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Porphyre a voulu concillier l'accomplissement de cette prophétie avec l'époque de la prétendue supposition du livre de Daniel. Elle a été faite selon lui dans le temps des Machabées. Par une conséquence nécessaire, le quatrième métal de la statue et la quatrième bête doivent être l'empire des Séleucides et des Lagides, et surtout Antiochus Epiphane le persécuteur déclaré de la religion judaïque. Malgré la vive censure et la solide réfutation de saint Jérôme et de Théodoret (1), des interprètes chrétiens n'ont pas craint d'adopter ce sentiment. Les incrédules, en essayant de le soutenir, auraient encore à détruire, ce qu'ils ne feront jamais, les preuves par lesquelles nous avons établi l'authenticité du livre de Daniel. La prophétie ramenée à sa véritable date, serait toujours trop ancienne pour eux. Le second, le troisième et le quatrième empire n'auraient pú être connus de Daniel que par une lumière prophétique; et la cause des incrédules n'en deviendrait pas meilleure. Mais nous leur avons promis, qu'indépendamment de ces preuves, nous leur montrerions dans le livre de Daniel des prédictions, dont l'accomplissement est postérieur aux temps des Machabées. Il faut leur tenir parole. Celle dont il s'agit maintenant est évidemment de ce nombre. Commençons par exclure le sens que lui donne Porphyre, et nous prouverons ensuite qu'elle ne peut s'appliquer qu'à l'empire romain.

Je dis donc que l'empire des Lagides et des Séleucides, ni quelque prince que ce puisse être de l'une de ces deux maisons, n'est désigné par le quatrième métal de la statue, ni par la quatrième bête que Daniel a vue. La preuve en est facile : c'est que la postérité de Séleucus, et celle de Ptolomée fils de Lagus appartiennent au troisième métal et à la troisième bète. Un des caractères que Daniel donne au cinquième empire vainqueur de tous les autres, et représenté par cette pierre qui brise les quatre métaux de la statue, c'est qu'il ne (2) passera point à une autre

(1) Théodoret sur le chapitre septième de Daniel attribue ce sentiment à des auteurs, qu'il appelle des maîtres de la piété. Ceux qui le soutiennent aujourd'hui se prévalent de ces expressions. Mais ils ne s'aperçoivent pas, ou ils dissimulent que le savant évêque de Cyr témoigne une extrême surprise que ces maîtres de la piété aient proposé une telle explication. Vehementer admiror quosdam pietatis magistros quartam bestiam vocâsse regnum Macedonicum. Il n'eût pas été si étonné d'un sentiment où il n'eût rien trouvé de repréhensible ni de dangereux pour la religion. On en dirait autant aujourd'hui des auteurs catholiques qui l'ont adopté. Au surplus, ces maitres de la piété, par où Théodoret désigne plutôt leur genre d'écrire que la sainteté de leur personne, ou la pureté de leur doctrine, ces auteurs, dis-je, sont apparemment Théodore de Mopsueste et ses disciples. On sait que c'est de ce Théodore que sont nées les interprétations judaïques des prophéties. Ce fut un des motifs qui attirèrent une si sévère condamnation à ses écrits dans le cinquième concile général. Les partisans du sentiment que nous réfutons n'ont pas lieu de se glorifier de cette origine.

(2) Regnum ejus alteri populo non tradetur. Dan. 2.44.

nation. Par la raison des contraires, les quatre premiers empires ont dû être formés par quatre peuples différents. Or les Séleucides rois de Syrie et les rois d'Egypte de la race des Lagides étaient Grecs comine Alexandre. Ils sont donc compris avec lui dans le troisième métal de la statue. Ils le sont encore mieux dans la troisième bête. Car elle a quatre ailes et quatre têtes. Or le royaume de Syrie fondé par Séleucus, et celui d'Egypte fondé par Ptolomée, fils de Lagus, sont deux de ces ailes et de ces têtes (1). Ils font donc encore une fois partie de ce troisième empire, qui est celui des Grecs, figuré par le troisième métal et par la troisième bête.

