Oldalképek
PDF
ePub

qu'une voix intérieure dicte : et comme tous les siècles sont présents à l'intelligence suprême qui lui révèle l'avenir, il passe sans intervalle d'un événement qu'il a prédit à un autre qui n'y a aucun rapport. Ce n'est pas à lui qu'on doit imputer l'apparente irrégularité de ses discours; c'est à celui dont il est l'organe et l'interprète, et qui dispense, comme il le juge à propos, la connaissance anticipée des choses futures.

Ce n'est pas qu'un prophète soit un énergumène, ni que l'inspiration céleste lui ravisse l'usage de sa liberté. Cette manie si parfaitement dépeinte par Virgile (1) est le partage des prophètes du paganisme. Il était digne du démon de porter le trouble et la fureur dans des âmes qui se livraient à lui. Il contrefaisait par les violentes convulsions de ses prêtres et de ses prêtresses l'enthousiasme des vrais prophètes; et il entretenait par ce spectacle effrayant la superstition de ses adorateurs. Dieu n'agit pas ainsi sur une âme qu'il remplit d'une lumière prophétique. Il lui laisse la raison et la liberté, dons précieux qu'elle a reçus de lui dans sa création, et les traits les plus marqués de sa ressemblance avec lui. Mais si le prophète est toujours libre, en suivant l'inspiration divine, il ne dépend pas de lui de la prévenir. Il ne peut prédire que ce qui lui est révélé. Ambassadeur du premier et du plus grand de tous les êtres, il exécute ponctuellement ses ordres, en rendant aux hommes ses ora'cles, tels qu'il les lui a confiés; et loin que le désordre qui règne dans ses prédictions, en rende la vérité douteuse, une précision trop étudiée serait au contraire un préjugé légitime contre une prophétie.

Indépendamment de cette opération de Dieu sur les prophètes, ne jugeons de leurs ouvrages que comme de ceux où l'imagination et le génie ont plus de part que le raisonnement et la inéditation. L'Ode, par exemple, n'est pas susceptible de cette méthode didactique qui met chaque chose dans sa place naturelle, qui enchaîne ses pensées l'une à l'autre, et n'entame un nouveau sujet qu'après avoir épuisé celui qui le précède. Son vol est trop sublime et trop hardi, pour être si régulier et si compassé. Doit-on faire un crime aux prophètes d'avoir emprunté le style lyrique? Quel autre convenait mieux à leur ministère? Ils prédisaient l'avenir. Ils célébraient la majesté de Dieu. Ils reprenaient les pécheurs. Ils déploraient les calamités publiques. Tout cela demande un genre d'écrire, qui réveille les esprits les plus insensibles, qui échauffe les cœurs les plus froids, qui épouvante les plus audacieux. Rien de plus capable de produire ces grands effets, que les fortes images et les saillies impétueuses du genre lyrique. Les prophètes l'ont reconnu, ou plutôt l'Esprit qui les animait leur a fait choisir un tour et des expressions conformes à ses vues. Il a mis en œuvre leurs talents

(1)_Bacchatur_vates, magnum si pectore possit
Excussisse Deum. Tantò magis ille fatigat
Os rabidum, fera corda domans, fingitque premendo.
Virg. Eneid. 6.

naturels : et ajoutant au feu de leur génie un nouvean degré de chaleur, il a imprimé dans leurs écrits celle merveilleuse énergie, qui se fait encore sentir après tant de siècles, et dont les poètes lyriques de l'antiquité profane n'ont jamais approché.

Le style prophétique est donc incompatible avec la justesse et la simplicité nécessaires dans le discours d'un historien. Mais il y a une dernière raison qui a dů rendre les prophéties plus obscures et plus mystérieuses que des narrations historiques. Il ne convenait pas que les premières eussent une clarté qui devint un obstacle à leur accomplissement.

