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dre des maximes de madame Guyon. L'évêque de Chartres fut d'abord étonné de voir une femme s'immiscer, pour ainsi dire, dans le ministère ecclésiastique, et s'asseoir dans la chaire pour enseigner un système de spiritualité, dont elle s'attribuoit l'invention. Mais, aussi sage que modeste, il fut arrêté quelque temps par l'estimable scrupule de condamner avec trop de précipitation une personne dont la piété étoit honorée par tout ce qu'il y avoit alors de plus vertueux à la Cour, et qui avoit le suffrage de Fénelon, dont il estimoit la droiture et les talents. D'ailleurs, ses opinions personnelles, comme nous aurons lieu de l'observer, se rapprochoient à quelques égards de celles qu'on lui exposoit. Avant de fixer son jugement, il voulut prendre une connoissance plus approfondie des maximes qu'on introduisoit à Saint-Cyr, et de l'usage qu'on en faisoit. Il se borna, dans le premier moment, à recommander de ne lire qu'avec précaution les ouvrages et les écrits de madame Guyon, à lui interdire l'accès habituel qu'elle avoit obtenu à Saint-Cyr, et à réprimer dans les religieuses de cette maison le penchant extrême qu'elles montroient pour toutes ces nouveautés.

On voit par plusieurs lettres de madame de Maintenon qu'elle suivit fidèlement un si sage conseil, et qu'elle conserva encore pendant quelque temps, non pas du goût, mais de l'estime pour madame Guyon.

Elle s'attacha surtout à fixer madame de La Maisonfort dans des maximes plus simples, plus sûres et plus convenables aux personnes de son état. Elle aimoit extrêmement son esprit et sa candeur; « elle la destinoit à être une pierre fondamentale de Saint-Cyr; » mais elle redoutoit son imagination trop active, trop délicate et trop communicative. Elle lui mandoit : « Rendez-vous simple à l'abbé << de Fénelon et à M. de Chartres. Je serai moi-même soumise à l'o« pinion de ces deux saints. Accoutumez-vous à vivre avec eux ; << mais ne répandez point les maximes de l'abbé devant des gens << qui ne les goûtent point. Vous parlez sans cesse de l'état le plus « parfait, et vous êtes encore remplie d'imperfections. Quant à << madame Guyon, vous l'avez trop prônée. Il faut nous contenter « de la garder pour nous. Il ne lui convient pas, non plus qu'à moi, « qu'elle dirige nos dames; ce seroit lui attirer une nouvelle persé«cution. Elle a été suspecte; c'en est assez pour qu'on ne la laisse jamais en repos. Elle m'a paru d'une discrétion admirable; elle << ne veut de commerce qu'avec vous; tout ce que j'ai vu d'elle m'a « édifiée, et je la verrai toujours avec plaisir; mais il faut con<< duire notre maison par les règles ordinaires, et tout simplement.

« Ce sera une perfection en vous de n'aspirer point à être par<< faite. >>

Elle ajoute dans une autre lettre : « Mon peu d'expérience en ces << matières me révoltoit contre M. l'abbé de Fénelon, quand il ne << vouloit pas que ces écrits fussent montrés. Cependant il avoit << raison. Tout le monde n'a pas l'esprit droit et solide. On prêche << la liberté des enfants de Dieu à des personnes qui ne sont pas en<«< core ses enfants, et qui se servent de cette liberté pour ne s'assu«<jettir à rien: il faut commencer par s'assujettir..... Ou je me << trompe fort, ou vous prenez la piété d'une manière trop spéculative. Vous faites tout consister en mouvements subits, en aban<«<dons, en mouvements..... »

Cependant l'évêque de Chartres, après s'être instruit avec toute l'attention dont il étoit capable, des maximes de madame Guyon, fut justement alarmé d'une doctrine « qui invitoit à ne se gêner en << rien, à s'oublier entièrement, à n'avoir jamais de retour sur soi<< même, et à cette liberté des enfants de Dieu, dont on ne se ser«< voit que pour ne s'assujettir à rien. » Il voulut prévenir les mauvais effets qui pourroient en résulter pour un établissement aussi précieux. Il eut à lutter contre le sentiment de la véritable amitié qui l'attachoit à Fénelon. Il s'expliqua avec franchise et fermeté à madame de Maintenon, en observant pour son ami tous les égards que lui prescrivoit la haute opinion qu'il avoit de sa vertu; mais, en sa qualité d'évêque de Saint-Cyr, il l'invita à prendre les mesures les plus promptes et les plus efficaces pour préserver cette maison du danger qui la menaçoit, et lui dénonça les ouvrages de madame Guyon comme remplis de nouveautés suspects et d'erreurs dangereuses.