Ce n'est pas tout. Ces mêmes royaumes à qui on dispute leur place naturelle, n'ont aucun rapport au quatrième métal, ni à la quatrième bête. Où trouvet-on en eux ce fer, le plus dur de tous les métaux, qui surmonte et qui brise tout? Les princes qui les ont gouvernés ont-ils eu plus de force et d'activité qu'Alexandre, dont l'empire n'est que d'airain ? Méritent-ils en comparaison de lui d'être représentés par cette bête plus terrible avec ses dents et ses ongles de fer que toutes les autres? Daniel serait donc tombé non-seulement avec l'histoire, mais avec lui-même dans une étrange contradiction; puisqu'en parlant ailleurs d'Alexandre, il ajoute toujours que ses quatre successeurs n'égaleront pas sa puissance.

Comment expliquera-t-on ce mélange de fer et d'argile qui se voit dans les pieds de la statue, ces deux parties du quatrième empire, dont l'une est faible, l'autre est ferme, qui s'allient inutilement par des mariages, et ne s'unissent jamais, comme le fer ne peut se lier avec la terre? Où trouve-t-on rien de pareil dans le royaume des Séleucides, quand on y joindrait celui des Lagides? Où sont la partie forte et la partie faible, dont les divisions ne peuvent être terminées par des mariages? Cela n'a jamais eu lieu dans un royaume purement monarchique tel que celui de Syrie, où l'on a vu à la vérité des guerres civiles pour la succession à la couronne mais dont la constitution n'admettait pas cette division toujours subsistante entre deux parties aussi inalliables entre elles, que la terre et le fer. Que si l'on entend cette division des deux royaumes d'Egypte et de Syrie, qui contractaient quelquefois entre eux des alliances par des mariages, sans perdre

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(1) Daniel ne nous permet pas de douter que l'empire d'Antiochus Epiphane en particulier, ne soit une suite et une dépendance de celui d'Alexandre, loin de former un einpire à part. Cette division en quatre royaumes de l'empire d'Alexandre, qu'il marque ici sous la figure des quatre ailes et des quatre têtes du léopard, il la désigne ailleurs (Dan. 8, 8) par les quatre cornes qui se formèrent sur la tête du bouc après que la grande corne eut été rompue. De l'une de ces quatre cornes, ajoute-t-il, est sortie une petite corne. Tout le monde convient, et nous l'avons montré dans le chapitre précédent, qu'il s'agit là d'Autiochus Epiphane. Ce prince appartient donc à l'une des quatre têtes du léopard, comme il sort de l'une des quatre cornes du bouc. Il ne peut donc appartenir à la quatrieme bête totalement distinguée du léopard.

l'envie de se nuire, quel est celui des deux qui est le fer? quel est l'argile? Ils étaient à peu près également puissants, tantôt vaincus, et tantôt victorieux dans leurs guerres mutuelles. Ni l'un ni l'autre n'a mérité d'être respectivement désigné par sa force ou par sa faiblesse.