Dieu n'est pas obligé de multiplier les miracles; il est même de sa grandeur et de sa sagesse de ne pas altérer sans nécessité le cours ordinaire des choses humaines, de mettre autant de douceur que d'efficace dans les ressorts de sa providence. Il est manifeste qu'une prédiction aussi claire et aussi détaillée qu'une relation historique, ou ne serait jamais accomplie, ou ne pourrait l'être que par un miracle. Supposons que toutes les prophéties sur Jésus-Christ eussent été rassemblées dans un seul et même discours, et rangées selon l'ordre des temps; qu'elles commençassent par sa naissance dans Bethléem avec les circonstances et les suites de cette naissance ; qu'elles continuassent par sa fuite en Égypte, son retour dans la Palestine, sa vie cachée jusqu'à l'âge de trente ans ; qu'elles décrivissent ensuite toute sa vie publique, ses miracles, ses prédications, ses voyages dans la Judée, ses combats contre une cabale puissante et jalouse; qu'elles finissent par la perfidie d'un de ses disciples, par la lâcheté de tous les autres, par l'iniquité de ses juges, par sa mort sur une croix, et par sa résurrection glorieuse supposons, dis-je, que tout cela eût été annoncé avec cette suite et ce détail, et de plus avec une telle clarté, qu'avant chaque action de JésusChrist, les Juifs n'eussent qu'à consulter son histoire prédite, pour savoir ce qu'il devait faire; dans cette supposition, de pareilles prophéties ne pouvaient plus être humainement accomplies. Les Juifs si bien avertis ne pouvaient plus concourir par leur incrédulité à l'exécution des conseils éternels. Il fallait un de ces prodiges, qu'on ne doit attendre ni de la sainteté, ni de la bonté de Dieu, pour effacer à chaque instant, dans l'esprit des Juifs, des notions si nettes et si précises; ou, s'ils ne les perdaient pas, pour les faire agir volontairement contre les règles les plus communes de la prévoyance.

Il en est à peu près de même des autres prophéties. Leur trop grande évidence en eût rendu l'accomplissement impossible sans un miracle. Le libre arbitre, dans l'usage ordinaire que Dieu en laisse aux hommes, serait trop gêné par une connaissance si distincte de l'avenir. L'incertitude à cet égard leur, est nécessaire, pour tenir dans leurs déterminations un juste milieu entre un excès de confiance et un excès de crainte et de paresse.

Il est vrai que les prophéties doivent préparer les esprits jusqu'à un certain point à l'attente de leus

accomplissement. Il est vrai aussi qu'elles doivent avoir une clarté suffisante, pour rendre inexcusables ceux qui méconnaissent cet accomplissement, quand il est arrivé. Ce double caractère se remarque dans les prophéties de l'ancien Testament et surtout dans celles du Messic, dont l'objection proposée nous oblige de parler ici par avance. Les Juifs, en lisant les anciens oracles, avaient conçu l'espérance d'un libérateur. Ils avaient même sur cet événement si désiré un signe que la plupart des prophéties ne donnent pas. C'était l'époque de la décadence de leur empire, après laquelle Jacob leur avait prédit que le Messie paraîtrait, et la date des semaines de Daniel, dont la fin approchait au temps de Jésus-Christ. Aussi attendaient-ils alors le Messic promis, et cette attente leur était commune avec les Samaritains qui n'admettaient d'autres livres sacrés que ceux de Moïse. Il n'a tenu qu'à eux de reconnaître dans la personne de Jésus-Christ tous les autres traits du libérateur annoncé par tant de prédictions. Mais ces traits répandus en différentes prophéties, et souvent cachés sous des apparences plus conformes aux désirs de leur cœur, n'avaient pas assez attiré leur attention. Ils s'obstinèrent à les rejeter, lorsque Jésus-Christ les leur montra; et ils contribuèrent ainsi, sans le savoir, à vérifier les prophéties, puisque leur incrédulité était elle-même prédite.

