habitants, livrèrent aux flammes ses plus beaux edifices, et accomplirent ainsi, dans toute son étendue, la prédiction de saint Jean (1).

Rien ne nous oblige à réduire précisément au nombre de dix ces peuples qui, s'étant introduits dans l'empire romain, en furent tout à la fois les alliés et les ennemis, les appuis et les destructeurs. La précision des nombres ne doit être scrupuleusement recherchée dans les prophéties, que lorsqu'elle en est la clé. Mais si de grands traits, des traits dont l'application n'est pas équivoque, en fixent et en déterminent le sens, on peut négliger cette exactitude, comme n'étant pas du dessein de Dieu. C'est ce qui est d'autant plus croyable dans cette occasion, que le nombre de dix est encore un de ces nombres complets qui marquent souvent la multitude et l'universalité. En effet, le nombre de ces nations, dont le débordement fut fatal à l'empire romain, est considérable. Toutefois, s'il était nécessaire, on le réduirait à dix sans beaucoup d'efforts. En ne comptant, 2x termes de la prophétie, que les peuples qui ont fondé des royaumes plus ou moins durables dans l'empire romain, après l'avoir tour à tour ravagé et servi, on trouve les Goths, les Francs, les Vandales, les Suèves, les Alains, les Bourguignons, les Allemands, les Ilérules, les Lombards, les Saxons.

Nous savons maintenant ce qu'on peut entendre par les dix cornes de la quatrième bête de Daniel. Il ne nous sera pas difficile de développer les rapports que le prophète leur donne avec Julien, désigné par une corne nouvelle formée au milieu des dix autres, petite dans sa naissance, plus grande ensuite, et plus puissante que les premières, arrachant trois d'entre elles, ou, comme on l'explique, humiliant trois rois du nombre de ceux que les dix cornes représentent.

Le tyran Magnence s'était fait déclarer Auguste dans les Gaules. Une partie de l'Occident l'avait reconnu. L'empereur Constance crut faire une diversion avantageuse, en sollicitant les barbares qui habitaient les bords du Rhin, d'entrer sur les terres de l'empire, pour partager les forces de Magnence, tandis qu'il marchait lui-même contre lui. Cette diversion réussit. L'usurpateur fut vaincu et périt malheureusement. Mais Constance ne tarda pas à s'apercevoir que sa politique, utile pour un temps, avait eu les suites les plus pernicieuses. Les barbares continuaient à ravager les Gaules, qu'ils ne voulaient plus

(1) Voyez dans le Commentaire de M. Bossuet sur l'Apocalypse, l'Histoire abrégée après l'explication du chapitre; et l'explication du chapitre 17.

quitter. C'est ce qui détermină Constance à y envoyer Julien, qu'il éleva dans le même temps à la dignité de César.

Julien parut dans ces provinces avec des forces trèsinférieures aux ennemis qu'il allait combattre. Jeune encore, ne connaissant le gouvernement et la guerre que par les livres, dépourvu de tous les secours qu'exigeait l'importante expédition dont on l'avait chargé ; environné de rois barbares qui méprisaient également sa jeunesse et sa faiblesse, il était alors cette petite corne formée au milieu des dix autres : Et ecce cornu aliud parvulum ortum est de medio eorum. I confondit bientôt l'orgueil de ces rois. Il remporta sur eux plusieurs victoires, purgea les Gaules de ces troupes innombrables de brigands qui les infestaient, porta la gloire et la terreur de ses armes jusqu'au fond de la Germanie et au delà des mers.