Mais ce qui tranche la difficulté, est-ce pendant l'empire des successeurs d'Alexandre que s'est élevé ce cinquième empire qui a détruit tous les autres, sans s'établir par des moyens humains, qui ne passe à aucune autre nation, que l'ancien des jours a donné au Fils de l'homme, pour y régner avec les saints, qui enfin est éternel et incorruptible? Les interprètes partisans de cette opinion répondent que ce cinquième empire est l'empire romain, et ils font seulement la grâce à celui de Jésus-Christ d'accorder qu'il a verifié la prophétie dans un sens plus sublime et plus auguste. Suivant cette réponse l'empire romain aurait sa place dans la prophétie de Daniel. Celui de Jésus-Christ y aurait aussi la sienne, quoique mal assurée. Porphyre et les incrédules devraient avouer, que l'auteur de ce livre, qu'ils font contemporain d'Antiochus et des Machabées, a prédit l'avenir. Mais cette interprétation est si visiblement fausse, qu'ils auraient plutôt droit de l'accuser de mensonge et de tromperie. Aucun des caractères du cinquième empire ne convient à l'empire romain. Ce n'est pas cette pierre détachée sans main d'une montagne, c'est-à-dire une puissance formée sans aucun secours humain. Quel est le Fils de l'homme qui y règne et y fait régner les saints avec lui? N'a-t-il passé à aucune autre nation, et ne voyonsnous pas encore une partie des peuples qui l'ont détruit, soit en Occident, soit en Orient? Peut-il être appelé éternel et incorruptible, tandis que nous connaissons les époques de sa destruction totale, et ne serait-ce pas se jouer du langage, que de prétendre qu'il subsiste encore dans l'empire romain qui est en Occident?

Replaçons dans son véritable rang l'empire romain, dont parle le prophète; et après avoir exclu le sens de Porphyre, disons que cet empire est le seul qui soit figuré par le quatrième métal de la statue, et par la quatrième bête de Daniel. On ne peut douter qu'il n'ait eu en vue quatre différents empires, les plus grands qui aient régné dans l'univers, qui se sont succédé l'un à l'autre, et qui ont enfin subi en périssant la même destinée. Faut-il un autre guide que l'histoire, pour trouver l'empire romain dans cette succession? Ne nous apprend-elle pas que quatre nations différentes, les Assyriens, les Mèdes les Perses, les Grecs et les Romains ont formé successivement les quatre plus puissants empires de l'univers? Qu'elles ont pris la place les unes des autres? Et que le dernier de ces empires a eu son tour comme ceux qui l'avaient précédé? En comparant la prophétie de Daniel à des faits si universellement connus, ne sent-on pas d'abord qu'ils en font l'accomplissement? Et pourquoi faire violence

à sa pensée, tandis qu'il est manifeste qu'il a dit ce qui est arrivé aux yeux du monde entier ? Des idées si simples n'ont pu être obscurcies que par l'intérêt qu'ont les ennemis de la religion à affaiblir une telle preuve, ou par un travers d'esprit qui a souvent les mêmes effets que la corruption du

cœur.

Mais en examinant de plus près ce quatrième métal, et cette quatrième bète, on ne peut y méconnaître l'empire romain. Il est, vis-à-vis des trois autres empires, d'une force et d'une dureté comparable à celle du fer. Ce sont les jambes et les pieds de la statue. Cet empire prend son origine du fer, et ce métal en est la matière dominante. Cependant il a de l'argile dans ses pieds mêlée avec le fer. Ce mélange l'affaiblit en le divisant, et les alliances que les deux parties contractent par le sang ne les unissent pas mieux que le fer ne se lie avec la terre. Rome, endurcie dès sa naissance aux fatigues et aux combats, a conservé jusqu'au dernier période de son élévation un courage et une ambition inflexibles, qui ont fait ployer sous ses lois toutes les nations et tous les empires, comme le fer brise tout et met tout en pièces (1). Néanmoins elle a toujours eu dans son sein et par sa propre constitution un germe d'affaiblissement. C'est la division du peuple et du sénat, division que les mariages permis entre les familles patriciennes et les plébeïennes, n'ont jamais pu éteindre (2). La force de l'empire et même son origine était dans le sénat composé des plus anciennes maisons de Rome, et dont la sagesse et la fermeté ont sauvé cette ville au milieu des plus grands périls, et l'ont rendue maîtresse de l'univers.