Une distribution si exacte de lumière et d'obscurité est peut-être ce qu'il y a de plus admirable dans tes prophéties. Un homme à qui Dieu aurait ouvert te livre de l'avenir, sans lui inspirer la manière dont il devrait prédire ce qu'il y aurait vu, parlerait trop ou trop peu. Il n'appartient qu'à ce même Esprit qui a éclairé les prophètes de dicter des oracles assez enveloppés, pour que leur exécution n'ait pas besoin d'un nouveau prodige; assez clairs néanmoins, pour que la vérité puisse en être aperçue, après l'événement, par tous les esprits attentifs.

CHAPITRE IV.

Prédictions des conquêtes de Cyrus et de la prise de Babylone.

Il est peu de héros dans l'histoire aussi célèbres que Cyrus. Il est peu de villes, ou peut-être n'en estil point, qui aient égalé les merveilles de Babylone. Deux illustres écrivains de la Grèce, sans parler des autres plus récents ou moins estimés, ont parlé de ce héros et de cette ville : Hérodote et Xénophon. Tous les bons critiques conviennent que la narration de Xénophon est préférable à celle d'Hérodote; soit parce qu'elle est en elle-même plus vraisemblable et plus judicieuse; soit parce que l'auteur, homme de guerre et d'état, ayant vécu long-temps dans la Perse, où il prit part aux affaires les plus importantes, où il connut parfaitement un prince du sang et du nom de Cyrus, a du être mieux instruit de l'histoire de ce conquérant, qu'llérodote, justement soupçonné d'avoir choisi, parmi les différentes manières dont on racon

tait de son propre aveu les exploits et la mort de Cyrus, celle qui était plus conforme à son goût pour le merveilleux, et au ressentiment des Grecs de l'AsieMineure contre la mémoire d'un roi qui les avait subjugués.

L'avantage qu'a la narration de Xénophon sur celle d'Hérodote, est un préjugé favorable pour les livres saints, qui se rapportent parfaitement, soit dans ce qu'ils prédisent, soit dans ce qu'ils racontent, à ce qu'écrit le premier de ces historiens. Que les incréduies réforment par cet exemple leurs idées sur l'Ecriture. Qu'ils apprennent que plus on l'étudie avec le secours des bonnes lettres (on pourrait dire de même avec celui des sciences), plus on l'admire et on la révère.

Les auteurs profanes qui ont parlé de Cyrus, n'ont cherché le principe de ses conquêtes que dans une ambition et une ardeur pour la gloire secondées des plus heureux talents. Mais le prophète Isaïe porte ses vues plus loin. Instruit deux siècles avant la naissance de ce prince, et du nom qu'il devait porter, et du personnage éclatant qu'il serait dans le monde, il ne voit d'autre cause de ses victoires, que la protection toute-puissante de Dieu, d'autre motif de cette protection, que le dessein de le rendre le libérateur du peuple juif, et le restaurateur du temple de Jérusalem. Je dis à Cyrus (1): Vous êtes le pasteur de mon troupeau, vous accomplirez toutes mes volontés. Je dis à Jérusalem: Vous serez rebâtie; et au temple, vous serez rétabli. Tel est le langage que Dieu tient dans Isaïe. La ville et le temple existaient alors, non pas à la vérité dans la même splendeur que sous le règne de Salomon, mais pourtant dans un état qui ne Jaissait pas lieu d'appréhender leur ruine, ni d'annoncer leur rétablissement. Isaïe avait déjà prédit plusieurs fois les malheurs destinés à Jérusalem; et sa prophétie était surtout admirable en ce qu'elle prédisait ces malheurs, comme devant venir, non des Assyriens et des rois de Ninive, puissance la plus formidable alors pour les Israélites, mais de Babylone (2), dont l'empire était encore faible auprès de celui de Ninive, alliée même des rois de Juda, à qui elle avait envoyé des ambassadeurs et des présents, et qui ne paraissait pas devoir être jamais en guerre avec les Juifs. Isaïe ne se contente pas de prédire la destruction de Jérusalem: il mêle les consolations aux menaces, les prospérités aux malheurs; et dans le temps qu'il introduit Dieu appelant Cyrus par son nom, et lui confiant de si loin la conduite de son troupeau, et l'exécution de ses volontés, il lui fait dire à Jérusalem: Vous serez rebâtie, et au temple, vous serez rétabli.

