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les tourmente pas. De là ces cœurs si hardis à courir sur le fer, ces âmes capables de la mort, cette idée qu'il ne faut pas épargner une vie qui va revenir. » La mort n'était pour eux qu'un accident. Pénétrés de l'espoir d'une émigration dans les régions splendides du firmament, déjà peuplées de leurs ancêtres et de leurs amis, ils s'élançaient d'un cœur vaillant vers cette vie nouvelle qui n'était guère que la continuation de la vie présente. On faisait librement des emprunts dont l'échéance était dans l'autre monde. Le dogme druidique de l'immortalité n'était plus, comme dans l'Inde, la croyance à un repos éternel dans le néant ou bien à une apothéose dans l'Ame universelle. Non, c'était le même monde prolongé, c'était la personnalité humaine continuée sur quelque globe céleste. On comprend qu'avec de telles espérances, mourir était un jeu. Aussi voit-on, à travers les documents imparfaits qui nous restent de l'antique civilisation de nos aïeux, apparaître l'habitude de la mort volontaire comme une tradition profondément nationale. On mourait pour accompagner un ami aux rives lointaines. D'autres fois, on mourait pour le sauver d'une maladie, et ces remplaçants volontaires de la grande armée de la mort partaient, sans regret, pour la patrie mystérieuse.

En Grèce et à Rome, la doctrine du suicide eut

une tout autre origine. Elle se répandit dans le monde antique comme un enseignement philosophique plutôt que comme un dogme religieux. Platon a des paroles élevées pour interdire le suicide. C'est lui qui, le premier, a comparé l'homme au soldat qui doit garder le poste où l'a placé la volonté des dieux. Mais, en d'autres endroits de ses écrits, sa sévérité semble fléchir, et dans les Lois, il admet tant de circonstances atténuantes qu'il semble, au nom de la philosophie, lever l'interdiction qu'il avait mise ailleurs, au nom de la volonté divine, sur la mort volontaire. Après lui, après Aristote, il y a comme un grand relâchement de doctrine qui ne pouvait être que très-favorable au dogme du suicide. Le doute tempéré des académiciens, le doute absolu de Pyrrhon et de son école aboutissaient trop ouvertement à l'indifférence en morale et à l'incertitude de la vie future pour ne pas énerver le ressort de la volonté humaine et ne pas prédisposer l'âme, lasse d'ellemême, à demander le repos au néant. On croit qu'Arcésilas et Carnéade, au déclin d'une longue vie, avancèrent l'heure de la mort qui tardait trop à leur gré. L'école cynique, cette mère brutale et grossière du stoïcisme, forma Diogène, ce Socrate en délire, comme l'appelait Platon, qui termina par le suicide son existence orgueilleusement bizarre. On sait l'histoire de ce descendant vaniteux

de Diogène, le cynique Peregrinus, qui, au second siècle de l'ère chrétienne, monta solennellement sur le bûcher, en présence de toute la Grèce assemblée aux jeux olympiques, parodiant à sa manière les martyrs chrétiens dont il n'avait ni l'humilité ni la foi: spectacle impie et triste dont un sot orgueil faisait tous les frais. Les philosophes de Cyrène, sectateurs éloquents de la volupté, produisirent les premiers une apologie régulière et doctrinale du suicide. On a conservé quelques traits des apologies que présentait Hégésias, un des maîtres les plus entraînants de cette école. Considérant le bonheur comme l'unique fin de l'action humaine, il recherchait par quels moyens on pouvait l'atteindre, et arrivait à cette conclusion, qu'il développait avec une rare habileté : le bonheur est une chose imaginaire qui se dérobe à tous nos efforts; les maux l'emportent sur les biens, et les biens eux-mêmes, les rares jouissances que nous éprouvons, n'ont rien de réel ni de durable, puisque l'habitude les émousse et que la société peut nous les ravir. Toute sa doctrine se résumait dans cette maxime. « La vie ne semble un bien qu'à l'insensé; le sage n'éprouve pour elle qu'indifférence, et la mort lui paraît tout aussi désirable. » C'est ainsi qu'il passait en revue, avec un scepticisme désolant, tous les biens de la vie, les vertus, les sentiments, les jouissances du cœur comme les

avantages du corps et de la fortune. Il voulait que le sage s'habituât à mépriser la reconnaissance et l'amitié, la bienfaisance et l'estime des autres, sa liberté enfin, tous biens illusoires dont la jouissance précaire ne peut enivrer que des esprits vulgaires ou abusés. Il avait le talent de peindre l'existence humaine sous de si tristes couleurs, qu'un grand nombre de ses auditeurs, pris d'un invincible dégoût pour la vie, se tuèrent en sortant de ces dramatiques leçons ; d'où lui vint le surnom de Pisithanate (qui conseille la mort). L'influence de ce prédicateur de la mort devint un véritable péril, et le roi Ptolémée, effrayé de la contagion de sa parole, fit fermer cette école, qui était devenue une école publique de suicide. Une doctrine beaucoup plus élevée, le stoïcisme, mit la liberté humaine sous la sauvegarde de la mort. Nous retrouverons cette philosophie à Rome et nous verrons quels résultats elle y produisit. Rappelons seulement ici que le fondateur de la secte, Zénon, déjà vieux et brisé par l'âge, se donna la mort, léguant à ses disciples un exemple qui trouva de nombreux imitateurs.

A Rome, nous n'avons pas à nous occuper des innombrables suicides qui eurent leur origine dans des circonstances particulières, soit le dévouement à la patrie, qui se montra dans la mort de Décius; soit la fierté de l'amour conjugal, que l'on vit

éclater avec tant de force dans le courage de Porcia, la femme de Brutus, d'Arria, la femme de Pœtus, de Pauline, la femme de Sénèque; soit enfin le sentiment de la chasteté offensée, qui se produisit dès les premiers temps à Rome dans le trépas héroïque de Lucrèce. Nous ne voulons nous occuper ici que du suicide philosophique et politique, inspiré par des doctrines, et mettant en relief certains principes. A Rome, en effet, le suicide devient toute.une philosophie, toute une politique, tout un système.

Je voudrais résumer en peu de mots cette doctrine non sans prestige, qui servit de refuge à tant d'âmes incapables de lutter avec fruit, mais incapables de se soumettre. C'est dans Sénèque surtout que l'on trouve la revendication de ce prétendu droit de l'homme sur lui-même. Il s'efforce d'établir que l'homme peut mourir, quand il ne lui plaît pas de vivre. Le suicide est l'acte énergique par lequel l'homme prend possession de lui-même, s'affranchit des servitudes inévitables et proclame solennellement sa liberté en face de l'humanité qui plie sous le joug de la fortune. Le sage ne peut jamais être esclave; il a sa liberté dans sa main. Il tend son effort à maintenir son indépendance, et sait, quand il le faut, chercher un abri où nulle tyrannie ne peut l'atteindre. Il conserve ainsi son inaltérable félicité, prêt à mou

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