Rome ne ressemble pas moins à la quatrième bête qu'au quatrième métal. Cette bête surprend d'abord Daniel par la nouveauté de sa figure. Il s'en informe particulièrement, la voyant si différente de toutes les autres (3). L'empire romain dans le fort de ses conquêtes n'avait rien de commun avec les monarchies des Assyriens, des Perses et des Macédoniens, soit par les mœurs de ses citoyens, soit par la manière

(1) Regnum quartum erit velut ferrum. Quomodò ferrum comminuit et domat omnia, sic comminuet et conteret omnia hæc. Dan. 2, 40.

(2) Si cette explication qui nous a paru la plus natu. relle ne convient pas, on peut lui préférer celle qui recule jusqu'au temps de Jules César, la division et l'affaiblissement provenus du mélange de l'argile et du fer, sans que les mariages contractés entre les parties divisées aient pu y remédier. Jules César donna sa fille à Pompée. Le beau-père et le gendre n'en furent pas moins irréconciliables ennemis. Marc-Antoine épousa la sœur d'Auguste. Les deux beaux-frères se disputèrent l'empire de l'univers. Antoine succomba sous les armes d'Auguste, comme Pompée avait cédé à celles de César. Jusqu'alors l'empire romain avait été dans sa force et dans sa vigueur, prenant sans cesse de nouveaux accroissements. Depuis que la liberté fut changée en servitude, il s'affaiblit et déclina continuellement, soit par ses divisions intestines, soit par les guerres étrangères.

(3) Volui diligenter discere de bestiâ quartâ, quæ erat dissimilis valdè ab omnibus. Dan. 7, 19.

dont elle faisait la guerre, soit par la forme de son gouvernement. Cette bête était plus effroyable que les trois autres. Armée de dents et d'ongles de fer, elle dévorait, elle brisait, et foulait aux pieds ce qui avait échappé à la violence de ses coups. Ainsi l'empire romain plus guerrier, plus entreprenant, plus fier que les empires des Assyriens, des Perses et des Grecs (1), a porté aussi plus loin ses conquêtes, a vaincu plus de nations, a fait dans le monde plus de ravages. Sa maxime était d'écraser tout ce qui osait lui résister, et de s'asservir ceux qui lui demandaient la paix, ou qui briguaient son alliance. Tant de villes ruinées de fond en comble, tant de trônes renversés, tant de millions d'hommes passés au fil de l'épée, ont été des effets de sa fureur; tant d'états réduits en provinces romaines, des preuves de son ambition : et son impérieuse hauteur a paru dans le traitement qu'elle exerçait à l'égard des rois et des peuples ses alliés. Une telle conduite pouvait-elle être mieux représentée que par l'action d'une bête féroce qui engloutit une partie de sa proie, en met une autre en pièces, et foule aux pieds le reste.

Cette bête si forte, si avide, si cruelle, périt enfin, comme le dernier métal de la statue est réduit en poussière malgré sa dureté. L'empire romain est anéanti, et il n'en reste pas aujourd'hui plus de vestiges que des monarchies des Assyriens, des Perses et des Grecs. C'est pendant la durée de ce dernier et quatrième empire qui, s'étant incorporé les trois autres, était censé les contenir tous, que s'est élevé le royaume de Jésus-Christ, faible dans ses commencements, dépourvu de tous les secours humains, acquis par les souffrances du Fils de l'homme, partagé avec les saints compagnons de ses travaux et imitateurs de ses vertus, répandu par degrés dans toute la terre, supérieur aux vicissitudes des siècles, éternel et immuable comme son fondateur. Nous montrerons plus au long dans la seconde partie de cet ouvrage, comment les prédictions qui regardent Jésus-Christ et son Église ont été vérifiées. Nous ne disons qu'un mot de celle-ci, pour ne laisser aucun doute à nos lecteurs sur le parfait accomplissement de la prophétie de Daniel.