N'est-il pas visible par l'union de ces deux prophéties, que Dieu n'appelle Cyrus, que pour être le pasteur de son troupeau, c'est-à-dire, le défenseur et le conducteur de son peuple, et que les volontés, dont il doit le rendre l'exécuteur, sont la réédification de Jérusalem sa ville chérie, et la reconstruction (1) Isai. 44, 28. (2) Isai. 39, 6, 7.

de son temple? Mais afin qu'on ne doute pas que les qualités héroïques qui ont brillé dans Cyrus, et les exploits qui ont immortalisé la gloire de ses armes, n'ont eu d'autre objet que l'accomplissement de ces desseins de Dieu, le prophète continue ainsi (4): Voici ce que je dis, moi qui suis le Seigneur, à Cyrus mon Christ que j'ai pris par la main, pour lui assujettir les nations, pour mettre les rois en fuite devant lui, pour lui ouvrir les portes des villes, sans qu'aucune lui soit fermée. Je marcherai devant vous. J'abaisserai les grands de la terre. Je romprai les portes d'airain, et je briserai les gonds de fer. Je vous donnerai les trésors cachés et les richesses enfouies, afin que vous sachiez que je suis le Seigneur Dieu d'Israël, qui appelle votre nom. C'est pour Jacob mon serviteur et pour Israël mon peuple élu que je vous ai nommé si long-temps avant votre naissance. Vous me devez votre gloire, et vous ne m'avez pas connu. Je suis le Seigneur, et hors de moi il n'est point d'autre Dieu. Vous me devez votre force, et vous ne m'avez pas connu.

C'est donc le Seigneur qui a voulu se servir de Cyrus pour l'affranchissement des Juifs, et pour le rétablissement de Jérusalem et de son temple. C'est lui qui, pour le rendre l'instrument d'une si noble entreprise, l'a conduit comme par la main sur le trône d'Orient. C'est lui qui a mis en fuite devant lui les rois de Babylone et de Lydie, et tous les princes ligués avec eux; qui lui a livré les richesses immenses de Crésus et de Balthazar ; qui lui a ouvert les portes de toutes les villes qu'il a assiégées, et surtout celles de Baby lone, qui paraissait imprenable. Il lui fallait cette dernière conquête, pour être en état de décider du sort des Juifs esclaves des Chaldécns, et de leur restituer les vases sacrés que les rois de Babylone avaient enlevés.

Josèphe (2) soutient que cet oracle d'Isaïe fut connu de Cyrus, et que ce prince, frappé de se voir si clairement dépeint dans une ancienne prophétie, accorda aux Juifs tout ce qu'ils lui demandèrent. Ce récit n'a rien que de vraisemblable. On ne peut guère douter que les Juifs n'aient été très-empressés de montrer à Cyrus son nom et ses exploits annoncés dans les livres de leur religion, et que cette lecture, en remplissant ce prince d'admiration, ne l'ait rendu favorable à une nation dépositaire d'un monument si glorieux pour lui. Mais, quand il n'aurait pas connu l'oracle d'Isaïe, il ne l'a pas moins accompli avec la plus grande évidence, soit par le nom qu'il a porté, et par ses prodigieuses conquêtes que l'histoire a tant célébrées, soit par la liberté qu'il rendit aux Juifs, et par la permission qu'il leur accorda de rebâtir le temple de Jérusalem.