XV.

Madame de Maintenon se refroidit pour madame Guyon.

Il faut rendre justice à madame de Maintenon: elle sentit que dans une matière aussi délicate et aussi étrangère au genre d'instruction et de connoissances qui appartiennent à son sexe, ses lumières naturelles ou acquises ne pouvoient pas suffire pour fixer avec confiance son opinion. Il étoit bien difficile que son goût pour Fénelon ne fût pas combattu par sa juste déférence aux avis de l'évêque de Chartres, son directeur. Elle connoissoit sa vertu et même son amitié pour Fénelon ; mais elle ne crut pas devoir s'en tenir exclusivement à son opinion. Elle consulta de vive voix Bossuet qui

étoit déjà instruit en détail de la doctrine de madame Guyon, par une circonstance particulière dont nous aurons bientôt à rendre compte; et Bossuet fut du même avis que l'évêque de Chartres; elle s'adressa également à M. de Noailles, alors évêque de Châlons-surMarne, qu'elle commençoit déjà à distinguer; et M. de Noailles se déclara encore plus fortement contre les maximes de madame Guyon. Le témoignage de trois prélats aussi recommandables suffit à peine pour triompher du sentiment qui l'attachoit toujours à Fénelon; elle crut devoir s'environner de toutes les lumières qui pouvoient répandre quelque clarté sur des questions aussi obscures; elle consulta des hommes entièrement étrangers à toutes les passions et à tous les intérêts de la cour; elle ne pouvoit faire un choix plus judicieux que celui auquel elle s'arrêta pour fixer toutes ses incertitudes. Elle interrogea secrètement le père Bourdaloue, M. Joly, supérieur général de Saint-Lazarre, MM. Tiberge et Brisacier, supérieurs des missions étrangères, et M. Tronson. Ce choix n'auroit pu être suspect à Fénelon s'il en eût été instruit. Bourdaloue appartenoit à une société qui faisoit profession de lui être attachée; MM. Tiberge et Brisacier étoient en relation de confiance avec lui; M. Joly étoit généralement estimé, et ne connoissoit que la religion et la vérité; M. Tronson avoit dirigé les premiers pas de Fénelon, le chérissoit avec la tendresse d'un père, et se plaisoit à le considérer comme appelé à la Cour, pour y établir le règne de la piété et des bonnes

mœurs.

Leurs réponses furent uniformes, et ne permirent plus à madame de Maintenon de rester indécise.

En lisant la lettre de Bourdaloue à madame de Maintenon, il n'est personne qui ne soit frappé de la simplicité, de l'onction et de la clarté qu'il a su répandre sur la question soumise à son examen. Il sépare avec la plus exacte précision le point où doit s'arrêter l'âme la plus exaltée, lors même qu'elle tend avec effort à s'élever à la plus haute perfection, de celui où commencent des illusions dangereuses pour la morale. On reconnoit bien dans son langage cet homme vraiment apostolique, dont la vie étoit encore plus éloquente que ses sermons mêmes. On voit dans cette lettre combien l'expérience lui avoit donné de lumières pour la direction des âmes, en lui révélant les dangers dont ce ministère peut n'être pas exempt avec les intentions même les plus pures. « Ce qui seroit à souhaiter dans « le siècle où nous sommes, écrivoit Bourdaloue, ce seroit qu'on << parlât peu de ces matières, et que les âmes mêmes qui pourroient << être véritablement dans l'oraison de contemplation, ne s'en expli

« quassent jamais entre elles, et même rarement avec leurs pères << spirituels1. »

M. Tronson se bornoit2, à conseiller à madame de Maintenon « de regarder les écrits de madame Guyon comme suspects, en at<< tendant que des personnes habiles et revêtues d'une autorité suf<< fisante, en eussent examiné les maximes, et condamné ce qu'elles pouvoient renfermer de pernicieux. » Le plan que proposoit M. Tronson fut suivi peu de temps après.

Madame de Maintenon, entièrement affermie par des témoignages aussi décisifs, n'hésita plus sur l'opinion qu'elle devoit avoir de la doctrine de madame Guyon. Nous verrons dans la suite si elle sut toujours renfermer son zèle contre Fénelon dans les bornes que le souvenir d'une ancienne amitié auroit du lui indiquer.