Vous ne dites pas tout, m'objectera quelque incrédule. Vous n'achevez pas la prophétie et vous désespérez d'en soutenir la vérité jusqu'à la fin. Cette quatrième bête, qui signifiait selon vous l'empire romain, avait (2) dix cornes. Daniel les considérait, et il vit une petite corne qui sortait du milieu des autres. Trois des premières cornes furent arrachées de devant elle. Cette corne avait des yeux comme les yeux d'un homme, et une bouche qui proférait de grandes choses. Il faudrait expliquer tout cela de l'empire romain, quand Daniel n'aurait ajouté rien de plus. Mais il ne

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tarde pas à nous développer le mystère de toutes ces cornes. Les dix (1) premières sont dix rois du quatrième empire. La petite corne sortie du milieu des autres devenue ensuite plus grande qu'elles, devant qui trois d'entre elles étaient tombées, qui avait des yeux d'homme, et une bouche proférant de grandes choses, qui faisait la guerre aux saints et prévalait contre eux, est un roi qui sera plus puissant que ceux qui l'avaient devancé. Il abaissera trois rois, parlera insolemment contre le Seigneur, foulera aux pieds les saints du TrèsHaut, et il s'imaginera qu'il pourra changer les temps et les lois. Et ils seront livrés entre ses mains jusqu'à un temps, deux temps, et la moitié d'un temps. Et le jugement se tiendra, afin que la puissance lui soit ôtée, qu'elle soit entièrement détruite, et qu'il périsse à jamais. L'exactitude de la prophétie demande donc qu'on fasse voir dans l'empire romain dix rois, un autre roi s'élevant après eux, faible d'abord, et les surpassant ensuite en puissance, abaissant trois rois, blasphemant contre le Très-Haut, persécutant ses saints, et puni après un certain temps par la justice divine.

Je remarque d'abord sur cette objection qu'elle détruit sans ressource le système inventé par Porphyre et renouvelé par quelques interprètes. Suivant ce système, Antiochus est la onzième corne, le nouveau roi qui vient après dix autres. Or ce caractère est incompatible avec l'histoire de ce prince. Il n'a eu dans le royaume de Syric que sept prédecesseurs, Séleucus Nicator, Antiochus Soter, Antiochus Théus, Séleucus Callinicus, Séleucus Céraunus, Antiochus le Grand, Séleucus Philométor. On n'a vu en aucun temps dans ce même empire des Séleucides dix rois ou princes régnants à la fois. Ainsi, de quelque manière qu'on prenne ces dix cornes de la quatrième bête, ces dix rois du quatrième empire, le royaume de Syrie ne les offre pas. Antiochus Epiphane nc ressemble point à la petite corne née au milieu des dix premières. Le voilà exclu à jamais de cette prophétie, et il n'est plus possible de la regarder comme l'ouvrage d'un auteur contemporain, qui, parfaitement instruit des événements présents ou passés, a supposé qu'ils avaient été prédits plusieurs siècles auparavant par le prophète Daniel.

Les saints Pères qui n'ont eu garde de distinguer la quatrième bête, de l'empire romsin, ont communément interprété de l'Antechrist la petite corne dont on vient de parler. Pour mieux entendre leur pensée sur ce point, il faut savoir qu'étant persuadés par l'autorité de l'Ecriture, que l'Antechrist paraîtrait vers la fin du monde, qu'il persécuterait alors l'Eglise chrétienne, et que cette persécution serait terminée par l'avénement glorieux de JésusChrist, qui du souffle (2) de sa bouche foudroiera le méchant et l'homme de péché, la plupart d'entre eux croyaient en même temps, par une erreur excusable,

(1) Dau. 7, 24, 25, 26. (2) 2. Thessal. 2, 8.

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que l'empire romain durerait jusqu'aux derniers événements qui devaient précéder la venue de l'Antechrist, la fin du monde, la manifestation éclatante de la puissance et de la majesté de JésusChrist. Par une suite de ce préjugé, les Pères voyaient dans la prophétie de Daniel l'empire romain démembré en dix royaumes, lorsque l'Antechrist paraîtrait, la réunion de tous ces royaumes sur sa tête, ses victoires contre trois de ces princes qui, plus fiers et plus hardis que les autres, refuseraient de plier sous ses lois, la guerre qu'il livrerait aux saints, ses blasphèmes contre le vrai Dieu et contre son Christ, la courte durée de son règne et de sa persécution, la délivrance éternelle par le jugement universel que Jésus-Christ viendra prononcer.