Personne ne doute que la captivité des Juifs n'ait pris fin sous son règne et par ses ordres; et que les premiers d'entre eux, qui retournèrent alors dans la Judée, n'aient commencé, en se bâtissant des

[blocks in formation]

maisons pour eux-mêmes, par travailler à construire un nouveau temple. On trouve à la fin (1) des Paralipomènes et au (2) commencement du premier livre d'Esdras, l'édit de Cyrus portant permission de rebâtir le temple de Jérusalem, avec invitation aux Juifs de se rendre dans leur patrie, pour entreprendre ce grand ouvrage. Il déclare dans cet Edit adressé à tous ses sujets, que c'est le Dieu du ciel qui lui a donné tous les royaumes de la terre, et qui lui a commandé de lui bâtir une maison dans Jérusalem, capitale de la Judée : nouvelle preuve, pour le dire en passant, qu'il a été instruit de l'oracle d'Isaïe. Cyrus ne se borna pas à cette permission; il y ajouta la restitution des vases de l'ancien temple conservés encore à Babylone, qu'il fit remettre à Zorobabel, prince de Juda, nommé Sassabasar par les Chaldéens.

Cet édit est une pièce trop importante pour avon été supposée par Esdras. Il écrivait dans un temps où il eut été convaincu de faux par les Samaritains ennemis irréconciliables de sa nation, et par les Perses eux-mêmes, à qui elle demeura soumise jusqu'au temps d'Alexandre. Outre cette preuve démonstrative, nous voyons dans la même histoire qu'on s'assura par des recherches exactes de la réalité de cet édit de Cyrus. Les Samaritains (3) avaient surpris à la cour de Perse une défense de continuer l'ouvrage commencé à Jérusalem. Mais les Juifs l'ayant repris, sur les instances des prophètes Aggée et Zacharie, les commandants pour les rois de Perse dans les provinces au-delà de l'Euphrate écrivirent à Darius, fils d'Hystaspe, que ce peuple s'autorisait d'un rescrit publié la première année du règne de Cyrus à Babylone. Darius fit fouiller dans toutes les archives royales; et l'on trouva enfin cet édit de Cyrus dans la bibliothèque d'Ecbatane (4). I était donc réel; et à moins qu'on ne veuille s'inscrire en faux contre les plus respectables de tous les titres, qui sont des archives royales, on doit convenir que Cyrus, en rendant hommage à la toute-puissance du Dieu des Juifs, délivra son peuple et ordonna que son temple fût rebâti: exemple imité et même surpassé par deux de ses successeurs, dont l'un, Darius, fils d'Hystaspe (5), voulut contribuer d'une partie de ses trésors aux frais de la construction du temple et à ceux des sacrifices qui s'y offriraient; l'autre, Artaxerxès Longuemain, permit que (6) la ville de Jérusalem, qui n'était encore qu'un assemblage de maisons sans aucune défense, fut enceinte de murs et fermée par des portes.

Cyrus n'est prédit au moins avec cette clarté que dans ce seul endroit d'Isaïe. Il n'en est pas ainsi de la prise de Babylone, le plus illustre de ses exploits, et celui qui a préparé les voies à la délivrance du peuple Juif. Ce peuple avait été souvent menacé des maux que Babylone lui causerait. Mais

(1) 2 Paralip. 36, 22, 95. (2) 1 Esdr. 1, 1 et scq. (3) 1 Esdr. 4.

(4) 1 Esdr. 6, 1, 2.

(5) 1 Esdr. 6, 8, 9. (6) 2 Esdr. 2, 8.

les mêmes prophètes qui avaient dénoncé aux Juifs leur captivité dans cette ville, avaient prédit sa ruine et en avaient marqué toutes les circonstances. Babylone leur est si odieuse, qu'ils ne se lassent point de la charger d'anathèmes et de malédictions. Mais surtout Isaïe et Jérémie ont vu dans un plus grand détail la manière dont elle serait subjuguée, et le profond abaissement où elle tomberait.