Si l'on cherche le nombre déterminé de trois dans les ennemis qu'il vainquit, on peut le trouver, dans les trois pays où il fit la guerre par lui-même ou par ses généraux, les Gaules, la Germanie, l'Angleterre ; dans les trois peuples dont il repoussa les attaques, les Allemands, les Francs, les barbares des îles Britanniques; dans les trois rois qu'il (1) fit prisonniers, et dont il humilia l'audace, tres reges humiliabit, Chnodomaire, Nébiogaste, Vadomaire. Mais, comme on a vu qu'il est beaucoup plus vraisemblable que le nombre de dix, dans cet endroit de la prophétie est un nombre indéfini, c'est une conséquence naturelle que, par ces trois cornes arrachées et ces trois rois humiliés, l'Ecriture ait voulu nous faire entendre que de tous ces royaumes alternativement déchaînés contre l'empire romain et engagés à son service, la moindre partie succombera sous les armes triomphantes de Julien. Que si l'on demande comment ces guerres moins remarquables que beaucoup d'autres soutenues et glorieusement terminées par les empereurs romains, ont pu mériter une place dans une prophétie si ancienne, on doit répondre d'abord que cette question est superflue. Dieu fait prédire ce qu'il veut, et dans le temps qu'il le veut. Ce n'est pas à nous de sonder les raisons de ce choix. Cependant on entrevcit que des victoires qui signalèrent avec tant d'éclat les talents et la valeur de Julien, qui lui concilièrent l'estime et l'affection des peuples et des soldats, qui lui frayèrent le chemin au trône impérial et à cette vaste puissance supérieure aux forces réunies de toutes les nations barbares, entraient naturellement dans le portrait d'un prince, objet intéressant d'une prédiction si éloignée. Les causes de sa grandeur étaient annoncées; et quand on manifestait ensuite la terrible punition, dont il devait être frappé, on apprenait aux hommes que l'impiété, qui ternit et qui déshonore des qualités héroïques, soumet les plus grands princes, comme les plus vils des mortels, à la justice vengeresse d'un Dieu à qui rien ne peut résister. Le dernier refuge des incrédules est de dire que

(1) Voyez la vie de l'empereur Julien, par M. l'abbé de la Bléterie.

toute cette explication n'est après tout qu'un tissu de conjectures, spécieuses peut-être, mais trop au-dessous d'une parfaite certitude pour dissiper les doutes et captiver les esprits. J'en conviens à l'égard de cette prophétie de Daniel, où il s'agit des dix cornes de la quatrième bête, et de l'onzième corne qui arrache trois des premières. Mais que les incrédules se souviennent que j'ai commencé par établir de la manière la plus convaincante que cette quatrième bête désigne l'empire romain. Ils auraient pu me reprocher un silence affecté, si, me bornant à ce qui favorise mon explication, j'avais dissimulé ce qui peut lui paraître contraire. Mais ils n'ont pas dû s'attendre que des réponses à une objection égalassent les preuves en certitude et en évidence. Les preuves produisent leur effet par elles-mêmes et indépendamment de ce qu'on peut penser sur les difficultés. Dès que ces preuves ont acquis par leur force le degré de démonstration, elles suffisent pour rendre incontestable le sentiment en faveur duquel on les allègue. Les objections qui le combattent ne peuvent lui enlever les droits qu'il a déjà sur une âme sincère et sur un esprit juste. Ne fussent-elles susceptibles d'aucune solution apparente, elles ne sauraient balancer le poids insurmontable d'une preuve démonstrative. A plus forte raison la conviction opérée par des preuves de cette espèce demeure-t-elle en son entier, lorsqu'on donne un dénouement plausible aux objections. L'évidence n'est plus nécessaire alors, parce qu'il n'est question que d'écarter les obstacles à une croyance d'ailleurs indispensable; et l'on fait même plus que n'exigent les lois de la controverse, quand on ajoute à la certitude dans les preuves la vraisemblance dans la solution des difficultés.

ties de la prédiction que nous prétendons confondre les incrédules. C'est assez pour nous qu'ils ne puissent s'en prévaloir contre la vérité de l'oracle. Mais la succession des quatre empires est évidente dans le texte de Daniel. Il est démontré que le quatrième métal de la statue et la quatrième bête représentent l'empire romain, comme les trois premiers métaux et les trois premières bêtes figurent les empires des Assyriens, des Perses et des Grecs. C'est à ce côté lumineux de la prophétie que nous ramenons les incrédules; et si nous ne leur offrons sur le reste que des conjectures, qui peuvent néanmoins les satisfaire, c'est sans préjudice de la démonstration qui doit les convaincre.

Le mélange de la clarté avec l'obscurité doit encore moins étonner dans une prophétie que dans tout autre matière. Les motifs de ce mélange ont déjà été exposés. Dieu, qui dispense selon les vues profondes de sa sagesse la lumière prophétique aux hommes chargés d'écrire ses oracles, en distribue aussi l'intelligence, selon les mêmes vues, à ceux qui les lisent. Il y a souvent dans ces prophéties des traits qu'il laisse longtemps cachés sous d'épaisses ténèbres, se réservant d'en découvrir le mystère, quelquefois ici-bas, et certainement dans le ciel, où la manifestation des secrets de la parole divine fera une partie de la joie et du bonheur des saints. Mais quand il a destiné ces mêmes prophéties à servir de fondement à notre foi, il y a toujours mis quelques traits éclatants qu'il est impossible de méconnaître. Telle est celle de Daniel que nous examinons. Tous les détails n'en sont pas également connus. On peut expliquer diversement avec plus ou moins de probabilité le fer et l'argile mêlés dans les pieds de la statue, et toujours divisés malgré leurs alliances, les dix cornes de la quatrième bête au milieu desquelles s'élève une autre corne, petite dans sa naissance, supérieure dans ses progrès aux dix premières, et victorieuse le trois d'entre elles. Aussi n'est-ce point par ces par