Il ne s'agit pas d'examiner ici le motif qui avait engagé les Pères qui pensaient ainsi, à lier la fin de l'empire romain et la venue de l'Antechrist. Encore une fois, c'était une erreur de fait pardonnable avant les événements, qui nous ont appris que la durée du monde était indépendante dans les décrets de la Providence, des bornes qu'elle avait prescrites à la durée de l'empire romain. Il est plus surprenant que le grand nombre des commentateurs, témoins de la chute de cet empire, ait persévéré dans une explication que les Pères auraient désavouée, s'ils avaient vu les événements postérieurs. Il n'est plus permis de penser que l'Antechrist, qui ne doit paraître que vers la fin du monde, soit cette corne prédite par Daniel, comme formée sur la tête de la quatrième bête, c'est-à-dire de l'empire romain, et comme croissant au milieu des dix cornes, qui représentent dix rois de ce même empire. Qu'on trouve dans cette prophétie une vive peinture de ce dernier persécuteur de l'Eglise chrétienne, j'y consens; et à cet égard l'interprétation des Pères doit être conservée, comme celle dont nous avons parlé sur la fin du chapitre précédent, et qui concerne Antiochus Epiphane. Mais outre ce sens figuré, digne de notre vénération, il faut nécessairement chercher à cette partie de l'oracle de Daniel un sens littéral accompli dans l'histoire de l'empire romain.

Cet empire a passé de l'état républicain à l'état monarchique, quand le prophète y voit les circonstances que nous examinons. Cette onzième corne qui excite particulièrement son attention est un monarque puissant et absolu. C'est un prince ennemi des saints, et qui remporte des avantages sur eux. Il est donc question d'un des successeurs d'Auguste, et de l'un des empereurs, qui ont persécuté le christianisme. En rassemblant tous les caractères que lui donne Daniel, il me paraît qu'ils ne peuvent convenir qu'à Julien l'Apostat, plus digne encore qu'Antiochus Epiphane d'être l'image et le précurseur de l'Antechrist.

1o Cette corne a des commencements faibles et obscurs: Et ecce (1) cornu aliud parvulum ortum est.

(1) Dan. 7, 8.

Tels furent ceux de Julien. Quoique né dans la famille impériale, son père Jules-Constance, son oncle et sept de ses cousins germains furent massacrés après la mort de Constantin, pour ne laisser aucun ombrage aux trois fils de ce prince, qui lui succédèrent. Gallus, qui fut César dans la suite, et Julien, son frère, furent sculs épargnés, l'un à cause de son tempérament qui ne promettait pas une longue vie, l'autre à cause de son bas âge. Julien reçut une éducation qui semblait l'éloigner pour toujours de l'empire. L'empereur Constance, son cousin, fit tous ses efforts pour l'engager dans l'état ecclésiastique, où il fut promu à l'ordre de lecteur; et lorsqu'enfin ce prince, se voyant sans enfants et accablé d'un poids immense qui surpassait ses forces, se resolut à élever Julien, son plus proche parent, à la dignité de César, il resserra dans les bornes les plus étroites l'autorité qu'il lui confia.