1o Ils ont connu ses vainqueurs. Jérémie ne les désigne d'abord que par leur situation septentrionale (1); bientôt après il les nomme (2), et dit nettement, comme Isaïe (3), que les rois Mèdes armeront contre Babylone leurs sujets et leurs alliés. Cette prédiction est exacte. Quoique Cyrus ait mené les Perses devant cette ville, quoiqu'il ait eu même le commandement général de l'armée qui l'assiégeait, la guerre se faisait au nom du roi de Médie. Les Perses, inférieurs en nombre aux Mèdes, quoique plus braves et mieux disciplinés, n'étaient qu'auxiliaires dans l'armée; et Cyrus, à qui Cyaxare, son oncle, en avait déféré le commandement, paraissait n'agir que sous son autorité. Cependant cette circonstance de la jonction des Perses avec les Mèdes n'a pas été ignorée d'Isaïe; et Cyrus a eu trop de part à la prise de Babylone, pour être oublié dans la description prophétique de cet événement. Isaïe n'a pas plutôt annoncé au chapitre 21 la triste nouvelle dont il est porteur contre Babylone, qu'il s'écrie (4): Marche, prince des Elamites (c'est le nom des Perses); et toi, Mède, forme le siége. La sentinelle, qui doit tout observer dans le moment que Babylone est prise, découvre deux cavaliers montés, l'un sur un chameau, l'autre sur un âne. Après ce que l'on vient d'entendre, il est facile de reconnaître dans ces deux cavaliers, dont les montures sont si différentes, les Mèdes, nation puissante et magnifique, et les Perses, peuple obscur jusqu'alors, accoutumé à une vie laborieuse et frugale.

2o Les prophètes semblent avoir assisté en esprit à ce superbe repas que Balthazar donna dans son palais la nuit même que Babylone fut prise. Jérémie (5) voit tous les grands de la Chaldée plongés dans l'ivresse, et ne se réveillant de cet assoupissement que pour s'endormir du sommeil éternel de la mort. Et afin qu'on ne prenne pas ces expressions dans le sens métaphorique de la surprise et de l'étourdisse ment, Isaïe fait entendre les mêmes paroles qui furent dites à Balthazar, pour le rassurer au milieu de ce repas. La joie en avait été troublée par le terrible (6) phénomène d'une main écrivant sur le mur de la salle du festin des paroles que les plus savants mages n'avaient pu ni lire ni expliquer. L'interprétation de

[blocks in formation]

Daniel avait redoublé l'épouvante. Mais on ne tarda pas à bannir ces lugubres idées. Le roi et ses courtisans se flattèrent, ou que la prophétie n'était qu'une menace susceptible d'adoucissement, ou que son exécution était éloignée. Ordonnez, dit-on à Balthazar, que la table soit servie de nouveau, qu'on considère du haut d'une guérite tout ce qui se passe. Mangeons et buvons (1) comme auparavant. On cherchait à lui plaire, en le dissipant ; et l'on croyait mettre sa couronne et sa vie en sûreté par les précautions qu'on lui suggérait. Ainsi ce roi impie (2), comme l'appelle Xénophon se précipita lui-même dans le piége dont on l'avait averti. Mais sa perte était résolue; et l'aveuglement qui devait a précéder avait été prédit. 3o Les prophètes ont su que Babylone ne serait pas emportée d'assaut ou rendue par capitulation, mais qu'elle serait surprise (3). En effet, la force ouverte eût été inutilement employée contre une ville d'une étendue immense, dont les murailles étaient d'une hauteur et d'une solidité à peine croyables, défendue par des armées entières. En vain aurait-on entrepris de l'affamer. Elle était pourvue de toutes sortes de munitions pour vingt ans. La disette se serait plutôt fait sentir dans le camp des assiégeants que dans la ville. C'est ce qui lui inspirait cette fierté dont parlent les prophètes (4); et les historiens nous marquent que les assiégés du haut de leurs murailles insultaient l'armée de Cyrus. Cet habile conquérant recourut à la seule voie qui pût le rendre maître d'une place si forte; et, ce qu'il y a de plus admirable, le stratagème singulier dont il se servit a été distinctement prédit par les prophètes.

