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éteints, il sent mieux qu'aucun Anglais, mieux que Macaulay lui-même, les grandes révolutions de l'âme. Il est presque Allemand par sa force d'imagination, par sa perspicacité d'antiquaire, par ses larges vues générales. Et néanmoins il n'est pas faiseur de conjectures. Le bon sens national et l'énergique besoin de croyance profonde le retiennent au bord des suppositions; quand il en fait, il les donne pour ce qu'elles sont. Il n'a pas de goût pour l'histoire aventureuse. Il rejette les ouï-dire et les légendes; il n'accepte que sous réserve et à demi les étymologies et les hypothèses germaniques. Il veut tirer de l'histoire une loi positive et active pour lui-même et pour nous. Il en chasse et en arrache toutes les additions incertaines et agréables que la curiosité scientifique et l'imagination romanesque y accumulent. Il écarte cette végétation parasite, pour saisir le bois utile et solide. Et quand il l'a saisi, il le traîne si énergiquement devant nous pour nous le faire toucher, il le manie avec des mains si violentes, il le met sous une lumière si âpre, il l'illumine par des contrastes si brutaux d'images extraordinaires, que la contagion nous gagne et que nous atteignons en dépit de nous-mêmes l'intensité de sa croyance et de sa vision.

Il va au delà, ou plutôt il est emporté au delà. Les faits saisis par cette imagination véhémente s'y fondent comme dans une flamme. Sous cette furie de la conception, tout vacille. Les idées, changées en hallucinations, perdent leur solidité; les êtres

semblent des rêves; le monde apparaissant dans un cauchemar ne semble plus qu'un cauchemar; l'attestation des sens corporels perd son autorité devant des visions intérieures aussi lucides qu'ellemême. L'homme ne trouve plus de différence entre ses songes et ses perceptions. Le mysticisme entre comme une fumée dans les parois surchauffées de l'intelligence qui craque. C'est ainsi qu'il a pénétré autrefois dans les extases des ascètes indiens et dans les philosophies de nos deux premiers siècles. Partout le même état de l'imagination a produit la même doctrine. Les puritains, qui sont les vrais ancêtres de Carlyle, s'y trouvaient tout portés. Shakspeare y arrivait par la prodigieuse tension de son rêve poétique, et Carlyle répète sans cesse d'après lui << que nous sommes faits de la même étoffe que nos songes. » Ce monde réel, ces événements si âprement poursuivis, circonscrits et palpés ne sont pour lui que des apparitions; cet univers est divin. «< Ton pain, tes habits, tout y est miracle, la nature est surnaturelle. >> « Oui, il y a un sens divin, ineffable, plein de splendeur, d'étonnement et de terreur dans l'être de chaque homme et de chaque chose; je veux dire la présence de Dieu qui a fait tout homme et toute chose1. » Délivrons-nous de

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1. Thy daily life is girt with wonder, and based on wonder; thy very blankets and breeches are miracles....

The unspeakable divine signifiance full of splendour and wonder and terror lies in the being of every man and of every thing: the presence of God who made every man and thing.

«< ces pauvres enveloppes impies, de ces nomenclatures, de ces ouï-dire scientifiques » qui nous empêchent d'ouvrir les yeux et de voir tel qu'il est le redoutable mystère des choses. « La science athée bavarde misérablement du monde, avec ses classifications, ses expériences, et je ne sais quoi encore, comme si le monde était une misérable chose morte, bonne pour être fourrée en des bouteilles de Leyde et vendue sur des comptoirs. C'est une chose vivante, une chose ineffable et divine, devant laquelle notre meilleure attitude, avec toute la science qu'il vous plaira, est toujours la génération, le prosternement pieux, l'humilité de l'âme, l'adoration du silence, sinon des paroles 1. » En effet, telle est l'attitude ordinaire de Carlyle. C'est à la stupeur qu'il aboutit. Au delà et au-dessous des choses, il aperçoit comme un abîme, et s'interrompt par des tressaillements. Vingt fois, cent fois dans l'histoire de la révolution française, on le voit qui abandonne son récit et qui rêve. L'immensité de la nuit noire où surgissent pour un instant les apparitions humaines, la fatalité du crime qui une fois commis

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1. Atheistic science babbles poorly of it, with scientific nomenclatures, experiments and what not, as if it were a poor dead thing, to be bottled up in Leyden jars, and sold over counters. But the natural sense of man, in all times, if he will honestly apply his sense, proclaims it to be a living thing — ah, an unspeakable, godlike thing, towards which the best attitude for us, after never so much science, is awe, devout prostration and humility of soul, worship if not in words, then in silence.

2. Wonder.

(On Heroes,

p. 3.)

reste attaché à la chaîne des choses comme un chaînon de fer, la conduite mystérieuse qui pousse toutes ces masses flottantes vers un but ignoré et inévitable, ce sont là les grandes et sinistres images. qui l'obsèdent. Il songe anxieusement à ce foyer de l'Être, dont nous ne sommes que les reflets. Il marche plein d'alarmes parmi ce peuple d'ombres, et il se dit qu'il en est une. Il se trouble à la pensée que ces fantômes humains ont leur substance ailleurs et répondront éternellement de leur court passage. Il s'écrie et frémit à l'idée de ce monde immobile, dont le nôtre n'est que la figure changeante. Il y devine je ne sais quoi d'auguste et de terrible. Car il le façonne et façonne le nôtre à l'image de son propre esprit; il le définit par les émotions qu'il en tire et le figure par les impressions qu'il en reçoit. Un chaos mouvant de visions splendides, de perspectives infinies s'émeut et bouillonne en lui au moindre événement qu'il touche; les idées affluent violentes, entrechoquées, précipitées de tous les coins de l'horizon parmi les ténèbres et les éclairs ; sa pensée est une tempête: et ce sont les magnificences, les obscurités et les terreurs d'une tempête qu'il attribue à l'univers. Une telle conception est la source véritable du sentiment religieux et moral. L'homme qui en est pénétré passe sa vie, comme les puritains, à vénérer et à craindre. Carlyle passe sa vie à exprimer et à imprimer la vénération et la crainte, et tous ses livres sont des prédications.

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V

Voilà certes un esprit étrange, et qui nous fait réfléchir. Rien de plus propre à manifester des vérités que ces êtres excentriques. Ce ne sera pas mal employer le temps que de chercher à celui-ci sa place, et d'expliquer par quelles raisons et dans quelle mesure il doit manquer ou atteindre la beauté et la vérité.

Sitôt que vous voulez penser, vous avez devant vous un objet entier et distinct, c'est-à-dire un ensemble de détails liés entre eux et séparés de leurs alentours. Quel que soit l'objet, arbre, animal, sentiment, événement, il en est toujours de même; il a toujours des parties, et ces parties forment toujours un tout ce groupe plus ou moins vaste en comprend d'autres et se trouve compris en d'autres, en sorte que la plus petite portion de l'univers, comme l'univers entier, est un groupe. Ainsi tout l'emploi de la pensée humaine est de reproduire des groupes. Selon qu'un esprit y est propre ou non, il est capable, ou incapable. Selon qu'il peut reproduire des groupes grands ou petits, il est grand ou petit. Selon qu'il peut produire des groupes complets ou seulement certaines de leurs parties, il est complet ou partiel.

Qu'est-ce donc que reproduire un groupe? C'est d'abord en séparer toutes les parties, puis les ranger

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