Quoi qu'en ait pu dire Porphyre, voilà dans le livre de Daniel une prophétie dont l'accomplissement est postérieur au temps d'Antiochus et des Machabées. L'empire des Grecs subsistait alors en Egypte sous les Lagides, en Syrie sous les Séleucides. L'empire romain n'avait pas encore détruit ces deux monarchies, comme il l'a fait depuis. Ainsi le temps du troisième métal de la statue et de la troisième bête n'était pas passé. La quatrième bête, quoique déjà trèsredoutable, n'avait pas acquis toute la force qu'on lui avait prédite. Mais surtout le cinquième empire plus durable et plus étendu que tous les autres, figuré par la petite pierre détachée sans main d'une montagne, destiné par l'Ancien des jours au Fils de l'homme et à ses saints, cet empire, dis-je, n'avait point paru. Le quatrième métal et la quatrième bête, représentant l'empire romain, semblaient être bien éloignés de la chute qu'on leur annonçait. En reculant cette prophétie, Porphyre gagnerait peut-être trois siècles. Mais trois siècles retranchés ne la rendraient pas moins divine. Il n'était pas plus possible dans le temps des Machabées, que dans celui de Daniel, de connaître humainement la ruine du royaume des Grecs, celle de l'empire romain, et l'établissement de l'Eglise de Jésus-Christ.

Oublions à présent les vaines imaginations de Porphyre, qui ont été assez réfutées, et tournons toute notre attention sur les admirables découvertes que Daniel a faites dans l'avenir. Quelle multitude et quelle variété d'événements renfermés en peu de paroles! Une seule statue est pour lui le tableau raccourci de l'univers. Un groupe de quatre animaux lui retrace la même image; et toute la suite des siècles se développe en un instant à ses yeux. Témoin de la puissance et des richesses de l'empire assyrien, il n'en prédit pas moins sa chute au roi même de cet empire, à Nabuchodonosor, le plus superbe de tous les princes. Conservé dans ses emplois et dans sa faveur par les rois du second empire, il ne rétracte pas ce qu'il avait écrit sur sa ruine future; et c'est sous le règne de Darius le Mède, oncle de Cyrus, qu'il prophétise de nouveau les victoires d'Alexandre, si funestes aux Mèdes et aux Perses. Au moins connaissaitil par lui-même ces deux premiers empires. Mais s'il avait entendu parler des Grecs, qui n'étaient alors connus dans l'Orient que par les voyages de quelques

uns de leurs philosophes, comment a-t-il pu deviner que d'un pays si pauvre, si resserré, partagé en tant de petits états, si étranger à l'Asie, il sortirait un `conquérant destructeur de la monarchie des Perses? Qui lui a appris que les Romains, dont le nom était ignoré hors de l'Italie, où même leur ville ne faisait que de naître, commanderaient à toute la terre, et par leurs conquêtes effaceraient la gloire des empires précédents? Enfin qui lui a montré un royaume d'une espèce toute différente, fondé sans armes, sans trésors, sans négociation, plus rapide néanmoins dans ses progrès, plus considérable dans son étendue, plus long dans sa durée, que les monarchies dont il a pris la place?

Le prophète nous invite par son exemple à rendre hommage à l'Étre souverain, qui change les temps (1) et les siècles, qui transfère et qui établit les royaumes, qui révèle les choses les plus cachées, qui connaît ce qui est dans les ténèbres. Daniel parlait ainsi sur la seule assurance que lui donnait une révélation des événements figurés par la statue de Nabuchodonosor. Il réunissait dans les transports de son zèle et de sa reconnaissance les deux attributs de Dieu que cette révélation lui manifestait, son intelligence sans bornes, et sa toute-puissance. Combien plus l'un et l'autre ont-ils éclaté dans les événements mêmes que Daniel n'a vus que de loin? Quel autre qu'un Dieu a pu changer si souvent la scène du monde, et substituer de nouveaux empires à ceux qui disparaissaient? Quel autre que lui a pu déclarer tant de siècles auparavant ces étonnantes révolutions? Que tardons-nous à nous écrier avec le prophète: Béni soit le nom du Seigneur qui possède la sagesse et la force (2). Ou si ce tribut de louange et de bénédiction est un langage encore trop étranger pour les incrédules, peuvent-ils au moins refuser leur soumission et leur respect à des effets si visibles de la providence et de l'inspiration divines?