4o Ils ont assuré que le lit du fleuve qui traversait Babylone (c'était l'Euphrate) serait mis à sec; qu'à la faveur de ce dessèchement les ennemis pénétreraient dans la ville par les deux extrémités; que le roi enfermé dans son palais recevrait courriers sur courriers, qui viendraient lui apprendre que tout est perdu. Isaïe (5) et Jérémie (6) parlent l'un et l'autre de ce dessèchement de l'Euphrate. Mais le second est le plus exprès et le plus circonstancié dans la prophétie que je cite (7). C'est mot à mot ce que l'histoire nous apprend de la manière dont Babylone fut prise. Cyrus, dans le dessein de détourner le cours de l'Euphrate, avait fait creuser des canaux au-dessus et au-dessous de la ville. Quand le moment d'exécuter

(1) Pone mensam. Contemplare in speculâ come dentes et bibentes. Is. 21, 5.

Cyrop. lib. 7.

Veniet super te malum, et nescies ortum ejus... veniet super te repentè miseria, quam nescies. Isai. 47, 11.

Illaqueavi te, et capta es, Babylon, et nesciebas. Inventa es et apprehensa. Jerem." 50, 24. (4) Isai. Jerem. ibid.

(5) Isai. 44, 27.

(6) Jerem. 50, 38, 51, 36.

(7) Currens obviàm currenti veniet, et nuntius obvius nuntianti, ut annuntiet regi Babylonis quia capta est civitas ejus à summo usque ad summum, et vada præoccupata sunt, et paludes incensæ sunt igni, et viri bellatores conturbati sunt. Jerem. 51, 51, 32.

[ocr errors]

de grandeur encore qu'il ne parle ; et si la manière dont il exprime ses arrêts force les incrédules à la respecter, combien doivent-ils craindre et adorer sa justice qui les forme, et sa toute-puissance qui les exécute?

CHAPITRE V.

son projet fut arrivé, instruit que les Babyloniens célébraient une fête, où ils se livraient à tous les excès de l'intempérance et de la débauche, il fait entrer les eaux de l'Euphrate dans les canaux qu'il leur avait préparés. Le lit desséché du fleuve offre à ses troupes une route sûre et facile. Elles brûlent les jones qui embarrassaient leur passage, et entrent sans être aperçues dans une ville où elles ne trouvent aucune résistance. Les mêmes prophètes ont encore prédit (1), conformément au témoignage des historiens, l'horrible carnage que les Mèdes et les Perses firent dans Babylone. Le roi lui-même fut massacré au milieu de ses officiers et de ses gardes, et son cadavre demeura confondu dans la foule des moris (2).

5o Enfin les prophètes ont prédit l'état d'humiliation, ou pour mieux dire d'anéantissement où Babylone serait réduite, après que l'empire lui aurait été arraché. Ils ont annoncé (3) qu'elle subirait le même sort que Sodome et Gomorrhe, qu'elle serait détruite jusqu'aux fondements, qu'elle ne serait plus rebâtie, qu'ayant cessé d'être habitée par des hommes, elle ne serait plus l'asile que des oiseaux nocturnes et des bêtes sauvages et venimeuses. Tout cela s'est vérifié de point en point. On peut voir dans le commentaire (4) sur Isaïe attribué à M. Duguet, et dont M. Rollin a donné un extrait dans son Histoire (5) ancienne, lorsqu'il n'était encore que manuscrit, on peut voir, dis-je, dans cet ouvrage par quels degrés cette prophétie est parvenue à son dernier accomplissement; comment Babylone a d'abord perdu la qualité de ville royale, comment elle fut ensuite dépeuplée; comment, après avoir été un parc pour la chasse, tandis que l'enceinte de ses murs subsistait encore, elle devint, par la ruine de cette enceinte et le changement du cours de l'Euphrate, un affreux marais dont les serpents et les scorpions défendaient les approches aux voyageurs; comment enfin toutes les traces de cette ville infortunée furent si parfaitement effacées, que les plus habiles géographes ignorent aujourd'hui son ancienne situation.