2o Cette corne si petite dans sa naissance, s'agrandit, se fortifie, et parvient au comble de la puissance: Et (1) majus erat cæteris. Et ipse potentior erit prioribus. Malgré tous les hasards que Julien avail courus dans son enfance, malgré les précautions que Constance avait prises pour le retenir dans sa dépendance, en le créant César, malgré toutes les traverses qu'il essuya de la part des officiers que Constance avait mis auprès de lui, il remporta dans les Gaules, uans la Germanie et dans les îles Britanniques, les victoires qu'il faudra bientôt expliquer plus au long. Les mêmes troupes, qui avaient combattu sous lui dans toutes ces guerres, le proclamèrent Auguste et empereur, irritées de l'ordre que Constance leur avait envoyé de passer en Orient, soit pour les employer contre les Perses, soit pour affaiblir Julien. Il soutint avec autant de courage que de prudence ce choix de son armée; et Constance, qui vraisemblablement aurait été forcé de le reconnaître pour son collègue, étant mort sur ces entrefaites, il devint seul maître de tout l'empire. Il le gouverna paisiblement avee une pleine et entière autorité; et si l'on excepte son projet aussi téméraire qu'impie d'anéantir le christianisme, quelques ridicules personnels où sa vanité philosophique le fit tomber, son expédition contre les Perses, dont la fin ne répondit pas aux commencements, il régna d'ailleurs avec autant de bonheur et de gloire que les plus illustres empereurs qui l'avaient précédé.

3o Cette corne avait des yeux d'homme et une bouche proférant de grandes choses: Ecce oculi quasi oculi hominis (2) erant in cornu isto, et os loquens ingentia. Ces discours superbes, que Daniel lui entendait tenir, il les appelle ailleurs des blasphèmes prononcés contre le Très-Haut par le roi que cette corne représente: Et sermones contra (3) Excelsum loquetur. Qui ne reconnaît à ces traits la pénétration et la politique de Julien, l'éloquence dont il se piquait, et qu'on ne peut effectivement lui contester, les raffine(1) Dan. 7, 20, 24. (2) Dan. 7, 8. (3) Dan. 7, 25.

ments allégoriques dont il se servait, à l'exemple des sophistes ses maîtres, pour déguiser les absurdités de l'idolatrie, les sages maximes empruntées de la religion chrétienne, qu'il tâchait d'introduire dans le paganisme, ses profanes et sanglantes railleries contre Jésus-Christ, scs apôtres, ses martyrs et sa doctrine?

4o Le roi figuré par cette corne, en foulant aux pieds les saints du Très-Haut, se flattera d'être assez puissant pour changer les temps et les lois : Et sanctos Altissimi conteret; et putabit quòd possit mutare tempora (1) et leges. C'est une persécution déclarée à la véritable religion, où tous les moyens capables de la rendre odieuse et méprisable seront employés; c'est déjà un des caractères de la persécution de Julien. Mais ce qui la caractérise encore mieux, et ce qui la distingue des persécutions précédentes, elle trouvera la religion chrétienne dominante dans l'empire romain. Constantin et ses enfants l'avaient mise sur le trône. Ils avaient publié les lois les plus favorables à son culte, à ses temples, à ses ministres. Julien, ayant formé le dessein de ruiner leur ouvrage, Be ntreprit quelque chose de plus que ce qu'avaient tenté les empereurs payens, persécuteurs avant lui du christianisme. Ils avaient attaqué une religion proscrite par les lois romaines, et sans autre appui qu'elle-même. Julien voulut la déposséder de la supériorité que lui avait acquise la protection des empereurs qui l'avaient embrassée ou soutenue. Il osa espérer que sa puissance triompherait également et des obstacles que les empereurs payens n'avaient pu surmonter, et de ceux qui étaient survenus depuis la conversion de Constantin. Il crut que le plan de persécution qu'il méditait, différent de ceux qu'on avait suivis jusqu'alors, serait plus funeste au christianisme; et l'histoire nous assure que, si dans les premières années de son règne il n'avait travaillé que sourdement et par des voies détournées à l'exécution de ce plan, il était déterminé à lever entièrement le masque, et à ne garder plus de mesures avec les chrétiens, après avoir achevé la guerre des Perses.

