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dire, le ministre impersonnel de Dieu, l'autre est un ami supérieur, c'est à la fois un confident et un maître. Or, qui ne voit que dans le domaine des choses spirituelles aussi bien que dans la vie ordinaire, l'amitié particulière est un don gratuit? On l'accorde et on la refuse. à qui l'on veut; on ne la doit à personne. Tout fidèle a droit à la pénitence; nul n'a un droit absolu à ce commerce tout spécial de la direction. Ces distinctions paraîtront subtiles et oiseuses, tant les idées qu'elles supposent nous sont devenues étrangères. Elles ont leur importance pourtant, au moins historique, puisque ces idées ont tenu leur place dans les habitudes de nos ancêtres. D'ailleurs, en pareille matière, tout dédain me semblerait déplacé. J'estime qu'il n'y a rien de médiocre là où est engagée, pour une part quelconque, la conscience.

Je ne craindrai donc pas d'insister. Ces affections toutes spéciales que l'on rencontre dans la direction spirituelle sont conformes au plus pur esprit du christianisme et à sa tradition. Laissons parler saint François de Sales, s'excusant de faire des conduites particulières à la piété, au milieu même des embarras et des charges d'un grand diocèse. « Qui ne sait que Timothée, Tite, Philémon, Onésime, sainte Thècle, Appia, étaient les chers enfants du grand saint Paul, comme saint Marc et sainte Pé

tronille de saint Pierre? Et saint Jean n'écrit-il pas une de ses épîtres canoniques à la dévote dame Electa? C'est une peine, je le confesse, de conduire les âmes en particulier: mais une peine qui soulage, pareille à celle des moissonneurs et vendangeurs, qui ne sont jamais plus contents que d'être fort embesogneux et chargés. C'est un travail qui délasse et avive le cœur par la suavité qui en revient à ceux qui l'entreprennent, comme fait le cinamome, ceux qui le portent parmi l'Arabie heureuse. On dit que la tigresse ayant retrouvé l'un de ses petits, que le chasseur lui laisse sur le chemin pour l'amuser, tandis qu'il emporte le reste de la littée; elle s'en charge, pour gros qu'il soit, et pour cela n'en est point plus pesante, ains plus légère à la course qu'elle fait pour le sauver dans sa tanière, l'amour naturel l'allégeant par ce fardeau. Combien plus un cœur paternel prendra-t-il volontiers en charge une âme qu'il aura rencontrée au désir de la sainte perfection, en la portant en son sein comme une mère fait son petit enfant, sans se ressentir de ce faix bien aimé? Mais il faut sans doute que ce soit un cœur paternel: et c'est pourquoi les Apôtres et hommes apostoliques appellent leurs disciples non-seulement leurs enfants, mais encore plus tendrement leurs petits enfants. » A cette nomenclature d'illustres exemples tirés des entrailles mêmes du christianisme, le

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pieux évêque aurait pu ajouter bien des noms, ceux des grandes dames romaines que saint Jérôme dirige du fond de sa solitude, et la dévote Florentine à laquelle écrit saint Augustin.

C'est donc un fait essentiellement chrétien que le gouvernement particulier des âmes; j'ajoute que ce fait est exclusivement chrétien. Je regrette, plus que je ne le puis dire, de ne pouvoir suivre dans toutes ses conclusions une œuvre de science délicate et de morale exquise 1. L'auteur s'est proposé de montrer dans les Lettres à Lucilius le commencement et comme une ébauche de la direction spirituelle. Rien de plus ingénieux que les preuves, qui reposent toutes sur des citations habilement rassemblées et sur des analogies tout à fait curieuses. On est charmé, presque convaincu. Pour s'en mieux convaincre encore, on a recours au livre, on relit quelques-unes de ces lettres, et le charme se dissipe. On se retrouve en face de cet étrange composé de moraliste sublime et de sophiste, du Sénèque que nous connaissons. Au lieu d'un conseil affectueux et suivi, scrutant avec une compassion sévère les souffrances particulières de l'âme bien-aimée, et tirant du fond du cœur les paroles qui peuvent la guérir, on trouve des développements habiles sur un sujet donné, des avis qui

1. M. Martha, les Moralistes sous l'Empire romain.

-s'appliquent à tout le monde, des fragments éloquents d'un traité de morale, rangés sous forme de lettres par la main du hasard. Sénèque a peut-être pressenti cette amitié particulière pour une âme, qui est le principe de la direction spirituelle. A coup sûr, il n'en a pas eu les pressantes tendresses ni l'actif dévouement. J'oserais même demander s'il aime Lucilius autrement que comme un disciple, j'allais dire comme un écho qui lui renvoie cette voix brillante dont le philosophe peu naïf est si naïvement enchanté.

Cette forme la plus élevée et la plus pure de l'amitié a commencé avec le christianisme. Elle durera autant que lui. Elle a pourtant, il faut bien le dire, ses périls secrets et de la nature la plus délicate. Fénelon ne les dissimule pas dans une admirable lettre sur la direction, où tout est résumé avec une précision rapide qui n'est pas dans ses habitudes littéraires : « Les meilleures choses sont les plus gâtées, parce que leur abus est pire que celui des choses moins bonnes. Voilà ce qui fait que la direction est si décriée. Le monde la regarde comme un art de mener les esprits faibles et d'en tirer parti. Le directeur passe pour un homme qui se sert de la religion pour s'insinuer, pour gouverner, pour contenter son ambition; et souvent on soupçonne dans la direction, si elle regarde le sexe, beaucoup d'amusement et de mi

sère. Tant de gens, sans être ni choisis, ni éprouvés, se mêlent de conduire les âmes, qu'il ne faut pas s'étonner qu'il en arrive assez souvent des choses irrégulières et peu édifiantes. » Développant ailleurs avec force cette même idée, dont se préoccupe aussi Bossuet, il veut qu'on fuie avec horreur tout ce qui ressemble à l'amusement et à la mollesse. Il ne doit jamais y avoir rien que de sérieux, de modeste et d'édifiant dans ces entretiens où il s'agit purement de la vie éternelle. Le directeur perd son autorité, avilit son ministère, et nuit mortellement aux âmes, quand il a une conduite moins grave et moins réservée. Le malheur est que les personnes lâches et molles, telles que sont souvent les femmes, trouvent trop froid et trop sec tout ce qui est sérieux et éloigné de l'amusement. Elles croient qu'on ne les écoute point, si on ne leur laisse dire cent choses inutiles avant que de venir à celle dont il est question. Elles cherchent plus un commerce de vaine consolation qu'un conseil droit et vigoureux pour aller à Dieu en mourant à soi. Ainsi elles se rebutent des directeurs qui leur seraient les plus utiles, et elles en cherchent qui veulent bien perdre du temps avec elles. Oh! si elles savaient ce que c'est que le temps d'un prêtre, chargé de prier pour soi-même et pour toute l'Église, de méditer profondément la loi de Dieu, et de travailler pour ramener tant de

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