Ce serait peu d'admirer dans cette multitude d'oracles si précis et si détaillés l'infaillible vérité de la prescience divine. Les incrédules, qui ne peuvent l'y méconnaître, s'il leur reste de la raison et de la bonne foi, doivent s'élever plus haut. On les invite à lire eux-mêmes ces prophéties, dont on ne leur a présenté que les principaux traits. Ils trouveront dans les arrets que Dieu prononce contre Babylone par la bouche de ses prophètes, une force, une élévation, une majesté, qui décèlent le Juge suprême des hommes et le maître absolu de la nature. Dieu seul a pu inspirer un langage si digne de lui. Mais il agit avec plus

(1) Isai. 13. Jerem. 50, 51.

(2) Jerem. 50, 32. Isai. 14, 19.

(3) Isai. 13, 19, 20, 21; id. 14, 23. Jerem. 50, 13, 39, 0; id. 51, 25, 26, 37, 43, 58.

(4) Tom. 2, pages 300-310.

(5) Tom. 2, pages 234-262.

Prédictions de Daniel sur les rois de Perse et sur Alexandre.

Plus les événements prédits se rapprochent des temps connus par l'histoire profane, plus les prophétics deviennent claires. Nous n'avons plus besoin de chercher des preuves à la vérité de leur accomplissement. Quelque fortes que soient ces preuves, il est encore plus simple et plus lumineux de montrer des événements que personne ne conteste, annoncés dans des prophéties qui leur sont manifestement antérieures.

C'est ce qu'on va voir dans celles de Daniel. Nous avons déjà justifié leur date contre les calomnies de Porphyre. Le retranchement où il a cru se mettre en sûreté est enlevé aux incrédules qui auraient voulu s'y réfugier après lui. Il leur deviendrait d'ailleurs inutile, puisque les prédictions de Daniel descendent Leaucoup au-dessous de l'époque marquée par Porphyre, pour la prétendue supposition de ce livre. Ils sont donc vaincus par ces prédictions; et l'aveu de leur défaite serait plus salutaire et plus honorable pour eux, qu'une vaine et criminelle résistance.

Les prophéties de Daniel ont un degré d'évidence qui n'est pas dans les oracles des autres prophètes. Son style n'est ni sententieux, ni coupé, ni véhément comme le leur. On n'y voit pas de ces figures hardies qui interrompent le fil du discours, et, en y mettant plus d'âme et d'intérêt, y jettent une espèce d'obscurité. Dieu n'y prend pas la parole. Si des interlocuteurs différents paraissent quelquefois sur la scène, ils sont nommés: et l'on est averti, quand chacun d'eux commence, et quand il achève son discours. Des événements futurs n'y sont pas exposés comme s'ils étaient ou présents ou passés. Ce sont des songes que le prophète devine, et qu'il interprète. Ce sont des lettres inconnues qu'il déchiffre. Ce sont des visions qu'il a, dont un ange lui dévoile tout le mystère. Il ne débute point par un événement ou par un personnage figuratif, pour finir par la vérité figurće. Chacune de ces prédictions a son objet distinct et séparé. La plupart ne marquent, dans les tableaux qu'elles présentent, que les grands traits qui se font d'abord connaître aux yeux les moins attentifs. Mais il y en a une sur les rois d'Egypte et de Syrie, qui entre dans une suite de détails qu'on ne trouve dans aucun prophète; et si elle est alors plus énigmatique, c'est qu'il fallait bien qu'elle conservât le carac tère qui distingue essentiellement une prophétie d'une narration historique.

Ainsi Dieu, qui, en destinant Daniel à occuper dans la cour et dans l'empire des princes les emplois les plus distingués, a voulu mettre cette différence entre sa manière de vivre et celle des autres prophètes, lui

« ElőzőTovább »