5o La destruction du christianisme paraissait infallible sous un tel prince. Mais le Roi des rois avait fixé un terme à sa persécution. Ce terme était prédit dans la même prophétie de Daniel. Les saints qu'il fonlera aux pieds seront livrés entre ses mains un temps, deux temps, et la moitié d'un temps. Et tradentur in manu ejus usque ad (2) tempus, et tempora, et dimidium temporis. On retrouve la même expression dans le chapitre douzième de l'Apocalypse, où la femme (3), qui figure l'Eglise, est nourrie au désert un temps, deux temps, et la moitié d'un temps. C'est visiblement dans l'un et l'autre texte le nombre de trois ans et demi; et si l'on en demande une preuve plus claire, elle est dans le même chapitre, où il est dit que la même femme a un lieu préparé dans le dé

(1) Dan. 7, 25. (2) Dan. 7, 25. (3) Apoc. 12, 14.

sert (1), pour y être nourrie douze cent soixante jours. Ce nombre, exprimé ailleurs (2) dans l'Apocalypse par celui de quarante-deux mois, revient nettement à celui de trois ans et demi. Il ne faut pas croire que dans cette énumération si souvent répétée, saint Jean, comme Daniel, ait voulu marquer un temps précis, qui ne fût ni moindre ni plus long que trois ans et demi. On sait que parmi les Hébreux le nombre de sept était un nombre complet. De là vient qu'ils comptaient des semaines, hebdomades, ou des septenaires d'années comme de jours, usage qui n'a pas été inconnu aux autres nations. Ainsi, quand les prophètes désignent une durée, en partageant en deux le nombre de sept, ils veulent parler d'un temps court, imparfait, abrégé, et qui, par le retranchement d'une partie de sa durée naturelle, n'est pas arrivé au terme qu'on lui destinait. C'est en ce sens que l'apôtre saint Jean rebat en tant de manières le nombre de trois ans et demi, la moitié d'une semaine d'années; et que le prophète Daniel, son original et son modèle, a prédit que les saints, persécutés par le roi qu'il dépeint, seraient livrés entre ses mains un temps, deux temps, et la moitié d'un temps. Si l'on voulait compter tout le temps qui s'écoula depuis la proclamation de Julien, en qualité d'Auguste et d'empereur, jusqu'à sa mort, on trouverait à peu de chose près l'espace déterminé de trois ans et demi. Mais à parler exactement, il ne persécuta le christianisme qu'après être devenu paisible possesseur de tout l'empire romain par la mort de Constance. Celle persécution dura un peu moins de deux ans ; et cette durée s'accorde très-bien avec l'idée que les prophètes nous donnent du nombre de trois ans et demi. Dieu, qui arrête les flots de la mer sur le sable de son rivage, ne permit pas que Julien exécutât tous ses projets. Il l'enleva dans la fleur de son âge, après un règne très-court; et par sa mort prématurée, il délivra l'Eglise chrétienne du plus dangereux persécuteur sous lequel elle eût encore gémi.

6o Ce fut aussi la dernière persécution qu'elle éprouva dans l'empire romain. L'idolatrie, abattue. par la mort de Julien, ne se releva plus. C'est ce qui est marqué dans la même prophétie de Daniel. Il voit qu'après que les saints auront été opprimés pendant trois ans et demi, le (3) jugement se tiendra, la puissance sera ôtée à leur persécuteur, il sera brisé et périra à jamais. Le royaume, la puissance et la grandeur de l'empire qui est sous le ciel sera donnée au peuple des saints du Très-Haut, dont le règne est éternel et à qui tous les rois obéiront. Voilà, s'il est permis de pénétrer avec un humble respect les secrets conseils de Dieu, la véritable raison pourquoi, dans un tableau prophétique de l'empire romain, Julien a été seul représenté, parmi tous les empereurs païens qui l'ont gouverné, sous la figure de cette corne mystérieuse, observée avec tant de curiosité par le prophète Daniel,

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