Fénelon voyoit sans s'en étonner, et presque sans s'en apercevoir, un orage se former contre lui. Sincèrement convaincu de la pureté des sentiments de madame Guyon, parce qu'il les jugeoit conformes aux idées pures et sublimes qu'il s'étoit faites de l'amour de Dieu; non moins convaincu de sa vertu, il ne chercha point à éluder les contradictions imprévues qu'il rencontroit, en feignant d'abandonner l'opinion qu'il avoit de son innocence. Mais en même temps il entra de bonne foi dans les vues de madame de Maintenon pour éloigner de Saint-Cyr ce goût de nouveautés dont elle étoit alarmée; il fut le premier à lui conseiller de retirer des mains des dames de Saint-Cyr, non-seulement les ouvrages de madame Guyon, mais même ses propres écrits.

Madame de Maintenon ne lui avoit point dissimulé que l'évêque de Chartres pensoit d'une manière différente de la sienne, et l'évêque de Chartres le lui avoit déclaré à lui-même. Fénelon crut alors que l'autorité de Bossuet pourroit être utilement employée à éclaircir une question qui commençoit à s'obscurcir par la manière dont elle étoit présentée ou entendue.

XVI.

Conduite estimable de Bossuet envers madame Guyon.

Il venoit d'avoir une preuve bien récente de la discrétion et de la modération de Bossuet au sujet de madame Guyon elle-même; car on ne peut guère douter que ce ne fût Fénelon qui eût inspiré quelques mois auparavant à madame Guyon, l'idée de s'adresser à Bos

1 Voyez les pièces justificatives du livre deuxième, no ш.

2 Manuscrits.

suet pour lui exposer tous ses sentiments, lui confier tous ses écrits les plus secrets, et se soumettre à sa décision.

Ainsi, il est bien évident que lorsque Bossuet commença à être saisi de cette affaire sur la demande de madame Guyon èlle-même et de ses amis, il n'apportoit aucune prévention personnelle.

Rien ne peut être comparé à la bonté et à l'indulgence que Bossuet eut pour madame Guyon dans ces premiers temps. Il faut dire aussi qu'elle parut agir avec lui de très-bonne foi. Non-seulement elle lui donna ses ouvrages imprimés et les écrits qu'elle avoit composés pour les justifier; mais elle lui livra sans réserve tous les papiers où elle avoit déposé ses pensées les plus secrètes, et entr'autres sa vie manuscrite.

Cette vie manuscrite offroit des particularités si extraordinaires, qu'elles auroient pu l'exposer à de très-grands dangers dans un siècle moins éclairé; mais elles parurent à Bossuet encore plus extravagantes que répréhensibles. On s'en servit dans la suite pour répandre sur sa personne et sur ses maximes un vernis de ridicule, qui la fit probablement repentir de l'excès d'ingénuité avec laquelle elle en avoit offert elle-même le prétexte. Mais ce qu'il y a de singulier, c'est que madame Guyon montra en cette occasion plus de confiance à Bossuet qu'à Fénelon, à qui elle n'avoit jamais communiqué cette vie manuscrite1.

Bossuet, avant de prendre connoissance des écrits de madame Guyon, qu'il se proposoit d'examiner avec attention pendant son séjour à Meaux, l'exhorta à se retirer à la campagne, à y vivre dans le silence et la retraite, et à s'abstenir de tout commerce de spiritualité. Madame Guyon donna encore ce témoignage de déférence à Bossuet.

Bossuet, après avoir employé plusieurs mois à l'examen des écrits de madame Guyon, eut avec elle un long entretien 2 chez les religieuses du Saint-Sacrement de la rue Cassette. Après y avoir célébré la messe, il la communia de sa propre main. Cette circonstance, qu'on chercha peut-être à trop faire valoir dans la suite en faveur de madame Guyon, indique au moins qu'il la jugeoit alors plus digne de pitié que de censure. Il lui donna dans cette conférence les avis les plus convenables pour rectifier tout ce qu'il y avoit d'excessif dans ses maximes, et d'irrégulier dans l'opinion qu'elle avoit prise d'elle-même et de sa mission 3.

1 Il paroît que cette assertion est inexacte (A).

230 janvier 1694.

3 L'abbé Fleury rapporte, dans des notes manuscrites, que madame Guyon,

VII.

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