Oldalképek
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coupe ciselée, debout, à la première place, parmi les applaudissements et les fanfares, les yeux riants, la joie au fond du cœur, échauffé et vivifié par le vin généreux qui descend dans sa poitrine, et que subitement on voit pâlir; il y avait du poison au fond de la coupe; il tombe et râle; se pieds convulsifs battent les tapis de soie, et tous les convives effarés regardent. Voilà ce que nous avons senti le jour où le plus aimé, le plus brillant d'entre nous, a tout d'un coup palpité d'une atteinte invisible, et s'est abattu avec un hoquet funèbre parmi les splendeurs et les gaietés menteuses de notre banquet.

Eh bien! tel que le voilà, nous l'aimons toujours: nous n'en pouvons écouter un autre; tous à côté de lui nous semblent froids ou menteurs. Nous sortons à minuit de ce théâtre où il écoutait la Malibran, et nous entrons dans cette lugubre rue des Moulins où, sur un lit payé, son Rolla est venu dormir et mourir. Les lanternes jettent des reflets vacillants sur les pavés qui glissent. Des ombres inquiètes avancent hors des portes et traînent leur robe de soie fripée à la rencontre des passants. Les fenêtres sont fermées; une lumière çà et là perce à travers un volet mal clos et montre un dahlia mort sur le rebord d'une croisée. Demain un orgue ambulant grincera devant ces vitres, et les nuages blafards laisseront leurs suintements sur ces murs salis. Quoi! c'est de cet ignoble lieu qu'est sorti le plus passionné des poëmes! ce sont ces laideurs et ces vulgarités de bouge et d'hôtel garni qui ont fait ruisseler cette divine élo

LITT. ANGL.

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quence! ce sont elles qui en cet instant ont ramassé dans ce cœur meurtri toutes les magnificences de la nature et de l'hise our les fai e jaillir en gerbe étincelante et reluire sous le plas ardent soleil de poésie qui fut jamais! La pitié vient, on pense à cet autre poëte qui, là-bas, dans l'île de Wight, s'amuse à refaire des épopées perdues. Qu'il est heureux parmi ses beaux livres, ses amis, ses chèvrefeuilles et ses roses! N'importe. Celui-ci, à cet endroit même, dans cette fange et dans cette misère, est monté plus haut. Du haut de son doute et de son désespoir, il a vu l'infini comme on voit la mer du haut d'un cap battu par les orages. Les religions, leur gloire et leur ruine, le genre humain, ses douleurs et sa destinée, tout ce qu'il y a de sublime au monde lui est alors apparu dans un éclair. Il a senti, au moins cette fois dans sa vie, cette tempête intérieure de sensations profondes, de rêves gigantesques et de voluptés intenses dont le désir l'a fait vivre et dont le manque l'a fait mourir. Il n'a pas été un simple dilettante; il ne s'est pas contenté de goûter et de jouir; il a imprimé sa marque dans la pensée humaine; il a dit au monde ce que c'est que l'homme, l'amour, la vérité, le bonheur. Il a souffert, mais il a inventé; il a défailli, mais il a produit. Il a arraché avec désespoir de ses entrailles l'idée qu'il avait conçue, et l'a montrée aux yeux de tous sanglante, mais vivante. Cela est plus difficile et plus beau que d'aller caresser et contempler les idées des autres. Il n'y a au monde qu'une œuvre digne d'un homme,

l'enfantement d'une vérité à laquelle on se livre et à laquelle on croit. Le monde qui a écouté Tennyson vaut mieux que notre aristocratie de bourgeois et de bohêmes; mais j'aime mieux Alfred de Musset que Tennyson.

FIN.

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