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rir pour la garder intacte, et se mettant par sa vertu au-dessus des dieux; car le bonheur des dieux est le privilége de leur nature, la félicité du sage est une conquête de sa liberté. C'est là le fond de la démonstration, le reste est du pur oratoire. Cette fière doctrine eut pour elle, à Rome, un double prestige: le prestige de l'opposition républicaine et l'éclat des grands noms qui s'y rallièrent. Ce prétendu droit de l'homme sur lui-même, Caton le revendiqua dans Utique, Brutus à Philippes, Sénèque et Thraséas à Rome. Il se propagea sous l'auspice de ces noms consacrés et devint le dogme favori de cette minorité menacée du sénat romain, qui sut du moins soutenir avec honneur, par des morts illustres, la tradition de la république expirante. Ils ne défendaient plus qu'une ombre, ces républicains de la dernière heure; ils ne couvraient de leur gloire qu'un principe abstrait; mais n'estce donc rien que de savoir mourir ainsi, même pour un grand souvenir ou pour une belle chimère? Le stoïcisme romain a eu le tort de s'étaler en spectacle au monde, comme sur un théâtre. Il a eu le tort plus grave encore de déclamer. Mais est-ce une raison pour déclamer contre lui? En défendar t les stoïciens contre des accusations excessives, je ne prétends pas m'associer à leurs apologies du suicide. De tout temps il sera vrai que la vie qui sait se rendre utile aux autres l'emportera

infiniment sur celle qui ne cherche qu'à s'honorer elle-même par un sacrifice stérile et orgueilleux. Encore est-il vrai pourtant qu'en l'absence d'une plus noble doctrine, qui devait apprendre à l'humanité la science supérieure du dévouement, il y a de la grandeur dans ces morts volontaires, qui étaient moins un suicide qu'une protestation. Doctrine fausse, soit; mais de telles erreurs ne vont ni à des cœurs vulgaires, ni à des âmes lâches.

Ce ne fut pas seulement le dogme stoïcien de la liberté qui arma le bras des Romains contre euxmêmes, ce fut aussi le dogme de la volupté. La secte d'Épicure ne marchandait pas ses victimes. Après avoir répété souvent que la mort est bonne quand il n'y a plus de joie dans la vie, elle se frappa dans quelques-uns de ses plus illustres maîtres. Est-il bon d'attendre la mort et ne vaut-il pas mieux la prévenir? A quoi sert de différer l'heure inévitable, à quoi sert de disputer quelques jours pré-. caires à la fortune, quand ces jours ne sont plus comptés que par des chagrins ou des souffrances? Tandis que l'école stoïcienne disait à ses fiers adeptes: La force t'écrase; mais personne n'est maître de toi; tu tiens dans ta main ta liberté, » la doctrine d'Épicure soufflait l'ivresse de la mort à ses sectateurs : « Tu as épuisé la vie jusque dans ses dernières jouissances; tu n'as plus rien à at

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tendre d'elle que la douleur, les infirmités, la vieillesse. Une dernière libation; mais cette fois sache y mêler quelques gouttes d'un poison subtil. Bois la mort; aussi bien n'est-ce pas encore le bonheur que le repos? » Telle était la dernière leçon et la suprême sagesse de la volupté antique. Ainsi les deux plus célèbres doctrines de la morale païenne aboutissaient au même terme, la mort, seul remède d'une vie ennuyée d'elle-même ou d'un courage épuisé par la lutte. Et l'on mourait ainsi, sans espérance et sans regret. Ce serait sans doute une témérité de ranger le suicide d'Antoine parmi les suicides épicuriens. Et pourtant, si la cause de sa mort fut toute politique, la forme au moins fut celle d'une mort épicurienne, préparée à loisir avec toute sorte de précautions jalouses pour en écarter la souffrance, acceptée ensuite avec la résignation du fatalisme voluptueux, quand l'heure fut venue. On sait qu'Antoine et Cléopâtre avaient formé en Égypte une académie de la mort (les co-mourants), dont tous les membres s'étaient engagés à mourir ensemble et dont l'unique occupation était la recherche des moyens les plus doux pour finir gaiement la vie1. Cléopatre manqua au rendez-vous funèbre et ne s'y rendit que plus tard, quand elle y fut contrainte. Lucrèce, ce grand poëte, qui

1. Plutarque, Vie d'Antoine.

sut chanter en vers énergiques et brûlants le dogme aride d'Épicure, donna à sa vie le triste dénoûment d'un suicide, accompli dans les plus mystérieuses circonstances. Pétrone, le peintre de l'orgie romaine, joua jusqu'au dernier instant avec le suicide, se faisant ouvrir successivement et refermer les veines, comme pour goûter plus à loisir l'âcre volupté de la mort. A mesure que les temps avançaient vers le déclin, les suicides se multipliaient sans mesure. Étrange contraste auquel l'histoire de toutes les civilisations, usées par leur excès même, devra nous habituer! Au sein de la volupté, naît un goût étrange, désordonné pour la mort. Il y a du sang au terme de toutes les orgies. Quand on a épuisé toutes les sensations de la vie, il s'éveille un appétit nouveau pour une sensation suprême, celle qui la termine. On a remarqué que les âmes impures ont je ne sais quelle jouissance malsaine à voir souffrir ou même à souffrir, et que le suicide a été souvent le dernier rêve de la débauche. Les Romains de la décadence, épuisés de volupté, fatigués de ne rencontrer jamais au bout de leurs désirs que les mêmes plaisirs éternellement prévus, jetaient dans une dernière fête leur vie et se plongeaient avec une sorte d'impatience dans cet inconnu de la mort qu'ils croyaient être le néant.

Le mépris de la vie, voilà un phénomène que

nous présentent invariablement tous les siècles de décadence. Il semble que l'existence n'ait plus de prix, quand il n'y a plus nulle part un noble but où elle puisse tendre. L'humanité, lasse d'ellemême, fatiguée de voluptés sans but, laissait couler la vie avec le sang de ses veines épuisées. Elle se laissait mourir, n'ayant plus la force de vivre. Il était temps qu'une doctrine plus austère à la fois et plus humaine vînt retenir la main violente de l'humanité, tournée contre elle-même; il était temps que le christianisme vînt arrêter cette insouciance de la mort, et rendre à la vie sa haute signification, l'épreuve, à la liberté humaine son but, le devoir, à l'âme enfin le secret perdu de ses immortelles destinées.

A ma connaissance c'est saint Augustin, le premier, qui, dans une argumentation subtile et pressante, a formulé dans les termes les plus exprès et les plus dogmatiques la réprobation du suicide. Je résume les principaux arguments développés dans une série de chapitres de la Cité de Dieu : « Ce n'est point sans raison que, dans les livres saints, on ne saurait trouver aucun passage où Dieu nous commande ou nous permette, soit pour éviter quelque mal, soit même pour gagner la vie éternelle, de nous donner volontairement la mort. Au contraire, cela nous est interdit par le précepte Tu ne tueras point.... Ces termes sont abso

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