CHAPITRE VIII.

Predictions sur la ruine de Jérusalem et de son temple par les Romains.

Parmi les prophéties de Moïse que nous avons citées dans le premier chapitre, il s'en est trouvé une qui annonçait tout à la fois les deux siéges de Jérusalem, l'un par les Chaldéens, l'autre par les Romains, les deux destructions de cette ville et de son temple, les deux captivités du peuple juif. Nous avons distingué dans cette prophétie les caractères communs à ces deux événements, et ceux qui sont particuliers à l'un ou à l'autre. Mais il faut reprendre ce que Moïse a dit de plus exprès sur le second, et y joindre les autres prophéties des livres saints qui regardent le même événement.

Moïse (3) avait menacé les Israélites des armes d'une nation éloignée, d'une nation qui viendrait des

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extrémités de la terre, qui fondrait sur eux avec l'impétuosité d'un aigle, dont ils n'entendaient pas la langue, qui n'aurait pitié ni de l'âge le plus tendre ni de la vieillesse décrépite, qui mettrait tout à feu et à sang dans leurs villes et dans leurs campagnes, qui renverserait ces hautes murailles dans lesquelles ils avaient tant de confiance. Il leur avait prédit l'affreuse famine qui éteindrait parmi eux pendani cette guerre les sentiments de la nature, e porterait les pères et les mères à se nourrir de la chair de leurs propres enfants. Il les avait avertis qu'ils seraient chassés de leur patrie, dispersés au milieu de tous les peuples d'un bout de la terre à l'autre, emmenés sur des vaisseaux en Egypte, où il leur était si sévèrement défendu de retourner, et vendus dans ce même pays pour y être esclaves sans pouvoir trouver assez d'acheteurs.

Une partie de ces prédictions a pu s'appliquer à l'expédition de Nabuchodonosor roi de Babylone contre Jérusalem. Mais il est visible qu'il n'est aucune d'elles qui n'ait été plus littéralement accomplic dans le siége de cette même ville par Titus, et que les dernières ne peuvent convenir qu'aux événements qui suivirent ce siége. Personne n'ignore que les Juifs séduits par de fausses espérances, s'étant révoltés contre les Romains, Vespasien, qui commandait dans la Syrie, marcha d'abord contre eux; qu'appelé ensuite à l'empire, il laissa le soin de cette guerre à son fils, qui fit investir Jérusalem par son armée, coupa aux habitants toute communication au dehors par les ouvrages dont il resserra leur ville, la réduisit à cette famine qui produisit ces monstres d'inhumanité prédits par Moïse, fit périr durant ce siége onze cent mille Juifs, et s'étant enfin rendu maître de Jérusalem, vit cette ville infortunée et son temple consumés par les flammes et réduits en cendre, malgré les précautions qu'il avait prises pour conserver l'un et l'autre.

Josèphe, historien juif et contemporain, nous montre dans le récit de cette guerre, où il a eu tant de part, les marques de la justice divine qui poursuivait les Juifs; marques si éclatantes, que Titus, tout idolâtre qu'il était, ne put les méconnaître. Il attribua hautement sa victoire sur les Juifs à une puissance supérieure dont il n'était que le ministre et l'instrument. On peut voir dans l'admirable discours de M. de Meaux sur l'histoire universelle les prodiges qui précédèrent le dernier siége de Jérusalem, ceux qui l'accompagnèrent et qui le suivirent. L'unique merveille que nous enNous renvoyons à un autre chapitre l'exil, la captivisagions dans cet événement, c'est qu'il a été prédit. vité et la dispersion des Juifs.

David a prophétisé cette ruine de Jérusalem dans le psaume 68, où il décrit avec tant de clarté les souffrances et la mort du Messie. Il annonce aux auteurs d'un si noir forfait que leur (1) habitation sera déserte et inhabitée. Jésus-Christ répéta cette prophétie, et

(1) Ps. 68, 96.

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