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ge la plus tragique. Ce ne sera pas assez d'appeler ses adversaires des méchants, cela est banal et froid; pas même assez de les appeler des âmes viles, l'effet n'est pas assez fort; on surchargera l'expression, on arrivera jusqu'à cette hyperbole de la haine des ámes cadavéreuses1. Voilà le procédé. La haine ciselée dans l'expression avec un si grand soin littéraire! Tant de sollicitude à bien écrire, la préoccupation de l'effet au milieu de si violents mouvements d'âme! Il y a ainsi dans tout ce que Lamennais écrit un mélange singulier d'images, de métaphores préparées, soutenues, graduées par les plus savants artifices de style, et en même temps d'anathèmes revêtus d'un tour biblique. La passion de Rousseau, parfois même la rhétorique de Thomas se mêlant aux premières impressions de cette âme nourrie de la Bible, alternant avec des prédictions mystiques, apocalyptiques, et produisant cette succession d'effets qui vont toujours en s'exagérant et cherchant à se surpasser, telle est l'impression que nous laisse cette Correspondance.

Je ne connais pas de spectacle plus navrant que cette peinture de l'humanité sous ce sombre pinceau qui l'outrage et la déshonore à plaisir. Quand

1. Dans le Peuple constituant, après l'insurrection de juin 1848, à propos du général Cavaignac.

on quitte ces tristes pages, il semble que l'on sorte d'un de ces cercles de l'enfer du Dante, où l'on voit s'agiter, sous une pluie de feu et dans les lacs glacés, la troupe hurlante des damnés. On a besoin, après cela, de revoir la belle lumière du jour, de retrouver le visage aimé de quelque enfant radieux, le sourire et l'étreinte d'un ami. On a besoin de croire au printemps et à la vie.

L'hyperbole, c'est la forme littéraire de l'absolu en politique. Lamennais est de cette race d'esprits chimériques et violents qui prétendent imposer à l'ensemble si complexe et si délicat des choses humaines le mécanisme rigide d'un système, qui traitent la vie sociale à la façon d'un syllogisme, qui ne veulent pas voir, entre l'idée pure et le fait, cette multitude d'obstacles qu'on ne supprime ni par le mépris ni par la colère, et dont il faut bien tenir compte, si l'on veut agir sur la réalité. Race éternelle et toujours renaissante qui use dans la pure chimère de grands dons et de grandes forces.

L'absolu ne transige ni avec les hommes ni avec les choses. De là l'intolérance et l'absence complète de sens pratique. L'intolérance de M. de Lamennais n'est plus à prouver. La Correspondance, qui n'est qu'un long réquisitoire contre son temps et contre son pays, en témoigne suffisamment. L'absence de sens pratique se marque

dans toutes les lettres où il essaye de définir l'état social auquel il aspire. En dehors de quelques belles apostrophes à un avenir plutôt célébré que décrit, à la Révolution qui conduira, de station en station, le genre humain sur le Thabor, à la Liberté, qui sera le règne de Dieu sur la terre, au Droit naturel et divin, qui veut que les nations n'appartiennent qu'à elles-mêmes, qu'elles cessent d'être la propriété soit d'un homme, soit d'une classe d'hommes; en dehors de quelques brillantes maximes sur un christianisme social qui sera la solution tant désirée du problème du paupérisme, et des affirmations mille fois répétées sur l'aurore de l'Ère nouvelle, qui perce déjà les ténèbres du vieux monde et qui éblouira même le peuple des sépulcres, on ne trouve rien, absolument rien qui révèle une intention pratique, un programme sérieusement étudié. C'est une aspiration, ce n'est pas une doctrine.

L'absolu en politique n'a pas seulement le tort d'être impraticable et d'errer éternellement en dehors des faits, il a de plus le tort grave d'être sujet à changer du tout au tout, jusqu'à la contradiction. Il n'y a pas de changement médiocre ni de nuance dans l'absolu. Par le mouvement intérieur des idées ou par l'effet du conflit des forces extérieures, il arrive que ces esprits ardents sont amenés à se modifier. Quand ils le font,

ce n'est pas une évolution qu'ils accomplissent, c'est une révolution, violente comme eux-mêmes, et qui imprime dans l'imagination populaire l'idée instinctive de quelque grand scandale.

C'est ce qui arriva à Lamennais. Il n'est pas très-difficile de scruter jusqu'au fond de cette âme inquiète, passionnée, mobile, et de faire voir comment s'était préparé lentement, à son insu même, ce mouvement qui l'emporta brusquement d'un pôle à l'autre du monde des idées, de l'absolu de la théocratie à l'absolu de la démocratie.

De l'un à l'autre, ce qui comble l'abîme, ce qui permet du moins de comprendre qu'à un certain jour l'abîme se trouva franchi, c'est cette théorie même de la certitude, qui est le fond de l'Essai de l'indifférence, et qui transporte l'autorité de la raison individuelle, fût-elle le génie même, à la raison universelle, véritable système de démocratie appliqué à la métaphysique, théorie du suffrage universel développée dans la région des idées; c'est ensuite cette habitude, cette tournure particulière de son esprit qui le portait à se préoccuper du christianisme social et politique bien plus que du christianisme intérieur et spirituel1; c'est enfin la haine égale et continue qui l'anima dans les

1. M. Sainte-Beuve, dans un portrait daté de 1836 et qui est encore le plus attachant et le plus vrai qu'on ait tracé de Lamen

périodes les plus diverses de sa vie contre les pouvoirs humains usurpateurs de l'autorité et du droit. Il se mêlait ainsi, jusque dans les emportements de sa théorie ultramontaine, une sorte de démocratie de Ligueur qui faisait de sa politique le plus singulier mélange d'idées théocratiques et de langage révolutionnaire. Il réclamait d'abord les droits des peuples pour les mettre sous la seule tutelle dont il reconnût la légitimité celle du pape. Plus tard, il supprima le tuteur et confia directement les droits du peuple au peuple souverain. Sa démocratie ultramontaine une fois condamnée, il s'en tint purement et simplement à la démocratie.

Sa nouvelle foi s'était ainsi préparée, nourrie, développée en-dessous, par les luttes déjà subies, par les arguments entassés, par l'habitude de combattre les ministres et les rois. Quand la crise éclata, il parut bien que la foi ancienne était profondément minée; elle tomba, et le nouvel homme parut dans toute l'ardeur de ses convictions démocratiques. Son opiniâtreté d'idée se retournal en sens contraire, voilà tout. Rome lui sembla dès lors condamnée à figurer l'antithèse de la Révolution, le symbole de la Mort en face de la

nais, a touché ce point avec une sagacité singulièrement pénétrante et qui devine tout l'avenir.

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