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doctrine de la Vie. Il ne fut pas sceptique un seul instant. Pas une heure, sa pensée ne resta suspendue sur l'abîme. D'un seul bond, il l'avait franchi. Il n'y eut pas d'intermittence dans sa vie morale, pas d'intervalle dans sa foi. Il était de ces esprits à qui la volonté commande et qui éprouvent l'impérieux besoin d'appuyer leurs forces à un point fixe. Ils n'aiment la lutte qu'avec le dehors, ils fuient avec une sorte de terreur les incertitudes, les déchirements intérieurs, l'angoisse du doute. Ils se dominent assez pour s'imposer une foi nouvelle et s'y tenir, quand l'ancienne foi n'est plus.

C'est là ce qui résulte clairement de la Correspondance. L'attitude de cette âme implacable et fière est curieuse à étudier durant la crise qui va couper en deux cette vie. Ni retour mélancolique sur le passé, ni inquiétude sur l'avenir qui s'ouvre à lui avec ses perspectives illimitées et obscures, à un âge où il est si dur de s'exiler de ses habitudes, de son foyer intellectuel et moral, de ses amitiés les plus chères, à cinquante-deux ans. Pas de plainte, pas de gémissement. Pas un mot qui puisse attendrir les témoins de cette grande crise. Pas un cri où se révèle l'angoisse. Il part, le front haut, pour les régions nouvelles que son exil va parcourir. Il franchit la limite de ce vieux monde dont il a été un des plus glorieux enfants, sans retourner la tête, sans jeter un mot

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d'adieu derrière lui à tout ce qu'il a tant aimé. Aux sollicitations qu'on lui fait, il n'a qu'une réponse « Rome, désormais, n'a plus rien à me dire, et je n'ai rien à dire à Rome. Chacun a sa voie qu'il n'a point choisie, sa voie providentielle où il faut qu'il marche. Une irrésistible puissance nous conduit où nous devons aller. » Aux âmes pieuses qui jettent vers le pèlerin en route un cri de tendre désespoir, il dit : « Ne vous pressez point de juger. Dieu ne laissera pas le monde dans cette grave et terrible incertitude. Voilà tout, et déjà il est bien loin, mêlé au plus avant des luttes démocratiques; un an après le grand divorce, nous le retrouvons à Paris parmi les défenseurs des accusés d'avril. Tout le passé est mort, bien mort.

C'est maintenant le grand pamphlétaire de la Révolution, le Tribun du peuple, mais un tribun de plus en plus solitaire, misanthrope humanitaire, incurablement triste.

Qu'il y ait eu bien des angoisses dans cette âme au moment de la rupture et dans la suite, on ne peut guère en douter, mais avec quel soin il nous en a dérobé la trace! Dans quel abîme de silence il les a enfouies! Pouvons-nous aller plus loin que ne va la Correspondance, et tenter de surprendre le secret de cette âme, qu'elle a voulu emporter jusque dans la mort en redoublant "à

la dernière heure de dignité sombre et de fierté farouche? L'excès même de ce stoïcisme, cette insensibilité impénétrable sur le lit funèbre, cette obstination dans l'attitude choisie, une attitude presque dure comme celle d'un lutteur qui se roidit en tombant, tout cela prouve bien la force, mais une force qui s'applique et s'emploie tout entière. Certes ce n'est pas l'attitude d'une âme médiocre. Mais qui oserait dire que c'est l'attitude d'une volonté sûre d'avoir bien choisi? La sérénité est bien loin d'une pareille mort. Dans ce silence violent il me semble que j'entends le cri comprimé des grandes douleurs. Je me dis: « Qu'il a souffert!» Et aussitôt le souvenir de la lettre prophétique du 25 juin 1816 me revient à l'esprit avec le flot d'amertumes qui s'en échappe : « Quoi qu'il arrive, je ne puis qu'être désormais extraordinairement malheureux.... Il y a des destins inévitables! »

CINQUIÈME ÉTUDE.

LES MISÈRES D'UN DIEU

AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

HENRI HEINE D'APRÈS SA CORRESPONDANCE.

I

C'est aux environs de l'année 1820 que Henri Heine se reconnut dieu par la grâce de Hegel, en nombreuse compagnie, du reste. Il y eut vers cette époque, en Allemagne, une promotion en masse de candidats à la divinité.

Or, lequel vaut-il mieux, rester simplement homme ou devenir dieu, si l'avénement à la divinité ne vous exempte d'aucune de ces misères que le pauvre dieu terrestre traîne à travers ses rêves olympiens? C'est ce que je me demandais en lisant la Correspondance d'Henri Heine, et je laisserai à mes lecteurs le soin de répondre pour moi.

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